Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 23 novembre 2023 et le 12 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Notre affaire à tous demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 12 septembre 2023 relative à la mise à disposition d'informations potentiellement sensibles pouvant faciliter la commission d'actes de malveillance dans les installations classées pour la protection de l'environnement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement signée à Aarhus le 25 juin 1998 ;
- la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une instruction du 12 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'intérieur et des outre-mer ont précisé les lignes directrices relatives à la mise à disposition du public des informations potentiellement sensibles dont la divulgation serait susceptible de faciliter la commission d'actes de malveillance dans les installations classées pour la protection de l'environnement. Cette instruction concerne les établissements classés SEVESO, ainsi que les installations classées pour la protection de l'environnement qui relèvent du ministère de la défense ou qui présentent une sensibilité particulière. L'annexe I de cette instruction fournit une liste indicative d'exemples d'informations pouvant être largement diffusées au public. Le A de son annexe II énumère des exemples d'informations n'ayant pas vocation à être largement diffusées, mais pouvant être communiquées sur demande écrite. Le B de cette annexe fournit, enfin, des exemples d'informations non communicables au public. L'association Notre affaire à tous demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette instruction.
2. Aux termes de l'article 4 de la Convention d'Aarhus : " 1. Chaque partie fait en sorte que, sous réserve des paragraphes suivants du présent article, les autorités publiques mettent à la disposition du public, dans le cadre de leur législation nationale, les informations sur l'environnement qui leur sont demandées (...) / 4. Une demande d'informations sur l'environnement peut être rejetée au cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur : (...) b) les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité publique ; / (...) Les motifs de rejet susmentionnés devront être interprétés de manière restrictive compte tenu de l'intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public et selon que ces informations ont trait ou non aux émissions dans l'environnement ". Aux termes de l'article L. 124-2 du code de l'environnement, est considérée comme une information relative à l'environnement toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant l'état des éléments de l'environnement, notamment l'air, l'eau, le sol, les terres, les paysages et les sites naturels, les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état de ces éléments ou destinés à protéger ces éléments, ainsi que les analyses des coûts et avantages et les hypothèses économiques utilisées dans le cadre de ces décisions et activités. Aux termes de l'article L. 124-3 du même code : " Toute personne qui en fait la demande reçoit communication des informations relatives à l'environnement détenues par : / 1° L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements publics (...) ". Selon le I de l'article L. 124-4 du même code : " Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° aux intérêts mentionnés aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e et au h du 2° de l'article L. 311-5 (...) ". L'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration dispose notamment que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, et l'article L. 311-6 du même code prévoit que ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée et au secret des affaires. Aux termes de l'article L. 517-1 du code de l'environnement, lorsque sont en cause des installations classées pour la protection de l'environnement relevant du ministère de la défense, ne peuvent figurer dans un dossier soumis à enquête publique, ni être communiqués ou mis à disposition du public, des éléments nécessaires à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale et de la sécurité publique.
3. Il résulte des dispositions citées ci-dessus qui, s'agissant des dispositions du code de l'environnement, transposent les dispositions de l'article 4 de la directive 2003/4 du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, qu'une autorité publique est tenue de communiquer les informations environnementales qu'elle détient, reçoit ou établit à toute personne qui en adresse la demande. Toutefois, après avoir procédé à un examen particulier de l'intérêt d'une telle demande d'accès à une information environnementale, elle peut la rejeter lorsque la consultation ou la communication de cette information porte atteinte, notamment, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée.
4. En premier lieu, l'instruction attaquée rappelle qu'en application du I de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité compétente, sous le contrôle du juge administratif, d'apprécier l'intérêt de communiquer une information et qu'elle peut en refuser la consultation ou la communication si celle-ci porte atteinte notamment à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes. Ce faisant, cette instruction, qui précise les modalités pratiques d'examen des demandes d'information environnementale, n'a pas pour objet et ne pourrait d'ailleurs avoir légalement pour effet de dispenser l'autorité compétente de procéder à un examen particulier de chaque demande d'accès à une information environnementale en appréciant l'intérêt qui s'attache à la communication de l'information sollicitée et la nécessité de ne pas la divulguer.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la divulgation des informations relatives aux quantités de substances dangereuses effectivement présentes sur le site à un instant donné en situation normale, hors situation post accidentelle, est de nature à générer un risque accru d'actes de malveillance et ainsi à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, justifiant légalement, ainsi qu'il a été dit au point 3, un refus d'accès à ces informations. Par suite l'instruction en litige pouvait, sans préjudice de l'appréciation d'espèce portée sur chaque demande, faire figurer les " quantités de substances dangereuses effectivement présentes sur le site à un instant donné en situation normale " parmi les informations qui, en raison de leur sensibilité pour la sûreté, n'ont en principe pas vocation à être communiquées au public. Par ailleurs, les quantités maximales de ces produits susceptibles d'être présentes sur le site, ainsi que les quantités de substances dangereuses effectivement présentes sur le site en situation post accidentelle, informations utiles pour informer le public du risque environnemental maximal lié à la présence de ces substances sur un site et du risque encouru après la survenue d'un accident, figurent quant à elles parmi les informations ayant en principe vocation à être communiquées sur demande écrite, énumérées à l'annexe II-A de l'instruction. Il suit de là que l'instruction a pu légalement opérer une distinction entre les différentes données relatives aux quantités de substances dangereuses présentes sur le site, en identifiant celles pouvant en principe être communiquées au public, sans méconnaître l'équilibre qu'il appartient à l'autorité administrative de rechercher entre le respect du droit d'accès à l'information en matière d'environnement et les enjeux de sûreté et de sécurité, dans le cadre de l'appréciation au cas par cas de chaque demande.
6. En troisième lieu, l'instruction en litige mentionne les informations concernant l'identité des dirigeants de l'installation classée, les quantités maximales de substances dangereuses nommément désignées susceptibles d'être présentes sur le site, ainsi que les cartes ou plans des zones d'effet par phénomènes dangereux ou par installation parmi les informations communicables en principe à toute personne qui en fait la demande écrite, énumérées au A de son annexe II. Eu égard à la sensibilité de ces informations pour la sûreté, la sécurité publique et, s'agissant de l'identité des dirigeants, pour la sécurité des personnes, l'instruction ne méconnaît ni les dispositions du code de l'environnement précitées, ni la convention d'Aarhus en ne préconisant pas leur diffusion plus large auprès du public sans demande préalable. Par ailleurs, la circonstance que l'instruction ne prévoie pas que l'identité des dirigeants d'installation devrait être immédiatement accessible au public sans demande préalable ne méconnaît par elle-même, ni le droit à un recours effectif protégé par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, le droit à l'accès à la justice en matière d'environnement évoqué par l'article 4 de la convention d'Aarhus.
7. En quatrième lieu, les annexes de l'instruction, qui se bornent à fournir des exemples, ne fixent pas de listes limitatives des informations largement diffusées au public, de celles pouvant être communiquées sur demande écrite et de celles qui ne sont pas communicables. Par suite, l'instruction ne méconnaît pas les dispositions mentionnées au point 2 en ce qu'elle s'abstient de préciser dans ses annexes les modalités de divulgation des informations relatives à la nature précise des substances dangereuses manipulées ou stockées sur le site, notamment la liste des rubriques nommément désignées sous la référence " 47xx ".
8. En cinquième lieu, en rappelant, au point 1 de l'instruction relatif aux documents destinés à l'information du public, que le contenu des documents établis par les exploitants reste de leur seule responsabilité, qu'il leur appartient d'identifier les informations sensibles et d'organiser les documents qu'ils transmettent à l'administration selon des modalités permettant de distinguer les informations à vocation largement communicable des informations potentiellement sensibles, l'instruction en litige ne laisse, contrairement à ce qui est allégué, aucune marge d'appréciation aux exploitants de site quant à la détermination des informations qu'il convient d'occulter et de celles qu'il convient disjoindre des documents destinés au public avant leur diffusion.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Notre affaire à tous n'est pas fondée à demander l'annulation de l'instruction qu'elle attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association Notre affaire à tous est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Notre affaire à tous, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, M. Bruno Bachini, conseillers d'Etat et M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Baptiste Butlen
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain