Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 22 mai 2024 et le 4 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat de condamner la société cabinet Rousseau, Tapie, venant aux droits de la société civile professionnelle (SCP) Rousseau-Tapie, à lui verser la somme de 1 900 euros, augmentée des intérêts légaux capitalisés au bout d'un an, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des manquements de cette société d'avocats, qui lui auraient fait perdre toute chance d'obtenir l'annulation, d'une part, du jugement n° 1606179 du 12 juillet 2018 du tribunal administratif de Paris, d'autre part, du jugement n° 1602788 du 25 juillet 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance du 10 septembre 1817 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. B... et à la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société cabinet Rousseau - Tapie ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, dans sa rédaction issue du décret du 11 janvier 2002 relatif à la discipline des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : " (...) Les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l'encontre d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l'ordre, devant le Conseil d'Etat, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l'ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que M. B... a engagé deux procédures, respectivement devant le tribunal administratif de Paris et devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. En premier lieu, il a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'exécution d'un précédent jugement du 2 février 2015 enjoignant au garde des sceaux, ministre de la justice, de lui communiquer des documents administratifs relatifs à la composition du bureau ayant statué sur l'une de ses demandes d'aide juridictionnelle, et de l'indemniser à hauteur de 5 000 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement n° 1606179 du 12 juillet 2018, le tribunal a constaté qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les conclusions de la requête à fin d'exécution, condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice subi et rejeté le surplus de ses conclusions. En deuxième lieu, par une demande du 23 mars 2016, M. B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les décisions du bâtonnier de l'ordre des avocats du Val-d'Oise, refusant de lui communiquer des documents administratifs relatifs à la désignation d'un avocat dans le cadre de l'aide juridictionnelle qu'il avait sollicitée. Par un jugement n° 1602788 du 25 juillet 2018, le tribunal a donné acte du désistement d'une partie des conclusions de la demande, a rejeté le surplus des conclusions de celle-ci et a mis à la charge de M. B... le versement à l'ordre des avocats du barreau du Val-d'Oise d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. M. B... a entendu se pourvoir en cassation contre ces deux jugements. A cet effet, il a présenté deux demandes d'aide juridictionnelle les 30 août et 10 septembre 2018, qui ont été rejetées par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat n° 1802794 du 11 septembre 2018 et n° 1802866 du 17 septembre 2018. Ses recours contre ces deux décisions ont été rejetés par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat par deux ordonnances n° 424698 du 21 janvier 2019 et n° 427667 du 13 février 2019. Il a ensuite demandé au président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation la désignation d'un avocat commis d'office. Par deux décisions du 14 et du 22 février 2019, le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a commis d'office Me Jérôme Rousseau, pour la SCP Rousseau-Tapie, devenue la société cabinet Rousseau, Tapie, pour assurer la défense de M. B..., en précisant que cette commission d'office intervenait à titre payant. Par deux courriers du 27 février et du 11 mars 2019, M. B... a pris l'attache de Me Rousseau, lui a soumis des éléments en lien avec ses dossiers et lui a précisé qu'il était impécunieux, et que compte tenu du rejet de ses demandes d'aide juridictionnelle, les pourvois devraient être formés au plus tard le 6 avril 2019 pour la première affaire et le 19 avril 2019 pour la seconde affaire. Par courriel du 11 mars, Me Rousseau a d'abord indiqué que les honoraires pour former un pourvoi contre le jugement du 12 juillet 2018 seraient de 2 500 euros, puis, le 14 mars 2019, compte tenu de l'existence d'un second pourvoi contre le jugement du 25 juillet 2018, a diminué le montant de ses honoraires pour les fixer à 2 000 euros par pourvoi, soit une somme globale de 4 000 euros en invitant le requérant à lui faire connaître sa décision sur l'engagement du pourvoi sous huitaine. Le 18 mars, M. B... a indiqué à nouveau à Me Rousseau qu'il était impécunieux, et lui a demandé de déposer deux demandes d'aides juridictionnelles en son nom. Le 22 mars, Me Rousseau, pour tenir compte des difficultés financières mises en avant par M. B..., a proposé de réduire ses honoraires pour les deux dossiers à un montant de 2 800 euros tout en confirmant qu'il avait été désigné pour exercer sa mission à titre payant, et qu'il n'était nullement tenu de le représenter au titre de l'aide juridictionnelle, laquelle lui avait d'ailleurs déjà été refusée. Le 24 mars, M. B... a refusé cette proposition, et a mentionné à Me Rousseau qu'à défaut de l'assister au titre de l'aide juridictionnelle, ce dernier pouvait demander au président de l'ordre d'être déchargé de l'affaire. Le 25 mars 2019, Me Rousseau a confirmé n'accepter d'intervenir que dans les conditions de sa proposition d'honoraires. N'ayant pas eu de réponse à ce dernier courriel, Me Rousseau, n'a effectué aucune diligence. Par courriel du 18 avril 2019, alors qu'il n'avait procédé à aucun règlement, M. B... a demandé à Me Rousseau s'il avait déposé les pourvois à l'encontre des jugements des 12 et 25 juillet 2018. Me Rousseau lui a répondu, le jour même, qu'à défaut de règlement des honoraires, il n'avait accompli aucune diligence.
3. Par la présente requête, présentée sur le fondement des dispositions citées au point 1, M. B... demande réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la perte de chance d'obtenir l'annulation des jugements des 12 et 25 juillet 2018, qu'il impute à des manquements commis par la société Rousseau, Tapie. Par un avis du 23 novembre 2023, le conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a estimé que la société Rousseau Tapie n'avait commis aucune faute et que sa responsabilité professionnelle n'était par suite pas engagée.
4. Pour apprécier si l'avocat a commis une faute, il y a lieu de déterminer s'il a normalement accompli, avec les diligences suffisantes, les devoirs de sa charge, à la condition que son client l'ait mis en mesure de le faire. Il appartient notamment à l'avocat de recueillir auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts. Pour l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du comportement du client et de ses autres conseils. Dans le cas où il y aurait eu négligence, il y a lieu de déterminer si cette négligence, en privant le client d'une chance sérieuse de succès du recours, a été de nature à lui porter un préjudice de nature à lui ouvrir droit à réparation.
5. Il résulte de l'instruction, d'une part, comme il a été rappelé au point 2, que le président de l'ordre des avocats aux Conseils a désigné d'office Me Rousseau pour défendre les intérêts de M. B... à titre payant. Par ailleurs, informé par le requérant de sa situation financière, Me Rousseau a accepté à deux reprises de diminuer le montant de ses honoraires en les réduisant de 2 500 euros à 1 400 euros par dossier, soit de 5 000 à 2 800 euros au total, montant qui n'apparait pas, au regard de la complexité des dossiers, comme contraire aux principes de délicatesse et de modération. Il résulte en outre des échanges entre le requérant et Me Rousseau que M. B... était parfaitement informé de la date à compter de laquelle il ne pourrait plus former de pourvoi en cassation, et qu'il avait d'ailleurs appelé l'attention de Me Rousseau sur ce point. Il est constant que M. B... n'a pas répondu au dernier courriel de Me Rousseau du 25 mars 2019 confirmant le montant de ses honoraires et refusant d'intervenir à titre gratuit ou au titre de l'aide juridictionnelle, laquelle avait déjà été refusée à l'intéressé par des décisions confirmées, après recours, par le président de la section du contentieux du conseil d'Etat. D'autre part, dès lors que M. B... n'avait pas accepté la convention d'honoraires qui avait été proposée par Me Rousseau, désigné à titre payant, et alors que les deux demandes d'aide juridictionnelle présentées par M. B... avaient été rejetées, Me Rousseau n'a pas commis de faute en ne présentant pas de nouvelles demandes d'aide juridictionnelle pour ses soins, alors d'ailleurs que l'article 33 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991, dispose, dans sa version applicable au litige, que " la demande d'aide juridictionnelle est déposée ou adressée par l'intéressé, ou par tout mandataire ". Enfin, il ne saurait être reproché à Me Rousseau de ne pas avoir demandé au président de l'ordre d'être déchargé de ses commissions d'office, dès lors que l'intéressé avait accepté de les prendre en charge et avait, à cette fin, proposé des honoraires raisonnables au requérant.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Me Rousseau n'a manqué à aucune obligation professionnelle vis-à-vis de M. B.... Il suit de là que la requête de M. B... doit être rejetée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la société cabinet Rousseau, Tapie.
Copie en sera adressée à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 2 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo