Vu la procédure suivante :
M. B... D..., Mme C... D... et Mme A... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 septembre 2024 par lequel le maire de Morillon (Haute-Savoie), après leur avoir enjoint, par un arrêté de mise en demeure du 30 juillet 2024, d'effectuer les opérations nécessaires au respect de la réglementation d'urbanisme, a, en application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, prononcé à leur encontre une astreinte de 300 euros par jour pour obtenir l'exécution du précédent arrêté. Par une ordonnance n°2409276 du 26 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leur demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 et 23 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Morillon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mmes D... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Commune de Morillon et au cabinet François Pinet, avocat de Mme C... D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte des dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme que l'autorité compétente peut, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, mettre en demeure l'intéressé, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, le cas échéant sous astreinte, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires.
3. Eu égard à la gravité des conséquences qu'emporte une mise en demeure, prononcée en application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, lorsqu'elle prescrit une mise en conformité qui implique nécessairement la démolition de constructions, la condition d'urgence est en principe satisfaite en cas de demande de suspension de son exécution présentée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, par le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet. Il ne peut en aller autrement que dans le cas où l'autorité administrative justifie de circonstances particulières faisant apparaître, soit que l'exécution de la mesure de démolition n'affecterait pas gravement la situation du propriétaire, soit qu'un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un courrier du 30 juillet 2024, reçu le 24 août suivant, la commune de Morillon (Haute-Savoie) a mis en demeure M. B... D... et Mme C... D... d'effectuer les opérations nécessaires au respect de la réglementation d'urbanisme et de l'environnement pour des parcelles dont ils sont propriétaires, consistant en une remise en état complète du terrain jusqu'à son niveau naturel avant travaux et la démolition de trois constructions annexes, dans un délai de quinze jours. Par un arrêté du 30 septembre 2024, le maire de Morillon a, sur le fondement de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, prononcé à leur encontre une astreinte d'un montant journalier de 300 euros jusqu'à la satisfaction de la mise en demeure dont ils avaient été destinataires. La commune de Morillon se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 26 décembre 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a suspendu l'exécution de cet arrêté sur le fondement de l'article L 521-1 du code de justice administrative.
5. Pour prononcer la suspension demandée, le juge des référés du tribunal administratif s'est borné à retenir que l'astreinte, eu égard à son montant, était de nature à affecter la situation des propriétaires et qu'aucun intérêt public ne s'attachait à la démolition d'un poulailler. En statuant ainsi, sans notamment rechercher si, comme le soutenait la commune de Morillon en défense pour renverser la présomption d'urgence, il existait un intérêt public à exécuter rapidement la décision litigieuse dès lors que les trois constructions litigieuses, situées dans une zone exposée à un risque torrentiel fort, étaient, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter atteinte à la sécurité publique, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Morillon est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Mme D... et autres soutiennent que l'arrêté dont ils demandent la suspension de l'exécution est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'ils n'ont pas eu connaissance du procès-verbal d'infraction dressé à leur encontre le 23 février 2023, que la mise en demeure du 30 juillet 2024 est insuffisamment motivée, que l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ne leur est pas applicable dès lors que les trois constructions annexes qu'ils ont édifiées et les exhaussements de terrain qu'ils ont réalisés, avec l'accord verbal du précédent maire, d'ailleurs antérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions et de celles du plan de prévention des risques naturels (PPRn), n'étaient pas soumis à autorisation préalable, qu'en tout état de cause, ces travaux d'exhaussement ne se situent pas en zone rouge du PPRn, et que l'arrêté attaqué, qui est insuffisamment motivé, fait une application rétroactive illégale de l'arrêté municipal du 10 avril 2024 relatif aux astreintes.
8. Aucun de ces moyens n'est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 30 septembre 2024 en litige. Il s'ensuit que l'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de son exécution.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Morillon qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge conjointe de Mme D... et autres la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Morillon au titre de la procédure de première instance et de cassation sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 26 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : La demande de Mme D... et autres est rejetée.
Article 3 : Mme D... et autres verseront conjointement à la commune de Morillon la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de Mme D... et autres tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Morillon et à Mme C... D..., première dénommée des défendeurs.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville