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20/06/2025 | FRANCE | N°495515

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 20 juin 2025, 495515


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 15 mai 2024 par laquelle le président de la communauté de communes Albret Communauté lui a infligé la sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de deux ans. Par une ordonnance n° 2403200 du 12 juin 2024, le juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un pourvoi sommaire, un mém

oire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 27 juin et 12 juillet 2024 ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 15 mai 2024 par laquelle le président de la communauté de communes Albret Communauté lui a infligé la sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de deux ans. Par une ordonnance n° 2403200 du 12 juin 2024, le juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 27 juin et 12 juillet 2024 et le 25 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Albret Communauté la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024 du Conseil constitutionnel ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christine Allais, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... B... et à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la communauté de communes Albret Communauté ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux que le président de la communauté de communes Albret Communauté (CCAC) a, par arrêté du 5 avril 2024, infligé à M. B..., agent d'entretien et d'exploitation de la voirie, une sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de deux ans. Par une ordonnance du 13 mai 2024, le juge des référés de ce tribunal a, sur la demande de M. B..., suspendu l'exécution de cette décision. Par un arrêté du 15 mai 2024, le président de la CCAC a, d'une part, retiré la décision ainsi suspendue et, d'autre part, de nouveau infligé à M. B... une sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de deux ans. Par une ordonnance du 24 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. B... tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 mai 2024. M. B... se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. En premier lieu, si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article L. 11 du code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires. Il en résulte notamment que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension, soit par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond, l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension.

3. Il ressort des motifs de l'ordonnance du 13 mai 2024 que pour suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 avril 2024 infligeant à M. B... une sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de deux ans, le juge des référés a retenu qu'en l'état de l'instruction, d'une part, faute de préciser, parmi les griefs mentionnés dans la saisine du conseil de discipline, où la communauté de communes proposait une sanction de révocation, ceux de ces griefs qu'elle avait en définitive retenus à l'appui de la sanction, plus faible, finalement infligée par cette décision, le moyen tiré de ce que cette décision était insuffisamment motivée était de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité, et, d'autre part, que dès lors qu'il n'était pas établi, en l'état de l'instruction, que les griefs en définitive retenus incluaient trois des griefs mentionnés dans la saisine du conseil de discipline, le moyen tiré de la disproportion de la sanction infligée était également de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'arrêté du 15 mai 2024 par lequel le président de la CCAC a retiré son arrêté du 5 avril 2024 et infligé à M. B... une même sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux ans expose de manière détaillée les éléments de droit et les faits retenus contre M. B..., incluant explicitement les trois griefs dont le juge des référés avait estimé, dans son ordonnance du 13 mai 2024, qu'il n'était pas établi, en l'état de l'instruction, qu'ils avaient été retenus à l'endroit de M. B... par l'arrêté du 5 avril 2024. Dans ces conditions, c'est sans méconnaître la force obligatoire de son ordonnance du 13 mai 2024 que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a pu juger que, eu égard à l'ensemble des griefs sur lesquels était fondé l'arrêté du 15 mai 2024, le moyen tiré de la disproportion de cette sanction n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cet arrêté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

6. S'il est constant que M. B... n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire lors de son audition par le conseil de discipline, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que la sanction qui lui a été infligée reposerait de manière déterminante sur les propos qu'il y a tenus. Par suite, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, et sans erreur de droit, que le juge des référés a pu juger que le moyen tiré de ce que M. B... n'avait pas été informé du droit qu'il avait de se taire lors de cette audition n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

7. En troisième lieu, lorsque l'autorité administrative retire une sanction infligée à un agent public après que l'exécution de cette sanction a été suspendue par une décision du juge des référés, et qu'elle édicte une nouvelle sanction à raison des mêmes faits, elle n'est pas tenue d'inviter l'intéressé à prendre à nouveau connaissance de son dossier ni de saisir à nouveau le conseil de discipline compétent lorsque ces formalités ont été régulièrement accomplies avant l'intervention de la première sanction.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'ensemble des griefs retenus à l'appui de la décision de sanction du 15 mai 2024 avaient été exposés devant le conseil de discipline lors de sa réunion du 8 mars 2024. Il s'ensuit que c'est sans erreur de droit que le juge des référés a pu juger que le moyen tiré de ce que l'absence de nouvelle consultation du conseil de discipline préalablement à la décision du 15 mai 2024 n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, notamment du rapport disciplinaire du 5 février 2024 établi par la CCAC ainsi que du compte rendu du conseil de discipline, que M. B... a eu un comportement agressif avec plusieurs de ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques, a été vu en état d'ébriété à deux reprises sur son lieu de travail, a refusé de rendre compte de son activité, a manifesté de la réticence à l'exécution des tâches qui lui étaient demandées et a demandé au médecin de prévention à la fois de constater des restrictions médicales pour ne pas exécuter certaines tâches et de lever ces prescriptions pour éviter de faire l'objet d'un reclassement professionnel. Si M. B... fournissait des témoignages en sa faveur émanant d'anciens collègues et de membres de sa famille, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que le juge des référés a estimé que ces derniers ne suffisaient pas à démentir les griefs retenus à son endroit et a jugé que le moyen tiré du défaut de matérialité des fautes sanctionnées n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

10. En dernier lieu, il appartient au juge des référés, saisi de moyens en ce sens, de rechercher, dans les limites de son office, si les faits reprochés à un agent public, ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que c'est sans erreur de droit ni dénaturation que ce dernier a jugé que le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction prononcée à l'encontre de M. B... n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros à verser la communauté de communes Albret Communauté au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la communauté de communes Albret Communauté, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 2 : M. B... versera à la communauté de communes Albret Communauté une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la communauté de communes Albret Communauté.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2025 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Christine Allais, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 20 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

La rapporteure :

Signé : Mme Christine Allais

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 495515
Date de la décision : 20/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jui. 2025, n° 495515
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christine Allais
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:495515.20250620
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