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05/05/2025 | FRANCE | N°499328

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 05 mai 2025, 499328


Vu la procédure suivante :



La société à responsabilité limitée (SARL) Pamier a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie, au titre de l'année 2021, dans les rôles de la commune du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), à raison des immeubles " Le Bonaparte ", " Le Continental " et " Ampère ", situés 9001, rue Anatole Sigonneau, 183, avenue Desc

artes et 1B, rue Edouard Renaud. Par un jugement n° 2213160 du 30 septembre 2024, c...

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Pamier a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie, au titre de l'année 2021, dans les rôles de la commune du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), à raison des immeubles " Le Bonaparte ", " Le Continental " et " Ampère ", situés 9001, rue Anatole Sigonneau, 183, avenue Descartes et 1B, rue Edouard Renaud. Par un jugement n° 2213160 du 30 septembre 2024, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 décembre 2024 et 28 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pamier demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 février 2025, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Pamier demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1517 du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Pamier ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Eu égard à son argumentation, la société Pamier doit être regardée comme contestant la constitutionnalité des seules dispositions du premier alinéa du 1 du I de l'article 1517 du code général des impôts.

3. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

4. L'article 1516 du code général des impôts prévoit que les valeurs locatives des propriétés bâties, à partir desquelles est déterminée l'assiette des impôts directs locaux, sont mises à jour selon une procédure comportant, notamment, la constatation annuelle des changements affectant ces propriétés. Aux termes de l'article 1517 du même code : " I. - 1. Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties ainsi qu'à la constatation des changements d'utilisation des locaux mentionnés au I de l'article 1498. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement. / (...) II. - 1. Les valeurs locatives résultant des changements mentionnés au I du présent article sont appréciées : / (...) b) Pour les biens évalués selon les règles prévues au II de l'article 1498, à la date mentionnée au A du même II ; (...) ". La modification temporaire de locaux qui procède de travaux en cours de réalisation ne peut être regardée comme constituant un changement de caractéristiques physiques, au sens et pour l'application de ces dispositions.

5. La société Pamier soutient que les dispositions du premier alinéa du 1 du I de l'article 1517 du code général des impôts, telles qu'interprétées au point 4, instituent une différence de traitement entre les propriétaires d'immeubles selon que les modifications qui affectent ces immeubles procèdent de travaux en cours de réalisation ou achevés.

6. Toutefois, au regard de l'objectif d'en mesurer la valeur locative et d'asseoir les impositions foncières, la différence de traitement opérée par les dispositions contestées entre, d'une part, des immeubles dont l'état se trouve affecté de manière transitoire par des travaux en cours de réalisation et des immeubles dont les caractéristiques physiques ont été modifiées de manière pérenne par des travaux achevés est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi qui l'institue. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient, pour ce motif, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, la société Pamier soutient que le tribunal administratif de Montreuil :

- a commis une erreur de droit et donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique en jugeant, au motif que le béton des sols, des murs et des plafonds des immeubles en litige avait été conservé dans son état brut, qu'elle n'établissait pas que le gros œuvre de ces immeubles avait été affecté par les travaux entrepris d'une manière telle que ces biens étaient impropres, au 1er janvier 2021, à toute utilisation dans leur ensemble ;

- a commis une erreur de droit en déduisant de la seule circonstance que les murs et dalles des bâtiments en litige étaient conservés, que le gros œuvre de ces bâtiments n'avait pas été affecté ;

- l'a insuffisamment motivé et a commis une erreur de droit en s'abstenant de distinguer les modifications ayant affecté les murs selon que ceux-ci participaient ou non de l'ossature de ces bâtiments et, partant, contribuaient à leur solidité, leur consistance et leur protection ;

- a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique en jugeant qu'elle n'établissait pas que le gros œuvre des bâtiments en litige était, au 1er janvier 2021, affecté d'une manière telle que ces biens étaient impropres à toute utilisation alors que la toiture et les façades qui assuraient la mise hors d'eau et hors d'air du bâtiment avaient été démolies ;

- a méconnu les dispositions de l'article 1517 du code général des impôts ou, à tout le moins, les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention en jugeant que la modification temporaire de locaux due à la réalisation de travaux en cours ne pouvait être regardée comme constituant un changement de caractéristiques physiques devant conduire à en modifier la valeur locative ;

- a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et méconnu les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en jugeant qu'elle ne produisait aucun élément justifiant que les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères dont elle était redevable auraient excédé ses capacités contributives dans des conditions de nature à porter fondamentalement atteinte à sa situation financière ou personnelle.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Pamier.

Article 2 : Le pourvoi de la société Pamier n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Pamier et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat, M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Lapierre

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 499328
Date de la décision : 05/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2025, n° 499328
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Lapierre
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499328.20250505
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