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17/04/2025 | FRANCE | N°493752

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 17 avril 2025, 493752


Vu la procédure suivante :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison d'un traitement par radiothérapie administré en 2015. Par un jugement n° 2000603 du 10 mai 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 22PA03007 du 26 février 2024, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme B..., annulé ce jugement et mis à la

charge du CHPF les sommes de 14 000 euros à verser à Mme B... et 154 034 euros à verser...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison d'un traitement par radiothérapie administré en 2015. Par un jugement n° 2000603 du 10 mai 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22PA03007 du 26 février 2024, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme B..., annulé ce jugement et mis à la charge du CHPF les sommes de 14 000 euros à verser à Mme B... et 154 034 euros à verser à la caisse sociale de prévoyance de la Polynésie française.

1° Sous le n° 493752, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril et 23 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHPF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 493802, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 26 avril et 18 juillet 2024 et le 22 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 février 2024 en tant qu'il limite son indemnisation à la somme de 14 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du CHPF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du centre hospitalier de La Polynésie française, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de Mme B... et à la SARL Gury et Maître, avocat de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., atteinte d'un cancer du sein droit, a subi le 13 novembre 2014 au centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) une mastectomie droite suivie de traitements par chimiothérapie, hormonothérapie et radiothérapie par " boost ". Imputant à ce dernier traitement, reçu du 4 juin au 17 juillet 2015, des douleurs rebelles et invalidantes, elle a recherché la responsabilité du CHPF devant le tribunal administratif de la Polynésie française, qui a rejeté ses conclusions indemnitaires par un jugement du 10 mai 2022. Par un arrêt du 26 février 2024, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur son appel, a annulé le jugement du 10 mai 2022, jugé que le CHPF avait manqué à son obligation d'information envers elle et condamné cet établissement à lui verser la somme de 14 000 euros, ainsi que la somme de 154 034 euros à la caisse de prévoyance sociale (CPS) de la Polynésie française au titre de ses débours. Le CHPF demande l'annulation de cet arrêt. Mme B... demande son annulation en tant qu'il limite son indemnisation à la somme de 14 000 euros.

2. Les pourvois du CHPF et de Mme B... sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi du CHPF :

3. En premier lieu, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

4. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

5. Pour juger que la responsabilité du CHPF était engagée à l'égard de Mme B... au titre d'un manquement à son obligation d'information, la cour administrative d'appel a retenu, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation des pièces du dossier qui lui étaient soumises, qu'il résultait de l'instruction que le compte-rendu de la consultation du 9 décembre 2014 comportait seulement la mention " après la chimiothérapie, la patiente bénéficiera d'une radiothérapie (...) ", que la fiche de consentement éclairé signée le 9 décembre 2014 par Mme B... ne comportait aucun élément sur les risques propres au traitement radiologique, qui n'avait été qu'évoqué lors de la consultation du même jour consacré à la chimiothérapie, que le compte-rendu de consultation du 20 avril 2015 évoqué par le centre hospitalier était en réalité une lettre adressée par le chef de service à sa consœur, sans que le centre hospitalier établisse que Mme B... ait été informée des risques du traitement radiologique envisagé, en particulier de la nécessité et des risques propres à l'administration du " boost ", et enfin, que l'expert avait conclu à l'absence d'information préalable de la patiente en précisant que le consentement présent au dossier ne concernait que l'intervention chirurgicale et qu'il n'était nullement fait mention dans l'observation ou dans les courriers de synthèse d'une information sur les risques de la radiothérapie. En en déduisant que le défaut d'information portant sur le risque associé au supplément de traitement radiologique par " boost ", qui ne présentait pas de caractère strictement nécessaire, et dont l'opportunité devait être appréciée au vu de l'état de la patiente, lui avait fait perdre une chance de se soustraire à ce risque, elle n'a pas commis d'erreur de droit. S'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'intensité des dommages subis par Mme B... présentait un caractère imprévisible, il est constant que les douleurs que celle-ci a présentées constituaient, dans leur principe, un risque grave normalement prévisible de l'irradiation. La cour administrative d'appel n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit en admettant implicitement mais nécessairement que le risque de telles douleurs relevait, à ce titre, de l'obligation d'information prévue par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

6. En deuxième lieu, en estimant que, compte tenu de l'intérêt du traitement par " boost ", qui lui avait été présenté comme préventif de la récidive du cancer, mais aussi de son état de santé déjà éprouvé par une mastectomie et par des traitements par chimiothérapie et hormonothérapie, la probabilité que Mme B... refuse le traitement radiologique devait être fixée à 50%, la cour a suffisamment motivé son arrêt sur ce point et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

7. En troisième lieu, en estimant que, compte tenu du taux de perte de chance retenu, le montant des sommes versées par le CHPF en réparation de l'ensemble des préjudices subis par Mme B..., établi par addition des sommes retenues au titre de chacun des chefs de préjudice ainsi que cela ressort du point 24 de l'arrêt attaqué, dont une somme de 15 000 euros au titre du préjudice esthétique, devait être fixé à la somme totale de 168 034 euros, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et n'a entaché ses propres énonciations d'aucune contradiction.

8. Il résulte de ce qui précède que le CHPF n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 février 2024.

Sur le pourvoi de Mme B... :

9. En premier lieu, il ressort des écritures présentées par Mme B... devant la cour administrative d'appel, notamment de son premier mémoire du 1er juillet 2022, dans lequel elle soutenait que la décision même de lui administrer un traitement de radiothérapie par " boost " était manifestement injustifiée, mais aussi de son mémoire en réplique du 7 septembre 2023, dans lequel elle invoquait tant la faute ayant consisté à mettre ce traitement en œuvre que la faute ayant consisté à ne pas l'avoir informée de ses risques, que Mme B... a persisté à rechercher, en appel, par une demande qui ne relevait au demeurant pas d'une cause juridique nouvelle, la responsabilité pour faute du CHPF. En estimant qu'il ressortait de ses écritures qu'elle n'entendait plus mettre en cause la responsabilité fautive du CHPF dans sa prise en charge médicale mais se limitait à mettre en cause sa responsabilité sur le fondement d'un manquement à l'obligation d'information, la cour administrative d'appel s'est méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie.

10. En second lieu, pour évaluer à 1 700 euros la somme versée au titre du déficit fonctionnel temporaire de Mme B..., la cour n'a retenu que la période de 170 jours correspondant à son hospitalisation en Polynésie française et en métropole. En statuant ainsi, sans rechercher si le déficit fonctionnel temporaire avait perduré, ainsi que cela ressortait d'ailleurs du rapport d'expertise, entre ces périodes d'hospitalisation et jusqu'à la date de la consolidation de son état de santé, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 26 février 2024 de la cour administrative d'appel de Paris en tant seulement qu'il rejette ses conclusions tendant à une indemnisation des préjudices qu'elle a subis supérieure à celle de 14 000 euros mise à la charge du CHPF.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHPF la somme de 3 000 euros à verser respectivement à Mme B... et à la caisse de prévoyance de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que la somme demandée par le CHPF dans l'instance n° 493752 et les sommes demandées par la caisse de prévoyance de la Polynésie française et le CHPF dans l'instance n° 493802 soient mises à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans ces deux instances, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 26 février 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions présentées en appel par Mme B....

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris dans la limite de la cassation ainsi prononcée.

Article 3 : Le pourvoi n° 493752 du CHPF est rejeté.

Article 4 : Le CHPF versera la somme de 3 000 euros respectivement à Mme B... et à la caisse de prévoyance de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., au centre hospitalier de la Polynésie française et à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 17 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Sarah Houllier

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 493752
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2025, n° 493752
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sarah Houllier
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET ; SARL GURY & MAITRE ; SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:493752.20250417
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