Vu les procédures suivantes :
Le syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets " a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 mars 2022 par lequel le maire de Courchevel (Savoie) a délivré à Mme A... B... et à la société Scalottas un permis de construire de régularisation, pour la construction d'un immeuble de six appartements sur un terrain situé 135, route du Petit Morlond, sur une parcelle cadastrée section AH 227, ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 2206046 du 17 octobre 2023, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
1° Sous le n°492631, par une ordonnance n° 23LY03915 du 13 mars 2024, enregistrée le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de cette cour le 18 décembre 2023, présentée par la commune de Courchevel. Par cette requête et par un nouveau mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 28 mai 2024, la commune de Courchevel demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 17 octobre 2023 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets " la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 492653, par une ordonnance n° 23LY03850 du 13 mars 2024, enregistrée le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de cette cour le 14 décembre 2023, présentée par Mme B... et la société Scalottas. Par cette requête ainsi que par un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 août et 23 octobre 2024, Mme B... et autre demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 17 octobre 2023 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets " la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la commune de Courchevel, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets ", au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Scalottas et de Mme A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des arrêtés des 23 novembre 2009 et 5 octobre 2010, le maire de Saint-Bon-Tarentaise a délivré à Mme A... B... et à la société Scalottas un permis de construire et un permis de construire modificatif pour la démolition et la reconstruction d'un ensemble immobilier de six logements sur cinq niveaux à Courchevel 1 650. Ces arrêtés ont été annulés par un jugement du tribunal administratif de Grenoble, confirmé par un arrêt du 28 mai 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon, alors que la construction était achevée. Le nouveau permis de construire délivré le 16 juillet 2013 par le maire de Courchevel afin d'assurer la régularisation de la construction a été annulé par un jugement du 7 juillet 2015 du même tribunal, confirmé par un arrêt de la même cour. L'arrêté du 15 mars 2022 du maire de Courchevel délivrant un nouveau permis de construire de régularisation, a également été annulé par un jugement du 17 octobre 2023 du tribunal administratif de Grenoble à la demande du syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets ". La commune de Courchevel, d'une part, sous le n°492631, et Mme B... et la société Scalottas, d'autre part, sous le n° 492653, se pourvoient en cassation contre ce dernier jugement.
2. Ces pourvois présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.
Sur l'intervention de Mme B... et de la société Scalottas dans l'instance n°492631 :
3. Mme B... et la société Scalottas justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du jugement attaqué. Leur intervention est dès lors recevable.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne l'intérêt pour agir du syndicat de copropriétaires devant le tribunal administratif :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous les éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat, justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme : " Les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l' article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation , du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien par le requérant ".
7. Il résulte des termes du jugement attaqué que, pour juger que le syndicat requérant justifiait d'un intérêt pour agir, répondant ainsi à la règle de recevabilité fixée par l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, le tribunal administratif a relevé qu'il représentait les copropriétaires de la résidence " Les Bleuets ", située à proximité immédiate de l'immeuble Scalottas et dont le tènement est grevé d'une servitude permettant la desserte de cet immeuble, et tenu compte de la nature et de l'importance de la construction en cause. Ce faisant, le tribunal administratif, qui a pu, sans erreur de droit, juger qu'un syndicat de copropriétaires n'avait pas besoin de présenter de document pour établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien en application de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme, n'a pas commis d'erreur de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis.
En ce qui concerne la note en délibéré :
8. A la supposer établie, la circonstance que le tribunal administratif se serait fondé sur la note en délibéré produite par Mme B... et la société Scalottas, qu'il n'a pas communiquée, n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à leur égard ni à l'égard de la commune, qui était, comme eux, partie en défense dans l'instance devant le tribunal administratif. Elle ne peut donc pas être utilement invoquée, ni par celle-ci, ni par eux-mêmes.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité du permis de construire en litige :
9. En jugeant, d'une part, que la plateforme, implantée dans la bande de prospect de 4 mètres, destinée à l'aménagement de trois places de stationnement et qui dépasse le niveau du sol naturel en limite séparative, constituait une construction implantée en méconnaissance de l'article UB 7 du règlement du plan local d'urbanisme relatif à la distance aux limites séparatives, et non la partie enterrée d'une construction ni un simple mur de soutènement, et, d'autre part, que la suppression de trois places de stationnement, sur les sept existantes, entraînait une méconnaissance des dispositions de l'article UB 12 de ce règlement qui imposent, en l'espèce, la création de six places de stationnement, le tribunal administratif a porté, sur les faits de l'espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis, une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit.
En ce qui concerne la régularisation :
10. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé ". Selon l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".
11. Il résulte de ces dispositions qu'un vice entachant le bien-fondé d'une autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé dans les conditions qu'elles prévoient, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
12. Après avoir retenu que le projet était entaché du vice, mentionné au point 9, résultant du déficit de deux places de stationnement sur les six imposées par le projet, le tribunal a écarté la possibilité que ce vice soit susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ou d'une annulation partielle en application de l'article L. 600-5 du même code au motif qu'il n'était pas possible, en l'état de l'instruction, de créer deux places supplémentaires sur le terrain d'assiette du projet et que le box de stationnement situé dans une autre copropriété située à 80 mètres du terrain, dont la société Scalottas se prévalait, n'était pas un box double.
13. Toutefois, en fondant son appréciation notamment sur la construction existante, sans tenir compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer son projet, en dépit de son état d'avancement, et d'en revoir, le cas échéant, l'économie générale sans en changer la nature et en excluant toute possibilité de trouver ou de créer, le cas échéant hors du terrain d'assiette de l'immeuble, d'autres places de stationnement, le tribunal a commis une erreur de droit.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Courchevel, d'une part, et Mme B... et la société Scalottas, d'autre part, sont fondées à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge ni du syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets ", ni de la commune de Courchevel, de Mme B... et de la société Scalottas, une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de Mme B... et de la société Scalottas est admise.
Article 2 : Le jugement du 17 octobre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans la même mesure, au tribunal administratif de Grenoble.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Courchevel, à Mme A... B..., première dénommée des intervenants dans l'affaire n°492631 et première dénommée des requérants dans l'affaire n°492653, et au syndicat des copropriétaires de la résidence " Les Bleuets ".
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville