Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et de nouveaux mémoires enregistrés les 14 avril, 2 mai, 21 mai et 23 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret du 17 décembre 2024 par lequel le Président de la République a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa mise à la retraite d'office, à l'âge de 59 ans, le place dans une situation de particulière vulnérabilité économique en ce que, d'une part, alors qu'il doit faire face à des charges mensuelles d'un montant de 4250 euros, il sera privé de tout traitement jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge légal de départ à la retraite en 2029 et, d'autre part, il subira une décote à l'âge légal de départ à la retraite car il n'aura acquis que 143 trimestres de cotisation sur les 172 nécessaires ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée, dès lors qu'elle est fondée sur les conclusions d'une enquête administrative au cours de laquelle, d'une part, il n'a pas pu être assisté lors des interrogatoires et, d'autre part, il a fait l'objet de pressions directes de la part de son interrogateur, a été adoptée au terme d'une procédure portant une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ;
- cette décision est entachée d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas été informé de son droit de se taire et que, d'une part, il a contribué à sa propre incrimination par ses déclarations devant la commission administrative paritaire du fait de ce défaut de notification et, d'autre part, ses déclarations ont été déterminantes pour prononcer la sanction contestée ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il lui a été interdit d'interroger les " experts " ayant témoigné lors de la réunion de la commission administrative paritaire du 10 novembre 2023, alors que ceux-ci ont contribué à établir la matérialité des griefs retenus ;
- cette décision est fondée sur des faits dont la matérialité n'est pas établie, ou qui, à tout le moins, ne sauraient être qualifiés de fautifs ;
- la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée au regard des fautes qui lui sont reprochées ;
Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 29 avril, 22 mai et 27 mai 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 ;
- l'arrêté du 22 avril 2022 relatif aux commissions administratives paritaires compétentes à l'égard des fonctionnaires des ministères économiques et financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 6 mai 2025, à 11 h 00, à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction, et lors de l'audience publique du du 27 mai 2025, à 14 heures 30, à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction :
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- M. B... ;
- les représentantes du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction que M. B..., administrateur de l'Etat, a fait l'objet, par décret du Président de la République du 17 décembre 2024, d'une mise à la retraite d'office par mesure disciplinaire, pour avoir, dans les fonctions de directeur des opérations douanières qu'il a exercées, du 1er septembre 2014 au 18 juin 2017, à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières au sein de la direction générale des douanes et des droits indirects, poursuivi la collaboration de son service avec un aviseur dans des conditions méconnaissant les principes applicables à la gestion des aviseurs, et avoir sciemment et irrégulièrement modifié une note classifiée au titre du secret de la défense nationale en supprimant la mention relative à l'inscription de cet aviseur sur " liste noire ". M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ce décret.
3. D'une part, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une mesure de suspension de l'exécution d'un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.
4. Le décret du 17 décembre 2024 prononçant la sanction de mise à la retraite d'office de M. B... a pour effet de priver ce dernier, définitivement, de son traitement de fonctionnaire. Le ministre de l'économie et des finances ne justifie pas de circonstances particulières permettant de renverser la présomption d'urgence qui en découle en se bornant à soutenir que M. B... est en droit de percevoir des allocations d'assurance-chômage, pour un montant au demeurant non déterminé en l'état de l'instruction, et que la décision attaquée ne lui interdit pas de retrouver un autre emploi.
5. D'autre part, le moyen tiré de ce que la sanction de mise à la retraite d'office infligée à M. B... est disproportionnée au regard des fautes qui lui sont reprochées est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution du décret du 17 décembre 2024 prononçant la mise à la retraite d'office de M. B... est suspendue.
Article 2 : l'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Fait à Paris, le 28 mai 2025
Signé : Stéphane Verclytte