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17/04/2025 | FRANCE | N°503570

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 avril 2025, 503570


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 16 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aylo Freesites Ltd demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 février 2025 désignant les services de communication au public en ligne et les services de plateforme de partage de vidéos établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne

soumis aux articles 10 et 10-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance da...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aylo Freesites Ltd demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 février 2025 désignant les services de communication au public en ligne et les services de plateforme de partage de vidéos établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne soumis aux articles 10 et 10-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, publié au Journal officiel le 6 mars 2025 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- d'une part, les obligations posées par les articles 10 et 10- 1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, en particulier celle de mettre en place un système de vérification de l'âge, vont effectivement lui être appliquées à compter du 6 juin 2025 ;

- d'autre part, si elle choisit de ne pas se conformer à l'arrêté, elle s'expose à des sanctions particulièrement lourdes, dont un possible blocage administratif avec des risques de perte irréversible d'utilisateurs, et, si elle décide de mettre en œuvre le procédé de vérification de l'âge, cela impliquera des investissements et, surtout, aura pour effet inéluctable de détourner la quasi-totalité des usagers majeurs des sites Internet qu'elle exploite au profit de sites moins scrupuleux ;

- enfin, cette situation lui est très préjudiciable dès lors que la France est son deuxième marché à l'échelle mondiale après les Etats-Unis en termes de trafic et que l'application de l'arrêté contesté risque d'entraîner une baisse drastique voire une disparition des revenus générés par ce marché ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- les articles 10, 10-1 et 10-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui constituent la base légale de l'arrêté litigieux, ainsi que cet arrêté méconnaissent l'article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (" directive sur le commerce électronique ") en ce que, d'une part, il en résulte que les mesures dérogatoires qui peuvent être appliquées aux fournisseurs de services de plateformes de partage de vidéos établis dans un autre Etat membre ne sont ni individuelles ni édictées au cas par cas et, d'autre part, ils ne respectent pas les conditions de nécessité et de proportionnalité prévues par le a) du paragraphe 4 de l'article 3 de cette directive ;

- les articles 10, 10-1 et 10-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique méconnaissent les dispositions du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (" règlement sur les services numériques ") ;

- l'arrêté contesté est illégal faute d'être motivé ;

- cet arrêté a été adopté selon une procédure irrégulière faute de justification des formalités prévues par le b) du paragraphe 4 de l'article 3 de la directive sur le commerce électronique ;

- la désignation des trois sites Internet qu'elle exploite et d'autres sites Internet n'est ni nécessaire ni proportionnée au regard des paramètres définis par le a) du paragraphe 4 de l'article 3 de la directive sur le commerce électronique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 ;

- la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 ;

- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ;

- la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. D'une part, aux termes de l'article 10 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction issue de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) veille à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un éditeur de service de communication au public en ligne ne soient pas accessibles aux mineurs et, à cette fin, établit et publie, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, un référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l'âge. Elle peut mettre en demeure les personnes qui permettent l'accès à un contenu pornographique de se conformer, dans un délai d'un mois, à ce référentiel et, en cas de non-respect de la mise en demeure, elle peut prononcer une sanction pécuniaire. D'autre part, aux termes de l'article 10-1 de la même loi, lorsqu'une personne dont l'activité est de fournir un service de communication au public en ligne sous sa responsabilité éditoriale ou de fournir un service de plateforme de partage de vidéos permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du code pénal, qui réprime " le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, (...) ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message ", l'Arcom peut, à l'issue d'une procédure contradictoire, mettre cette personne en demeure de prendre, dans un délai de quinze jours, toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs à ces contenus. En cas d'absence de mise en œuvre de la mise en demeure, elle peut prononcer une sanction pécuniaire et, en cas d'inexécution, elle peut demander aux fournisseurs de services d'accès à internet d'empêcher l'accès aux services de communication au public en ligne et aux services de plateforme de partage de vidéos concernés pour une durée maximale de deux ans.

4. Si, en vertu du I de l'article 10-2 de la loi du 21 juin 2004, les articles 10 et 10-1 de cette loi ne s'appliquent qu'aux éditeurs de service de communication au public en ligne et aux fournisseurs de services de plateforme de partage de vidéos établis en France ou hors de l'Union européenne, le II de ce même article dispose toutefois que " lorsque les conditions mentionnées au a du paragraphe 4 de l'article 3 de la directive 2000/31/ CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (" directive sur le commerce électronique ") sont remplies et au terme de la procédure prévue au b du paragraphe 4 ou, le cas échéant, au paragraphe 5 du même article 3, les articles 10 et 10-1 de la présente loi s'appliquent également aux éditeurs de service de communication au public en ligne et aux fournisseurs de services de plateforme de partage de vidéos établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne, trois mois après la publication de l'arrêté conjoint du ministre chargé de la culture et de la communication et du ministre chargé du numérique les désignant ". Sur ce fondement, un arrêté a été pris le 26 février 2025 pour désigner les services de communication au public en ligne et les services de plateforme de partage de vidéos établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne soumis aux articles 10 et 10-1 de la loi du 21 juin 2004, parmi lesquels les sites " Pornhub ", " YouPorn " et " RedTube " exploités par la société Aylo Freesites Ltd, société de droit chypriote dont le siège est à Nicosie. Cette société demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de cet arrêté.

5. Pour justifier de l'urgence, la société requérante relève que les obligations posées par les articles 10 et 10-1 de la loi du 21 juin 2004, notamment celle de mettre en place un système de vérification de l'âge des utilisateurs, qui lui sont rendues applicables par l'arrêté litigieux, s'imposeront à elle à compter du 6 juin 2025. Elle fait valoir les investissements nécessaires à la mise en œuvre du procédé de vérification de l'âge et, surtout, le préjudice grave résultant, selon elle, du détournement des usagers majeurs des sites Internet qu'elle exploite au profit de sites moins scrupuleux, alors que la France constitue son deuxième marché à l'échelle mondiale après les Etats-Unis en termes de trafic. Toutefois, les éléments avancés, en particulier l'attestation d'une de ses propres directrices relative à l'impact de la mise en œuvre de mesures de vérification de l'âge des utilisateurs pour accéder aux sites Internet édités par cette société en France et en Louisiane, ne permettent pas d'apprécier la réalité des risques invoqués ni la gravité des atteintes susceptibles de découler de l'application de l'arrêté litigieux. Par ailleurs, la seule éventualité de sanctions en cas de non-respect des obligations qui seront applicables à cette société dans quelques semaines ne suffit pas par elle-même à caractériser une situation d'urgence justifiant la suspension de l'exécution de cet arrêté sans attendre le jugement de la requête au fond. Dans ces conditions et compte tenu de l'intérêt public de protection des mineurs contre la pornographie et ses effets, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la compétence en premier ressort du juge des référés du Conseil d'Etat, ni de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, la requête présentée par la société Aylo Freesites Ltd doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Aylo Freesites Ltd est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Aylo Freesites Ltd.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la ministre de la culture et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Fait à Paris, le 17 avril 2025

Signé : Anne Courrèges


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 503570
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2025, n° 503570
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:503570.20250417
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