Vu la procédure suivante :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur verser la somme de 136 309,50 euros en réparation du préjudice qui résulterait du retard fautif de l'administration fiscale française à leur remettre un justificatif nécessaire à la restitution partielle d'une imposition prélevée par l'administration fiscale suisse. Par un jugement n° 1909479 du 20 avril 2021, ce tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21NC01765 du 30 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. et Mme B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 janvier, 29 avril et 26 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention signée le 9 septembre 1966 entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Serge Gouès, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B..., fiscalement domiciliés en France, ont présenté le 30 décembre 2011 une réclamation relative aux impositions sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 à 2009 en application du régime des travailleurs frontaliers sous lequel ils s'étaient placés. Au cours de l'instruction de cette réclamation, M. et Mme B... ont révélé à l'administration fiscale avoir omis de déclarer des dividendes de source suisse perçus en 2009, 2010 et 2011. Outre des déclarations de revenus rectificatives mentionnant ces dividendes, ils ont adressé à l'administration fiscale, le 8 octobre 2012, aux fins de certification, le formulaire de " demande de remboursement n° 83 de l'impôt anticipé suisse perçu sur les dividendes ", dit " formulaire modèle n° 83 ", destiné à obtenir de l'administration fiscale suisse le remboursement de la différence entre l'impôt anticipé, prélevé sur les dividendes au taux de 35 % en application de la législation suisse, et l'impôt établi au taux de 15 % prévu par la convention fiscale franco-suisse. Le formulaire certifié leur a été retourné le 24 novembre 2015, après l'expiration du délai de trois ans fixé par la législation suisse pour demander le remboursement de l'impôt anticipé. Les requérants ont, néanmoins, présenté le formulaire à l'administration fiscale suisse en mars 2016. Après que cette administration a rejeté leur demande et que les juridictions compétentes suisses en ont confirmé la tardiveté, M. et Mme B... ont demandé au ministre de l'économie et des finances, par lettre du 5 septembre 2019, la réparation du préjudice que leur aurait causé le retard fautif de l'administration fiscale française à leur délivrer la certification requise. A la suite du rejet implicite de cette demande, ils ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur payer la somme de 136 309,50 € en réparation de ce préjudice. M. et Mme B... demandent l'annulation de l'arrêt du 30 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur appel contre le jugement du 20 avril 2021 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté leur demande.
2. Aux termes des stipulations de l'article 1er de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 : " La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou de chacun des deux Etats ". Aux termes des stipulations de l'article 11 de cette convention : " 1. Les dividendes provenant d'un Etat contractant et payés à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. a) Les dividendes visés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l'Etat contractant d'où ils proviennent, et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l'autre Etat contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 p. cent du montant brut des dividendes (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 31 de la même convention : " 1. Les autorités compétentes des Etats contractants déterminent les modalités d'application de la présente Convention. (...) / 2. Pour obtenir dans un Etat contractant les avantages prévus par la présente convention, les résidents de l'autre Etat contractant doivent, à moins que les autorités compétentes en disposent autrement, présenter un formulaire d'attestation de résidence indiquant en particulier la nature ainsi que le montant ou la valeur des revenus ou de la fortune concernés, et comportant la certification des services fiscaux de cet autre Etat ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les autorités compétentes françaises et suisses sont convenues par échange de lettres des 28 août et 26 novembre 2008, pour l'application des stipulations citées au point 2, que le résident de France bénéficiaire de dividendes ou d'intérêts de source suisse doit, pour obtenir le remboursement de la fraction de l'impôt anticipé suisse perçu en excédent des taux prévus par la convention fiscale, présenter ou faire présenter par son représentant, le cas échéant, sur un formulaire " modèle n° 83 ", une demande transmise au centre des finances publiques dont il relève, afin que ce service atteste sur l'exemplaire prévu à cet effet, dans le cadre " Attestation " qui figure à cette fin au bas du verso de cet exemplaire qu'il rend ensuite au bénéficiaire ou à son mandataire, " que le créancier était aux dates indiquées (...) un résident de France, que les revenus indiqués (...) sont passibles des impôts directs français et qu'il veillera à leur imposition " à ce titre. Selon le commentaire du bulletin officiel des finances publiques publié sous la référence BOI-INT-CVB-CHE-10-20-30, l'administration fiscale conserve l'autre exemplaire prévu à cet effet, aux fins d'assurer l'imposition des revenus indiqués dans la demande, dans le cas notamment où ces revenus n'auraient pas encore été imposés au moment du dépôt de celle-ci.
4. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué qu'après avoir estimé qu'en ne délivrant que le 24 novembre 2015 à M. et Mme B... le visa du formulaire modèle n° 83 souscrit par ces derniers le 8 octobre 2012, l'administration fiscale n'avait pas traité leur demande dans un délai raisonnable, la cour administrative d'appel de Nancy a jugé qu'elle était, du fait de leur propre négligence à trois égards, exonérée de toute responsabilité au titre du préjudice qu'ils imputaient à ce retard.
5. Toutefois, en premier lieu, il résulte des stipulations citées au point 2 ainsi que des modalités adoptées pour leur mise en œuvre, décrites au point 3, que la certification du formulaire modèle n° 83 par l'administration fiscale française est seulement destinée à attester de la résidence fiscale en France du demandeur ainsi que de l'assujettissement aux impôts directs en France des revenus qu'il a mentionnés sur ce formulaire, sans qu'il puisse être exigé, contrairement à ce que soutient le ministre, que ces revenus aient été préalablement déclarés à l'administration fiscale française ni effectivement imposés en France à la date du dépôt de la demande de certification.
6. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que la cour administrative d'appel, en jugeant que la certification du formulaire modèle n° 83 par l'administration fiscale française attestait de la déclaration et de l'imposition préalables en France des revenus concernés, pour en déduire que la déclaration tardive, par les requérants, des dividendes en litige, exonérait l'administration fiscale de toute responsabilité du fait de son propre retard à délivrer la certification sollicitée, a commis une erreur de droit.
7. En deuxième lieu, les requérants sont fondés à soutenir que la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en retenant que la circonstance qu'ils auraient tardé à relancer l'administration fiscale était de nature à exonérer totalement celle-ci de sa responsabilité.
8. En troisième et dernier lieu, M. et Mme B... sont fondés à soutenir qu'en retenant, aux mêmes fins, qu'ils n'avaient remis à l'administration fiscale suisse le formulaire certifié par l'administration fiscale française le 24 novembre 2015 qu'en mars 2016, la cour administrative d'appel s'est fondée sur une circonstance inopérante, dès lors qu'il était constant qu'à cette date, leur droit à demander le remboursement de l'impôt anticipé suisse était forclos depuis le 1er janvier 2015 pour l'ensemble des dividendes concernés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à payer à M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 30 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire, et M. Serge Gouès, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 2 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Serge Gouès
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :