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23/05/2025 | FRANCE | N°500255

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 mai 2025, 500255


Vu les procédures suivantes :



La société Wifirst a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure engagée le 23 avril 2024 par l'Economat des armées pour la passation d'un accord-cadre portant sur la mise en œuvre et la délivrance de services de télécommunication de loisirs à destination des parties prenantes collectives et individuelles autorisées par le ministère des armées en France et à l'étranger, s'agissant des seuls lots n

°s 1 et 2.



Par une ordonnance n° 2417237 du 19 décembre 2024,...

Vu les procédures suivantes :

La société Wifirst a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure engagée le 23 avril 2024 par l'Economat des armées pour la passation d'un accord-cadre portant sur la mise en œuvre et la délivrance de services de télécommunication de loisirs à destination des parties prenantes collectives et individuelles autorisées par le ministère des armées en France et à l'étranger, s'agissant des seuls lots n°s 1 et 2.

Par une ordonnance n° 2417237 du 19 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a annulé la procédure de passation du contrat en litige.

1° Sous le n° 500255, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et 17 janvier et le 18 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Economat des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Wifirst ;

3°) de mettre à la charge de la société Wifirst la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 d

Il soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a :

- commis des erreurs de droit, méconnu son office, inexactement qualifié et dénaturé les faits en déduisant l'existence d'un manquement à l'impartialité et d'une atteinte au principe d'égalité de traitement, de la seule présence au sein des effectifs de l'un des candidats d'un salarié précédemment employé par l'acheteur public ;

- insuffisamment motivé son ordonnance, commis une erreur de droit, inexactement qualifié et dénaturé les faits en déduisant de la seule divulgation d'informations confidentielles, antérieure à la procédure de passation, l'existence d'une atteinte au principe d'égalité de traitement ;

- commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en annulant la procédure de passation du marché sans caractériser en quoi la divulgation d'informations confidentielles était susceptible d'avoir lésé la société Wifirst.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et 30 avril 2025, la société Wifirst conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Economat des armées la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par l'Economat des armées ne sont pas fondés.

Le pourvoi a été communiqué à la société Passman, qui n'a pas produit d'observations.

Sous le n° 500258, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 et 20 janvier et le 22 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Passman demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Wifirst ;

3°) de mettre à la charge de la société Wifirst la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a :

- insuffisamment motivé son ordonnance et commis une erreur de droit en jugeant que la procédure de passation du marché a été menée dans des conditions contrevenant aux principes d'égalité de traitement et d'impartialité ;

- commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en déduisant l'existence d'un manquement à l'impartialité de la seule présence au sein des effectifs de l'un des candidats d'un salarié précédemment employé par l'acheteur public ;

- commis une erreur de droit, inexactement qualifié et dénaturé les faits en jugeant que la seule présence au sein des effectifs de l'un des candidats d'un salarié précédemment employé par l'acheteur public contrevenait à l'égalité de traitement entre les candidats ;

- commis une erreur de droit, inexactement qualifié et dénaturé les faits en statuant sur le fondement de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique sans caractériser l'existence d'une cause d'exclusion de la société Passman ;

- insuffisamment motivé son ordonnance, commis une erreur de droit et inexactement qualifié et dénaturé les faits en déduisant de la seule divulgation d'informations confidentielles, a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en annulant la procédure de passation du marché sans caractériser en quoi la divulgation d'informations confidentielles était susceptible d'avoir lésé la société Wifirst ;

- commis une erreur de droit, inexactement qualifié et dénaturé les faits, en statuant sur le fondement de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique sans caractériser en quoi l'offre de la société Passman devait être considérée comme irrégulière, inacceptable ou inappropriée au sens de ce texte.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et 30 avril 2025, la société Wifirst conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Passman la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la société Passman ne sont pas fondés.

Le pourvoi a été communiqué à l'Economat des armées, qui n'a pas produit d'observations.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Economat des armées , à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Wifirst et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Passman ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 15 mai 2025, sous les n°s 500255 et 500258, présentées par la société Wifirst ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de l'Economat des armées et de la société Passman sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'Economat des armées a lancé, le 24 janvier 2023, une procédure de renouvellement d'un marché, dit A... 2023, de mise en œuvre et de délivrance de services de télécommunication de loisir au profit du personnel militaire et civil stationné sur les sites du ministère des armées. Cette procédure ayant été déclarée sans suite le 15 juin 2023, l'Economat des armées a relancé une deuxième procédure de renouvellement du même marché, dit A... 2024, divisé en trois lots, le 24 avril 2024. Les sociétés Wifirst et Passman ont présenté chacune une candidature et ont été admises à présenter une offre pour les trois lots. Pour les lots n° 1 et n° 2, les offres de la société Passman ont été retenues. La société Wifirst a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à l'annulation de la procédure de passation s'agissant des seuls lots n°1 et n°2. L'Economat des armées et la société Passman se pourvoient contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés a fait droit à cette demande.

4. Aux termes de l'article L. 3 du code de la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. ". Aux termes de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique: " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui : (...) / 2° Soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens. ".

5. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés s'est fondé sur la circonstance " qu'un salarié de la société Passman était précédemment employé, pendant plus de huit ans, à des fonctions opérationnelles comme administrateur de l'Economat " et que " ces fonctions ont perduré alors même que ce salarié exerçait des fonctions dans la société Passman " pour en déduire l'existence d'une atteinte aux principes d'égalité de traitement des candidats et d'impartialité. Toutefois, d'une part, la seule circonstance qu'un salarié d'une société candidate ait été employé par l'acheteur est, par elle-même, insusceptible d'affecter l'impartialité de ce dernier. D'autre part, en se fondant sur la seule " présence dans les effectifs de la société Passman, d'un salarié de la société issu de l'Economat ", sans rechercher si ce salarié avait, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique citées au point 4, eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats par sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. En second lieu, il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a également estimé que l'Economat des armées avait porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats en diffusant, " lors de la mise en ligne du dossier de consultation des entreprises en vue du renouvellement du contrat " " des informations portant sur le marché encore en cours et contenant, notamment, des éléments concernant le service et les prix pratiqués par la société Wifirst ". L'Economat des armées et la société Passman sont fondées à soutenir qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les mesures prises par l'Economat des armées consistant à déclarer sans suite la première procédure de passation au cours de laquelle elle s'était produite et à laisser s'écouler un délai d'un an avant de lancer une nouvelle procédure de passation d'un marché structuré différemment avaient été de nature à remédier à cette diffusion accidentelle d'informations confidentielles, le juge des référés a commis une erreur de droit.

7. Il ressort de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

9. En premier lieu, la circonstance que l'un des salariés de la société Passman aurait pu obtenir, à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail ou dans le cadre de ses fonctions d'administrateur de l'Economat des armées, qui avaient pris fin avant le lancement de la procédure de passation en litige, des informations qui pouvaient être susceptibles de conférer à son nouvel employeur un avantage concurrentiel, est par elle-même insusceptible d'affecter l'impartialité de l'acheteur public. La société Wifirst, qui n'allègue au soutien de son moyen aucun autre élément, n'est pas fondée à soutenir que l'Economat des armées aurait manqué à son obligation d'impartialité. Dès lors, le moyen doit être écarté.

10. En second lieu, d'une part, s'il ressort des informations publiées par l'Economat des armées au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales que M. B... a fait partie du conseil d'administration de l'Economat des armées au moins jusqu'en mars 2023, il résulte de l'instruction qu'il n'a participé à aucune réunion ni pris part d'une quelconque manière dans leur organisation après février 2022. Dans ces conditions et au regard des missions dévolues au conseil d'administration par l'article R. 3421-5 du code de la défense, ces fonctions ne sauraient par elles-mêmes être regardées comme lui ayant donné accès à des informations sur l'élaboration du projet de marché susceptibles de créer une distorsion de concurrence.

11. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. B... a occupé, au sein de l'Economat des armées, les fonctions de directeur du projet A... et qu'il a, en cette qualité, assuré le suivi de l'exécution du premier marché conclu en 2018 avec la société Wifirst et a été destinataire des grilles d'auto-évaluation établies par la société Wifirst dans le cadre du retour d'expérience sur ce premier marché. Il a ainsi pu avoir accès à des informations ignorées des autres soumissionnaires ou candidats susceptibles de créer une distorsion de concurrence, dont celles qui ont par la suite fait l'objet d'une diffusion accidentelle dans le dossier de consultation des entreprises du marché A... 2023. Toutefois, ces fonctions opérationnelles de M. B... ont pris fin par la rupture conventionnelle de son contrat de travail avec dispense d'activité à compter du 6 juin 2022, M. B... étant en outre en arrêt maladie continu depuis le 11 mars 2022, soit deux années avant le lancement de la procédure de passation en litige. De même, il n'est pas contesté par la société Wifirst que les données diffusées accidentellement concernaient les prix pratiqués par cette dernière dans le cadre du contrat conclu en 2018, soit plusieurs années auparavant.

12. Enfin, le marché A... 2024 en litige, dont la procédure de passation a été lancée une année après qu'une première procédure a été déclarée sans suite en raison de la diffusion accidentelle de données confidentielles, s'il répond au même besoin et comporte donc des similarités techniques importantes avec le précédent marché, a été alloti entre trois zones géographiques et modifié notamment sur la structuration tarifaire, passant d'un forfait " par lit " à un forfait " par site ", imposant une modification de l'assise des prix proposés dans les offres soumises par les candidats.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Wifisrt n'établit pas que les informations auxquelles la société Passman aurait pu avoir accès par l'intermédiaire de son salarié comme par la diffusion accidentelle des données liées à l'exécution du précédent marché étaient susceptibles de créer à l'avantage de la société Passman une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats et qu'en n'excluant pas cette société de la procédure l'Economat des armées aurait méconnu les dispositions précitées du 2° de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique et méconnu ses obligations de transparence et de mise en concurrence.

14. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure ".

15. Contrairement à ce qu'allègue la société Wifirst, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des spécifications du cahier des clauses techniques particulières et des réponses apportées par l'Economat des armées aux questions des soumissionnaires relatives au nombre de bornes, à l'absence de précision de la configuration précise des bâtiments à servir ou aux données quantitatives de référence, que ce dernier n'aurait pas déterminé avec suffisamment de précision la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en méconnaissance des dispositions citées au point précédent.

16. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société Wifirst devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil doit être rejetée.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Wifirst une somme de 4 500 euros à verser, d'une part, à l'Economat des armées et, d'autre part, à la société Passman au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Economat des armées et de la société Passman qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 19 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Wifirst devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La société Wifirst versera à l'Economat des armées et à la société Passman la somme de 4 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Economat des armées et aux sociétés Wifirst et Passman.

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Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 500255
Date de la décision : 23/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 mai. 2025, n° 500255
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Goyet
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500255.20250523
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