Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 22000307 du 30 septembre 2024, enregistrée le 1er octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Pau a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, présentée à ce tribunal, par M. A... B....
Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Pau le 12 février 2022, et un mémoire en réplique, enregistré le 28 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 décembre 2021 par laquelle a été prononcée à son encontre la sanction de vingt jours d'arrêts ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le colonel commandant le 35ème régiment d'artillerie parachutiste a demandé sa mutation au titre du plan annuel de mutation pour 2022 ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de produire la décision du chef d'état-major de l'armée de terre qui l'écarte de toute perspective de temps de commandement en unité élémentaire ;
4°) d'annuler cette décision du chef d'état-major de l'armée de terre ;
5°) d'enjoindre au ministre des armées de le muter, dans le cadre du plan annuel de mutation pour 2025, au sein d'un régiment des forces, et de lui attribuer un temps de commandement en unité élémentaire au sein d'un régiment d'artillerie des forces.
Il soutient que :
- la décision de mutation prise à son encontre présente le caractère d'une sanction et n'est pas justifiée ;
- la sanction de vingt jours d'arrêt est disproportionnée et méconnait le principe d'égalité ;
- le refus de se soumettre à la vaccination contre la Covid 19 ne présente pas le caractère d'une faute dès lors que le schéma vaccinal exigé était illégal et ne pouvait lui être imposé et que son refus de se faire vacciner résultait ainsi de l'impossibilité d'exécuter un ordre manifestement illégal ;
- il ne s'est pas rendu inapte à l'exercice de ses fonctions contrairement à ce qui lui reproché ;
- contrairement à ce qu'indique le motif de la décision attaquée, il ignorait les conséquences disciplinaires de son refus de sa faire vacciner, et son comportement correspondait bien à ce qui est attendu de la part d'un officier ;
- contrairement à ce qu'indique le motif de la décision attaquée, il n'a pas mis en cause les directives et instructions applicables ;
- la décision du chef d'état-major de l'armée de terre lui refusant toute perspective de temps de commandement d'unité élémentaire (TCUE) est irrégulière en ce qu'elle a été prise par une autorité incompétente, qu'elle n'est pas motivée ni datée ni signée, qu'elle ne lui pas été notifiée et qu'elle a été prise sans qu'il ait eu communication préalable de son dossier ;
- cette décision est illégale en ce qu'elle constitue une sanction prise en dehors de tout fondement légal et en méconnaissance du principe non bis in idem.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient, d'une part, que les conclusions tendant à l'annulation de la décision de demande de mutation au titre du plan annuel de mutation pour 2022 sont irrecevables et, en tout état de cause, que les moyens dirigés contre cette décision ne sont pas fondés et, d'autre part, que les moyens dirigés contre la décision de sanction de vingt jours d'arrêts du 13 décembre 2021 ne sont pas fondés.
En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que le Conseil d'Etat était susceptible de se fonder sur le moyen d'ordre public, soulevé d'office, tiré de ce que les conclusions dirigées contre la décision du chef d'Etat d'état-major des armées présentées par M. B... dans son mémoire en réplique sont tardives et donc irrecevables.
Par un nouveau mémoire enregistré le 28 avril 2025, M. B... soutient que l'auteur de la décision contestée est le chef d'état-major de l'armée de terre et que ses conclusions dirigées contre cette décision sont recevables.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la décision d'exécution (UE) 2021/1073 du 28 juin 2021 ;
- le code de la défense ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié ;
- l'instruction de la ministre des armées n° 509040/ARM/DCSSA/ESSD du 29 juillet 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., lieutenant de l'armée de terre qui exerçait les fonctions de chef de section de tir au sein du 35ème régiment d'artillerie parachutiste, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 30 novembre 2021 par laquelle le colonel commandant ce régiment a demandé sa mutation au titre du " plan annuel de mutation pour 2022 (PAM 2022) ", ainsi que la décision du 13 décembre 2021 par laquelle ce même colonel l'a sanctionné de vingt jours d'arrêts à la suite de son refus de se faire vacciner contre la Covid-19, alors que cette vaccination était requise dans le cadre d'une mission à Djibouti à laquelle il devait participer en février 2022.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 30 novembre 2021 portant inscription au plan annuel de mutation pour 2022 :
2. Aux termes de l'article R. 351-4 du code de justice administrative : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance, pour constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions ou pour rejeter la requête en se fondant sur l'irrecevabilité manifeste de la demande de première instance ".
3. Si M. B... demande l'annulation de la décision par laquelle le colonel commandant le régiment dans lequel il était affecté a demandé son inscription au " PAM 2022 " en vue d'une future mutation dans une autre structure et soutient que cette mesure est injustifiée et présente le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée, un tel acte préparatoire à l'édiction d'une future décision de changement d'affectation ne peut être regardé comme lui faisant grief, et n'est donc pas susceptible d'être discuté devant le juge de l'excès de pouvoir. Ces conclusions sont, par suite irrecevables et il y a lieu pour le Conseil d'Etat de les rejeter par application de l'article R. 351-4 du code de justice administrative.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 13 décembre 2021 prononçant une sanction de vingt jours d'arrêts :
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
En ce qui concerne l'exactitude et le caractère fautif des faits reprochés :
5. En premier lieu, aux termes de l'article D. 4122-13 du code de la défense : " Les obligations en matière de vaccinations applicables aux militaires sont fixées par instruction du ministre de la défense ". Aux termes de l'article 1er de l'instruction du 29 juillet 2021 relative à la vaccination contre la Covid-19 dans les armées : " Conformément aux textes réglementaires (première et deuxième références), la vaccination contre la Covid-19 s'ajoute au calendrier vaccinal des armées ". Aux termes de l'article 3 de cette instruction : " Outre les obligations vaccinales définies par la loi, la vaccination contre la Covid-19 est obligatoire pour tout militaire : / (...) servant ou projeté pour raison de service hors du territoire métropolitain, quelles que soient la durée ou la nature de la mission ; (...) ".
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient le requérant, que les quatre vaccins mentionnés en annexe du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa version applicable au litige, se sont vu délivrer, par la Commission européenne, une autorisation de mise sur le marché conditionnelle les 21 décembre 2020, 6 janvier 2021, 29 janvier 2021 et 11 mars 2021, que le droit européen ne faisait pas obstacle à l'administration de ces vaccins pour lutter contre la Covid-19 et qu'ils ne peuvent être regardés comme présentant un caractère expérimental nécessitant un consentement libre et éclairé du receveur.
7. D'autre part, contrairement à ce que soutient le requérant, le décret d'application ainsi que l'avis de la Haute Autorité de Santé prévus au II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ont été respectivement publié et rendu le 7 août 2021 et le 4 août 2021. En tout état de cause, les dispositions de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 qui, afin de garantir la continuité des soins et de certains services grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles, déterminent les personnes directement impliquées dans la gestion de la crise sanitaire et comme telles assujetties à l'obligation vaccinale contre la Covid-19, n'ont pas privé la ministre des armées, responsable de l'emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées, de sa compétence pour rendre obligatoire, par voie d'instruction, la vaccination contre la covid-19 pour certaines catégories de militaires, cette obligation vaccinale étant directement liée aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de la fonction militaire.
8. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le schéma vaccinal en vigueur à la date du litige présentait un caractère illégal et que, dès lors, son refus de s'y soumettre ne présentait pas un caractère fautif mais résultait de son impossibilité d'exécuter un ordre manifestement illégal.
9. En deuxième lieu, si M. B... soutient que la sanction se fonde sur le motif erroné tiré de son inaptitude dès lors que son état physique et médical ne le rendait pas inapte à l'exercice de ses fonctions, il ressort des pièces du dossier que c'est à bon droit, en application des dispositions citées au point 5, que la décision attaquée a retenu que l'inexécution de l'ordre de se faire vacciner avait eu pour effet de le rendre inapte à la projection prévue à l'étranger.
10. En troisième lieu, si le requérant soutient que les motifs de la décision attaquée, tirés de ce qu'il ne pouvait ignorer les conséquences disciplinaires de son refus de se faire vacciner compte tenu de ses responsabilités de chef de section et de ce que son comportement n'était pas conforme à ce qui était attendu de la part d'un officier, sont inexacts, d'une part, l'absence d'information préalable sur la sanction susceptible d'être prononcée en cas d'inexécution d'un ordre est sans incidence sur la légalité de cette sanction, et, d'autre part, l'inadéquation entre le comportement du requérant et le devoir d'exemplarité attaché à son statut et à ses fonctions est établie par les pièces du dossier.
11. En quatrième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... n'est pas fondé à soutenir que le motif de la décision attaquée, tiré de ce qu'il a mis en cause les instructions et directives applicables, en refusant de se soumettre à l'ordre de vaccination et en qualifiant celui-ci de " manifestement illégal ", serait inexact.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :
12. Aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts ; / f) Le blâme du ministre (...) ".
13. Contrairement à ce que soutient M. B..., eu égard aux responsabilités qui lui étaient confiées en tant que chef de section de combat au sein d'un régiment d'artillerie, à la nature des manquements en cause, à leur conséquence sur l'organisation des opérations prévues et au devoir d'exemplarité attaché à son statut d'officier, l'autorité disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant vingt jours d'arrêts, relevant du premier groupe de sanctions, ni méconnu le principe d'égalité.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 13 décembre 2021 qui lui a infligé une sanction de vingt jours d'arrêts doivent être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du chef d'état-major de l'armée de terre révélée lors de l'entretien du 9 juin 2022 :
15. Les conclusions tendant à l'annulation d'une décision du chef d'état-major de l'armée de terre, révélée au requérant par sa hiérarchie le 9 juin 2022, qui l'écarterait de toute perspective de temps de commandement en unité élémentaire, n'ont été présentées, pour la première fois, que dans le mémoire en réplique enregistré le 28 février 2025, après l'expiration d'un délai raisonnable ayant couru à compter de la communication de cette décision. Ces conclusions, y compris celles à fin d'injonction, sont ainsi tardives et, par suite, irrecevables. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat de les rejeter par application de l'article R. 351-4 du code de justice administrative.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.