Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 août et 15 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 28 mai 2024 par lequel le Président de la République lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an assortie d'un sursis de six mois ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985 ;
- l'arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 24 août 2023 portant désignation des représentants de l'administration et du personnel au sein de la commission administrative paritaire nationale de l'encadrement supérieur (administrateurs de l'Etat rattachés pour leur gestion au ministère de l'intérieur) ;
- la décision n° 2024-1097 QPC du Conseil constitutionnel du 26 juin 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., administrateur de l'Etat hors classe, a été nommé, par décret du 20 juillet 2022, préfet délégué à l'immigration auprès du préfet de police à compter du 23 août 2022. Par un décret du 28 mai 2024, le Président de la République, après avoir recueilli l'avis de la commission administrative paritaire de l'encadrement supérieur du ministère de l'intérieur et des outre-mer siégeant en formation disciplinaire le 5 février 2024, a prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an assortie d'un sursis de six mois. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
Sur la légalité externe :
En ce qui concerne l'impartialité de l'enquête administrative :
2. Le requérant ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d'impartialité par les auteurs du rapport de l'inspection générale de l'administration, dont la mission ne constitue pas une phase de la procédure disciplinaire, affecterait la régularité de cette procédure et entacherait d'illégalité le décret attaqué. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient M. B..., les trois personnes dont il avait demandé l'audition ont été invitées à transmettre des observations écrites et que les auteurs du rapport ont tenu compte du contexte de réorganisation du service qu'il dirigeait tout en retenant que cette circonstance ne suffisait pas à expliquer les signalements dont il a fait l'objet.
En ce qui concerne la méconnaissance du droit de se taire :
3. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
4. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.
5. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 3 et 4, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.
6. En premier lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il n'aurait pas été informé du droit qu'il aurait eu de se taire au cours de l'enquête menée par l'inspection générale de l'administration préalablement à l'engagement de la procédure disciplinaire. Au demeurant, il ne ressort pas des déclarations de l'intéressé lors de ses deux auditions par l'inspection générale de l'administration que la sanction prononcée à son encontre se fonde de manière déterminante sur des propos qu'il a tenus dans ce cadre. Dans ces conditions, et eu égard au principe énoncé au point 4, le moyen tiré de de ce que l'absence de notification à M. B... du droit qu'il avait de se taire lors de l'enquête administrative menée par l'inspection générale de l'administration entacherait d'illégalité la sanction litigieuse et méconnaîtrait pour cette raison le principe de respect des droits de la défense doit être écarté.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le courrier du 26 décembre 2023 convoquant M. B... à la séance de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire le 5 février 2024 notifiait à l'intéressé le droit qu'il avait de se taire durant la procédure disciplinaire. Compte tenu de l'information ainsi donnée, la circonstance que M. B... n'ait pas été à nouveau informé, au début de son audition par la commission administrative paritaire, de la possibilité qu'il avait de se taire n'a pas entaché d'irrégularité la procédure ayant conduit à l'avis émis sur la sanction contestée. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la composition de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire :
8. Aux termes de l'article 5 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires, alors en vigueur : " Les commissions administratives paritaires comprennent en nombre égal des représentants de l'administration et des représentants du personnel. (...) ". En vertu de l'article L. 263-1 du code général de la fonction publique : " Au sein d'une commission administrative paritaire, les fonctionnaires d'une catégorie examinent les questions relatives à la situation individuelle et à la discipline des fonctionnaires relevant de la même catégorie, sans distinction de corps ou cadre d'emplois et de grade ".
9. Il ressort des pièces du dossier que les quatre membres de la commission ont été régulièrement désignés par l'arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 24 août 2023 susvisé et, en tout état de cause, qu'ils étaient tous d'un grade équivalent à celui de M. B.... Par suite, le moyen tiré de ce que la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire le 5 février 2024 était irrégulièrement composée doit être écarté.
Sur la légalité interne :
10. En premier lieu, il ressort des pièces de dossier que, par un décret du 13 juillet 2023, il a été mis fin aux fonctions de préfet délégué à l'immigration auprès du préfet de police exercées par M. B... à compter du 21 août 2023 et que, par un arrêté du 18 août 2023, le ministre de l'intérieur a prononcé le rattachement de M. B... au secrétariat général de ce ministère. Si ces décisions font suite à la publication du rapport de l'inspection générale de l'administration faisant état des propos et comportements de M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier que ces décisions constitueraient une sanction disciplinaire déguisée. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait méconnu le principe " non bis in idem " ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis et constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
12. Il ressort des pièces du dossier, notamment des témoignages concordants recueillis par l'inspection générale de l'administration, que M. B... a, à de nombreuses reprises, exprimé des remarques appuyées sur la tenue vestimentaire et le physique de plusieurs collaboratrices ou agentes de la préfecture de police et a eu recours à des gestes déplacés à connotation sexuelle. Ces comportements ont créé un sentiment de malaise pour les collaboratrices du service et conduit, pour certaines d'entre elles, à adopter des stratégies d'évitement compte tenu du positionnement hiérarchique de l'intéressé. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. B... a tenu des propos, qui s'ils n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales, véhiculaient des stéréotypes homophobes et racistes.
13. Eu égard aux fonctions occupées par l'intéressé et à son grade, ces faits et propos tenus dans l'exercice de sa mission, y compris lors de réunions manifestent, compte tenu du contenu de leur nature et de leur caractère répété et délibéré et quelle qu'ait pu être l'intention de leur auteur, un manque de maîtrise verbale de la part de M. B... et une méconnaissance des exigences de dignité et d'exemplarité ayant porté atteinte à l'image de l'institution et des fonctions qu'il occupait. Ces faits constituent ainsi des fautes de nature à justifier une sanction.
14. Dans ces conditions, compte tenu des fonctions de l'intéressé et des responsabilités qui s'attachent à celles-ci, ainsi que de la gravité des fautes et de leur caractère répété en dépit des différents avertissements qui lui avaient été adressés au cours de sa carrière, le Président de la République n'a pas infligé à M. B... une sanction disproportionnée en prononçant son exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an assortie d'un sursis de six mois, alors même que ses états de services témoignent de son engagement et de ses compétences techniques.
15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du Président de la République du 28 mai 2024. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 17 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Sarah Houllier
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras