Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 novembre 2024 et 6 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 juin 2024 par laquelle le général de corps d'armée commandant la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine lui a infligé la sanction de quinze jours d'arrêts, avec dispense d'exécution, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique formée auprès du directeur général de la gendarmerie nationale et la décision explicite de celui-ci confirmant ce rejet, notifiée le 5 février 2025 ;
2°) d'enjoindre à l'autorité compétente de retirer de tous ses dossiers administratifs et de tout autre dossier et registre toute pièce relative à la sanction qui lui a été infligée, de la détruire et de lui en donner attestation, dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à venir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 29 juillet 2022 du ministre des armées fixant, pour la gendarmerie nationale, la liste des autorités militaires investies du pouvoir disciplinaire d'autorité militaire de premier niveau et de deuxième niveau
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que le capitaine A... B..., commandant de la communauté de brigades de Brive-la-Gaillarde, s'est vu infliger, par une décision du 21 juin 2024 de l'autorité militaire de deuxième niveau, la sanction de quinze jours d'arrêts, avec dispense d'exécution, pour, notamment, avoir eu des méthodes de commandement inadaptées, n'avoir pas veillé à la santé physique et mentale de ses subordonnés et avoir manqué de discernement dans la gestion et l'organisation des procédures judiciaires. M. B... demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration au recours hiérarchique qu'il a formé le 21 août 2024 et de la décision explicite confirmant ce rejet qui lui a été notifiée le 5 février 2025.
2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête de M. B... dirigées contre la décision implicite par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de sanction du 21 juin 2024 ainsi que celles dirigées contre la décision explicite du 18 septembre 2024, notifiée le 5 février 2025, par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a confirmé ce rejet, doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 21 juin 2024 lui infligeant la sanction.
Sur la régularité de la procédure disciplinaire :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4137-10 du code de la défense : " Les autorités investies du pouvoir disciplinaire mentionnées à l'article L. 4137-4 du code de la défense et à l'article L. 311-13 du code de justice militaire sont le ministre de la défense et les autorités militaires. / Les autorités militaires sont désignées parmi les officiers et, exceptionnellement, les sous-officiers ou les officiers mariniers en position d'activité des forces armées et des formations rattachées. Elles sont réparties en trois niveaux en fonction de la nature des sanctions disciplinaires du premier groupe mentionnées à l'article R. 4137-25 qu'elles sont habilitées à infliger ". Aux termes de l'article R. 4137-25 : " Les sanctions disciplinaires du premier groupe pouvant être infligées aux militaires par le ministre de la défense et les autorités militaires sont les suivantes : (...) Autorité militaire de deuxième niveau, pour tous les militaires. (...) Arrêts : de 1 à 30 jours (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 29 juillet 2022 du ministre des armées fixant, pour la gendarmerie nationale, la liste des autorités militaires investies du pouvoir disciplinaire d'autorité militaire de premier niveau et de deuxième niveau : " Au sein de la gendarmerie nationale, les autorités militaires investies du pouvoir disciplinaire de premier niveau (AM1) et de deuxième niveau (AM2) sont désignées en annexe du présent arrêté ". Il résulte de l'annexe III de cet arrêté que l'autorité militaire de deuxième niveau pour les militaires affectés en groupement de gendarmerie départementale est le commandant de la région de gendarmerie. Il ressort des pièces du dossier que la décision de sanction attaquée a été signée par le général de corps d'armée Samuel Dubuis commandant la région de de gendarmerie Nouvelle-Aquitaine dans laquelle M. B... est affecté au sein d'un groupement de gendarmerie départementale. M. B... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la décision de sanction attaquée aurait été prise par une autorité incompétente.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". La décision prononçant la sanction comporte un énoncé détaillé des considérations de droit et de fait qui la justifie. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4137-15 du code de la défense : " Avant qu'une sanction ne lui soit infligée, le militaire a le droit de s'expliquer oralement ou par écrit, seul ou accompagné d'un militaire en activité de son choix sur les faits qui lui sont reprochés devant l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. Au préalable, un délai de réflexion, qui ne peut être inférieur à un jour franc, lui est laissé pour organiser sa défense. / Lorsque la demande de sanction est transmise à une autorité militaire supérieure à l'autorité militaire de premier niveau, le militaire en cause peut également s'expliquer par écrit sur ces faits auprès de cette autorité supérieure. L'explication écrite de l'intéressé ou la renonciation écrite à l'exercice du droit de s'expliquer par écrit est jointe au dossier transmis à l'autorité militaire supérieure. / Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner. ". Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M. B... a pris connaissance des pièces et documents au vu desquels il était envisagé de le sanctionner le 27 mai 2024, qu'il a été reçu le 30 mai 2024 par l'autorité militaire de premier niveau et que, après que la demande de sanction a été transmise à l'autorité militaire de deuxième niveau, il a produit des explications écrites le 31 mai 2024. D'autre part, la décision de sanction attaquée vise " les explications fournies par l'intéressé ". Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de sanction aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4137-15 du code de la défense, du caractère contradictoire de la procédure et du respect des droits de la défense doit être écarté.
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
6. En quatrième lieu, si le requérant soutient que la décision de sanction est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle ne précise pas la faute sanctionnée et la nature dont elle relève, ce moyen manque en fait dès lors que la motivation de décision du 21 juin 2024 mentionne les éléments retenus comme ayant un caractère fautif.
7. En cinquième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 4122-3 du code de la défense : " Le militaire est soumis aux obligations qu'exige l'état militaire conformément au deuxième alinéa de l'article L. 4111-1. Il exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article D. 4137-1 du code de la défense : " (...) Le militaire adhère à la discipline militaire, qui respecte sa dignité et ses droits. / La discipline militaire répond à la fois aux exigences du combat et aux nécessités de la vie en communauté. Elle est plus formelle dans le service qu'en dehors du service, où elle a pour objet d'assurer la vie harmonieuse de la collectivité. ". Aux termes de l'article R. 434-6 du code de sécurité intérieure : " I. - Le supérieur hiérarchique veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés. (...) ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que le rappelle la " charte du gendarme ", que le militaire de la gendarmerie qui exerce un commandement a des responsabilités et des devoirs proportionnels à son rang, à son grade et à ses fonctions et que les rapports qu'il entretient avec sa hiérarchie et ses subordonnés doivent être fondés sur une loyauté et un respect mutuels.
8. Il ressort des motifs de la décision attaquée que M. B... a été sanctionné pour n'avoir pas eu le comportement attendu d'un officier de gendarmerie, notamment en imposant une gestion du temps de travail contraire aux dispositions règlementaires en vigueur, en planifiant tardivement les services de ses subordonnés provoquant chez certains d'entre eux une souffrance au travail, en manquant de discernement dans la gestion et l'organisation des procédures judiciaires et en ayant des méthodes de commandement inadaptées. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de l'enquête administrative du 22 décembre 2023, que les retards pris dans la gestion des procédures judiciaires lui sont directement imputables et qu'il a imposé à ses subordonnés une gestion du temps de travail contraire aux dispositions règlementaires, de sorte que ces faits sont matériellement établis. En estimant que de tels faits sont constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
9. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / (...) e) Les arrêts (...) ". Eu égard à la qualité d'officier de M. B... et à la nature des fautes commises, l'autorité militaire, qui a pris en compte sa manière de servir et la situation difficile dont il a hérité en prenant son commandement, n'a pas, compte tenu de la nature des faits reprochés et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, commis d'erreur d'appréciation ou pris une sanction disproportionnée en lui infligeant une sanction du premier groupe de quinze jours d'arrêts avec dispense d'exécution.
10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a rejoint le groupement de gendarmerie départementale du Pas-de-Calais dans le cadre d'une mutation d'office, prise dans l'intérêt du service qui ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire. La seule circonstance que sa nouvelle affectation ne corresponde pas à l'un des vœux géographiques qu'il aurait formulé ne peut suffire à la faire regarder comme une sanction disciplinaire déguisée. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir qu'il aurait fait l'objet de deux sanctions disciplinaires pour les mêmes faits.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque et que ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.