Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 21 février 2025 par laquelle la commission des sanctions de la Haute autorité de l'audit a prononcé sa radiation de la liste des commissaires aux comptes et la publication de la décision, sous forme non anonyme, sur le site internet de la Haute autorité pour une durée de cinq ans ;
2°) de mettre à la charge de la Haute autorité de l'audit la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'exécution de la décision contestée lui cause, d'une part, un préjudice moral et professionnel en ce qu'elle est susceptible d'emporter des conséquences sur sa réputation professionnelle et sur ses missions en cours, lesquelles ne pourront pas être réparées par la procédure engagée au fond et, d'autre part, un préjudice financier et économique puisqu'elle est privée de tout revenu professionnel en tant que commissaire aux comptes ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle est insuffisamment motivée dès lors que la commission des sanctions de la Haute autorité de l'audit ne s'est pas prononcée sur des éléments pertinents de nature à atténuer la sanction tels que l'absence de sanction disciplinaire antérieure, sa collaboration pendant l'enquête, la perturbation de son activité par la résurgence de l'épidémie de Covid-19, le caractère isolé des manquements qui ne portent que sur un mandat, l'amélioration du contrôle interne de l'entreprise et un meilleur suivi de sa part de la formation continue ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit en ce que la commission des sanctions a écarté le grief tiré de l'absence de notification de son droit de se taire alors que, d'une part, elle n'a pas été informée de ce droit au cours de l'audition du 20 juillet 2023, que la sanction est fondée sur des réponses données au cours de cette audition et, d'autre part, en exigeant d'elle qu'elle démontre l'existence d'un grief résultant de la méconnaissance de cette garantie pour que cette violation soit prise en compte ;
- elle est entachée d'inexacte qualification juridique des faits et de dénaturation des faits dès lors qu'il ressort de l'état de facturation du fournisseur et des feuilles de travail produites devant la commission des sanctions qu'elle a réalisé des diligences sur les comptes d'achats de matières premières et autres achats ;
- elle est entachée d'inexacte qualification juridique des faits et de dénaturation des faits en ce qu'elle retient qu'elle a manqué à ses obligations professionnelles en ce qui concerne les diligences portant sur les comptes relatifs aux " achats de matières premières ", aux " dettes fournisseurs ", aux " autres dettes " et aux " autres créances " alors que les éléments produits établissent qu'elle a agi en conformité avec les normes d'exercice professionnel 330 et 700 ;
- elle est entachée d'erreur de droit, de dénaturation des faits et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle se fonde, s'agissant du poste " travaux en cours ", sur l'existence d'écarts inexpliqués entre le montant des marchés et les produits au titre de 2019 pour deux affaires, alors qu'il s'agit d'affaires distinctes de sorte que, d'une part, le seuil de signification devait être apprécié séparément et, d'autre part, que le seuil de signification n'a été franchi pour aucune d'elles ;
- elle est entachée d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle se fonde, s'agissant du compte " Banque ", sur l'existence d'une anomalie significative sur le compte bancaire LCL, alors que le relevé bancaire LCL au 31 décembre 2019 présentait un solde créditeur cohérent et concordant avec le rapprochement bancaire fourni par la société L2V Ascenseurs à la même date et que l'échange avec la dirigeante lors de l'audit avait permis de vérifier le dénouement des opérations sans qu'elle ait eu besoin ou l'obligation de tenir compte de la réponse de la banque à la circularisation qui, ayant été remise par le comptable de la société et non par la banque elle-même, a été regardé par elle comme étant moins fiable que le relevé bancaire établi au 31 décembre 2019 ;
- elle est entachée d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle se fonde sur la méconnaissance de la norme d'exercice professionnel 330 pour plusieurs postes significatifs alors que, d'une part, la délimitation du champ de l'audit relève du jugement professionnel du commissaire aux comptes, et, d'autre part, qu'elle n'avait pas à se fonder sur la connaissance des difficultés rencontrées par ses prédécesseurs dès lors qu'un commissaire aux comptes doit mener ses diligences en toute indépendance et en exerçant son propre jugement professionnel ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle retient qu'elle ne pouvait certifier sans réserve les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2019, alors, d'une part, que la commission des sanctions n'a pas recherché si les réserves qu'elle a émises sur la continuité de l'exploitation avaient été établies conformément aux normes d'exercice professionnel de telle sorte que sa position se trouvait justifier ainsi que l'a constaté un rapport indépendant et, d'autre part, qu'elle n'a pas davantage tenu compte de ce que, pendant la période de crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, il était possible d'émettre des observations avec renvoi en annexe au rapport d'audit ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle retient qu'elle a manqué à l'obligation de déclaration de soupçons au service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) alors, en premier lieu, qu'il ne s'agit que d'une mission d'appui, préventive et complémentaire à celle du service Tracfin, en deuxième lieu, qu'elle n'avait pas connaissance de la nature délictueuse des faits en cause, n'ayant pas été mesure de détecter le caractère frauduleux du système mis en place compte tenu de son degré élevé de sophistication, en troisième lieu, que, lorsqu'elle en a été informée, les éléments étaient déjà connus et révélés de telle sorte que l'obligation de transmission à Tracfin était sans intérêt, la procédure de redressement judiciaire ayant par ailleurs mis un coup d'arrêt aux opérations de la société et, en dernier lieu, qu'elle a procédé à un signalement auprès du procureur de la République ;
- la sanction principale est manifestement disproportionnée, en premier lieu, eu égard à la gravité des faits qui lui sont reprochés, en deuxième lieu, en ce qu'elle ne tient pas compte de l'existence de circonstances atténuantes, méconnaissant ainsi l'obligation d'individualisation des peines et, en dernier lieu, dès lors qu'elle est fondée sur un critère non prévu par la loi tiré du caractère délibéré des faits reprochés ;
- eu égard à ses effets sur son activité d'expert-comptable et à sa situation, la publication sous une forme non anonyme s'avère inadaptée et, par suite, disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2025, la Haute autorité de l'audit conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, la Haute autorité de l'audit ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 avril 2025, à 15 heures :
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Mme B... ;
- Me Melka, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la Haute autorité de l'audit ;
- la représentante de la Haute autorité de l'audit ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 28 avril 2025, à 14 heures ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 28 avril 2025, présenté par Mme B... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de commerce ;
- le code monétaire et financier ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience et à la suite de celle-ci, que Mme B..., inscrite sur la liste des commissaires aux comptes rattachée à la compagnie des commissaires aux comptes de Paris depuis le 7 novembre 2018, exerce cette activité en son nom propre et, en parallèle, depuis 2017, la profession d'expert-comptable, cette activité étant exercée dans le cadre d'une société qu'elle dirige. A la suite de la démission de deux commissaires aux comptes, elle a été désignée le 9 juillet 2020, pour un mandat d'une durée de six exercices, comme commissaire aux comptes titulaire de la société L2V Ascenseurs qui exerçait une activité de réparation, modernisation et maintenance d'ascenseurs principalement auprès de personnes publiques. Il s'agissait de son premier et unique mandat en 2020. Elle a, par la suite, bénéficié de six autres mandats de commissaires aux comptes avec d'autres sociétés de 2021 à 2025. A la suite de la saisine à l'époque du Haut conseil aux commissaires aux comptes (H3C, désormais dénommée Haute autorité de l'audit) par un ancien commissaire aux comptes de la société L2V Ascenseurs, sur saisine de la présidente du Haut conseil, son rapporteur général a ouvert une enquête en janvier 2022 à propos de faits susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires imputables à différents commissaires aux comptes de la société L2V Ascenseurs. Le 9 novembre 2023, à l'issue de l'enquête, la formation collégiale du collège du H3C a décidé d'engager une procédure de sanction notamment à l'encontre de Mme B.... Par une décision du 21 février 2025, la commission des sanctions de la Haute autorité de l'audit a prononcé, à son encontre, la sanction de radiation de la liste des commissaires aux comptes et décidé que sa décision sera publiée, sous forme non anonyme, sur le site internet de la Haute autorité de l'audit pour une durée de cinq années à compter de sa notification à la présidente de la Haute autorité de l'audit. Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 21 février 2025.
3. La décision de sanction en litige est fondée sur trois catégories de griefs. En premier lieu, il est reproché à Mme B... de n'avoir pas respecté les normes légales d'audit au regard des exigences particulières du code du commerce et des normes professionnelles applicables, d'une part, en ce qu'elle n'a pas effectué les diligences nécessaires portant sur les comptes très significatifs relatifs aux " achats de matières premières ", aux " dettes fournisseurs ", aux " autres dettes " et aux " autres créances " et, d'autre part, en ce qu'elle a certifié des comptes en dépit de la constatation d'anomalies et incertitudes significatives sur le chiffre d'affaires, les créances clients et les travaux en cours. En deuxième lieu, il lui est reproché de n'avoir pas respecté son obligation de formation professionnelle continue entre 2019 et 2022 prévu par l'article L. 822-4 du code du commerce. Il lui est enfin reproché de n'avoir pas respecté son obligation de déclaration de soupçons au service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) résultant de l'article L. 561-15 du code monétaire et financier.
4. Pour caractériser l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, Mme B... soutient, en premier lieu, que la décision contestée est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne s'est pas prononcée sur différents motifs qui auraient dû conduire à une atténuation de la sanction prononcée. Elle fait également valoir que son droit de se taire ne lui pas été notifié à l'occasion de l'audition du 20 juillet 2023 qui s'est tenue lors de la phase d'enquête conduite par la rapporteure générale de l'autorité de régulation. En ce qui concerne les griefs tirés du respect des normes légales de l'audit, elle fait valoir, en ce qui concerne le défaut de diligences, qu'elle ne s'est pas abstenue de mener celles requises par les normes d'exercice professionnel 330 et 700 à propos des comptes relatifs aux " achats de matières premières ", aux " dettes fournisseurs ", aux " autres dettes " et aux " autres créances " ainsi qu'en attestent les pièces au dossier d'audit qui font état de contrôles de marge, d'une revue analytique et de la vérification des dénouements. En ce qui concerne le grief tiré de la certification des comptes en dépit de la constatation d'anomalies et d'incertitudes significatives, elle soutient que, s'agissant du poste " travaux en cours ", elle n'avait pas à constater l'existence d'écarts inexpliqués entre le montant des marchés et les produits de 2019 au titre de deux affaires dès lors que, pour ces deux affaires distinctes dont les résultats n'avaient pas à être cumulés, le seuil de signification n'a été méconnu pour aucune d'elle, et, que, s'agissant du compte " Banque ", les informations dont elle disposait à la date de son contrôle notamment de la part de la dirigeante de la société lui ont permis de constater qu'il n'y avait pas d'anomalie significative. Elle fait également valoir qu'elle n'a pas méconnu la norme d'exercice professionnel 330 pour plusieurs postes significatifs en particulier s'agissant du chiffre d'affaires, des créances clients et des travaux en cours, alors même qu'elle avait connaissance des difficultés rencontrées par ces prédécesseurs sur ces points, dès lors qu'elle a mené ses diligences en toute indépendance et en exerçant son propre jugement professionnel, sans s'en tenir aux raisons pour lesquelles les deux prédécesseurs avaient renoncé à poursuivre leurs contrôles. Elle soutient encore que la commission des sanctions a commis une erreur de droit en retenant qu'elle ne pouvait certifier sans réserve les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2019, alors, d'une part, que le rapport indépendant qu'elle produit, établit que les réserves qu'elle a émises sur la continuité de l'exploitation ont été établies conformément aux normes d'exercice professionnel et, d'autre part, que la décision ne tient pas compte de ce que, pendant la période de crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, il était possible d'émettre des observations avec renvoi en annexe au rapport d'audit. En ce qui concerne le grief tiré de l'absence de déclaration de soupçons auprès de Tracfin, elle fait valoir en substance qu'à la date où elle a eu connaissance de la fraude commise par la société contrôlée et qu'elle ne pouvait détecter par elle-même étant donné son degré élevé de sophistication, une telle déclaration avait perdu son utilité dès lors que la fraude était alors suffisamment connue des autorités judiciaires, qu'elle avait d'ailleurs saisi le procureur de la République, et que, par suite, son omission était restée sans conséquence. Elle soutient enfin, d'une part, que la sanction de radiation est fondée sur un critère non prévu par la loi tiré du caractère délibéré des faits reprochés et qu'elle est manifestement disproportionnée en ce qu'elle ne tient pas compte de plusieurs circonstances qui auraient dû conduire à prononcer une mesure moins sévère, et, d'autre part, que sa publication non anonyme sur le site internet de la Haute autorité de l'audit pendant cinq ans s'avère également inadaptée et disproportionnée au regard de ses conséquences sur son activité d'expert-comptable. Aucun de ces moyens n'est cependant, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conditions prévues à l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peuvent être regardées comme remplies en l'espèce. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision contestée.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par Mme B..., partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, dans la présente instance, à la charge de Mme B..., une somme au titre de ces mêmes dispositions à verser à la Haute autorité de l'audit.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Haute autorité de l'audit sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B... et à la Haute autorité de l'audit.
Fait à Paris, le 5 mai 2025
Signé : Olivier Yeznikian