Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) Amna et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 09/2019 du 11 février 2019 par laquelle la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a décidé d'exercer son droit de préemption sur un immeuble situé à Saint-Pierre. Par un jugement n° 1900235 du 24 novembre 2020, le tribunal administratif a fait droit à leur demande et a annulé cette délibération.
Par un arrêt n° 21BX00733 du 25 mai 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et rejeté la demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés 24 juillet et 24 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Amna et M. B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
3°) de mettre à la charge de cette collectivité territoriale la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le règlement d'urbanisme local de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Maître Goldman Laurent, avocat de la SCI Amna et de M. B... et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la société collectivité territoriale de Saint Pierre et Miquelon ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une délibération du 11 février 2019, la collectivité territoriale de Saint Pierre et Miquelon a exercé son droit de préemption sur un immeuble situé à Saint Pierre. La SCI Amna, acquéreur évincé, et M. B..., son dirigeant, se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Saint Pierre et-Miquelon du 24 novembre 2020 ayant annulé cette délibération, et a rejeté leur demande.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 74 de la Constitution : " Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe : - les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ; -les compétences de cette collectivité ; sous réserve de celles déjà exercées par elle, le transfert de compétences de l'Etat ne peut porter sur les matières énumérées au quatrième alinéa de l'article 73, précisées et complétées, le cas échéant, par la loi organique (...) ". Aux termes du II de 1'article LO 6414-1 du code général des collectivités territoriales : La collectivité fixe les règles applicables dans les matières suivantes : (...) / 3° Urbanisme ; construction ; habitation ; logement ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 33 du règlement d'urbanisme local : " Il est institué un droit de préemption au bénéfice de la Collectivité Territoriale sur l'ensemble du territoire de Saint-Pierre et Miquelon. / Sont soumis à ce droit de préemption / 1° Tout immeuble ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble, bâti ou non bâti, lorsqu'ils sont aliénés, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit, / 2° Les cessions de droits indivis portant sur un immeuble ou une partie d'immeuble, bâti ou non bâti. / 3° Les cessions de la majorité des parts d'une société civile immobilière ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de ladite société, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession serait soumise au droit de préemption. / Le droit de préemption peut être délégué à un établissement public de la Collectivité, conformément à sa compétence, par délibération du Conseil Territorial ".
4. L'illégalité de l'acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la délibération du 6 octobre 2017 a notamment pour objet, s'agissant de l'article 33 du règlement d'urbanisme local, d'étendre, à l'ensemble de son territoire, le périmètre du droit de préemption de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui s'exerçait précédemment à l'intérieur de zones d'interventions foncières. Par suite, en jugeant que la délibération du 6 octobre 2017 en tant qu'elle modifiait l'article 33 du règlement d'urbanisme local pour instituer un droit de préemption sur l'ensemble du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon ne revêtait pas, dans cette mesure, de caractère réglementaire et, que celle-ci étant devenue définitive, la SCI Amna n'était pas recevable à exciper de son illégalité et, par suite, de son inconstitutionnalité, à l'appui de sa demande d'annulation de la délibération du 11 février 2019, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En second lieu, la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la SCI Amna en jugeant que le détournement de pouvoir allégué n'était pas établi, n'a pas non plus insuffisamment motivé son arrêt dans sa réponse au moyen tiré de l'absence de réalité du projet pour lequel le droit de préemption avait été exercé.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Amna et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Amna et de M. B... la somme de 4 000 euros à verser à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SCI Amna et de M. B... est rejeté.
Article 2 : La SCI Amna et M. B... verseront la somme totale de 4 000 euros à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCI Amna, première dénommée des requérants, et à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville