Vu la procédure suivante :
Mme E... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 7 mars 2025 par laquelle la cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier a octroyé le concours de la force publique en vue de procéder à son expulsion de la maison d'habitation située sur la commune de Faa'a, lotissement Pamatai Nui 2 (île de Tahiti) et, d'autre part, d'ordonner toutes les mesures que la juridiction jugera utiles. Par une ordonnance n° 2500130 du 27 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a suspendu l'exécution de la décision contestée et rejeté le surplus de la demande de Mme B....
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le haut-commissaire de la République en Polynésie française demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 27 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité en ce que la requête de Mme B... à laquelle elle a fait droit était irrecevable dès lors, d'une part, que le courrier du 7 mars 2025 ne présente pas un caractère décisoire mais se borne à informer Mme B... de l'octroi du concours de la force publique au profit du commissaire de justice instrumentaire et, d'autre part, que Mme B... ne justifie pas, faute d'aucun droit à se maintenir dans l'habitation en litige, d'un intérêt pour agir ;
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, Mme B... ne justifie pas d'un risque vital pour sa santé, en deuxième lieu, elle a tardé à agir et n'a effectué aucune démarche en vue de son relogement, contribuant ainsi à créer la situation d'urgence invoquée, en troisième lieu, elle exerce une activité professionnelle et dispose de revenus lui permettant de se reloger et, en dernier lieu, à la date de l'ordonnance attaquée, aucune date de mise en œuvre de la mesure d'expulsion n'avait été fixée ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors, en premier lieu, s'agissant du droit de propriété, que l'occupation du bien en litige procède d'agissements illicites de Mme B..., que le droit de propriété doit être concilié avec le droit à l'exécution des décisions de justice et que la circonstance que Mme B... est propriétaire indivise de 50% du bien en cause ne saurait faire regarder comme illégale la décision d'octroyer le concours de la force publique pour l'exécution de la décision de justice ayant ordonné son expulsion, et en second lieu, que le droit au logement ne présente pas le caractère d'une liberté fondamentale.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 13 avril 2025, Mme B... conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la requête d'appel est irrecevable dès lors que son signataire ne disposait pas d'une délégation de signature lui permettant de faire appel d'une décision de justice, que la condition d'urgence est satisfaite, qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à ses libertés fondamentales, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur reprend à son compte les écritures présentées par le haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2015, M. G... conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le décret n° 2007-422 du 23 mars 2007 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et, d'autre part, Mme B... et M. G... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 avril 2025, à 15 heures :
- la représentante du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
- Me Périer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction conduite devant le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française que M. G... et Mme B... ont acquis, pendant leur mariage, une maison d'habitation sise à Faa'a, dont la jouissance avait été, au titre des mesures provisoires prises pendant la procédure de divorce, attribuée à M. G.... Le divorce de M. G... et Mme B... est devenu définitif le 15 février 2023. Par un arrêt du 28 mars 2024 rendu sur appel de M. G..., la cour d'appel de Papeete, après avoir regardé M. G... comme ayant maintenu son domicile dans ce bien devenu propriété indivise des deux ex-époux et avoir jugé que Mme B... avait commis un trouble manifestement illicite en s'installant dans les lieux en mars 2023, a ordonné l'expulsion de Mme B... de ce logement dans un délai de huit jours à compter de la signification de cet arrêt et dit que cette expulsion pourrait intervenir en tant que de besoin avec le concours de la force publique. Par procès-verbal du 22 août 2024, l'huissier de justice instrumentaire, après commandement de libérer les lieux demeuré sans effet, a requis du haut-commissaire de la République en Polynésie française le concours de la force publique en vue de procéder à cette expulsion. Par une ordonnance du 27 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, sur la demande de Mme B..., suspendu l'exécution de la décision du 7 mars 2025 du représentant de l'Etat accordant le concours de la force publique pour l'exécution de cette expulsion.
3. Mme B... soutient que la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle a été signée pour le haut-commissaire de la République française en Polynésie française par M. Marotel, secrétaire général du haut-commissariat de la République en Polynésie française. Toutefois, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur s'étant approprié en cours d'instance les conclusions et moyens de cette requête, l'appel dont est saisi le Conseil d'Etat doit être regardé comme régulièrement formé au nom de l'Etat par ce ministre et la fin de non-recevoir soulevée par Mme B... ne peut, dès lors, qu'être écartée.
4. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation (...) ". Il résulte de ces dispositions que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire statuant sur la demande d'expulsion ou sur la demande de délai pour quitter les lieux et telles que l'exécution de l'expulsion serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d'octroi de la force publique, il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonnée, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
5. Il n'appartient pas au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce que la décision du représentant de l'Etat d'octroyer le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice soit suspendue, d'apprécier le bien-fondé de cette décision de justice. L'invocation par Mme B... de sa qualité de propriétaire indivise de la maison d'habitation en litige, qui ne constitue pas une circonstance postérieure à l'arrêt du 28 mars 2024 par lequel la cour d'appel de Papeete a ordonné son expulsion de ce bien, n'est pas susceptible de faire regarder la décision du représentant de l'Etat de prêter le concours de la force publique à l'exécution de cet arrêt comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété. Par suite, c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française s'est fondé sur le motif tiré d'une telle atteinte pour faire droit à la demande de Mme B....
6. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance.
7. En premier lieu, Mme B... soutient que la décision contestée, signée par Mme F..., émane d'une autorité incompétente. Toutefois, il résulte de l'instruction que Mme F..., cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier en Polynésie française, dispose, en vertu d'un arrêté publié du 12 février 2025 du haut-commissaire de la République en Polynésie française, d'une délégation de signature, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme C... A..., à l'effet de signer au nom du haut-commissaire les " arrêtés, actes et correspondances relatifs aux expulsions foncières et locatives, aux saisies et à l'octroi de la force publique y afférant ". Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 7 mars 2025 serait signée par une personne incompétente n'est pas de nature à faire regarder cette décision comme manifestement illégale.
8. En second lieu, en se bornant, outre à se prévaloir de sa qualité de propriétaire indivise, à invoquer la fragilité de son état de santé, notamment l'aggravation de son état dépressif, et à alléguer, sans l'étayer, qu'elle serait sans ressources et n'aurait pas de faculté de relogement à court terme, Mme B... ne fait pas état de circonstances suffisant à faire regarder la décision de prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution de l'arrêt du 28 mars 2024 comme de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au respect de la dignité humaine ni à aucune autre liberté fondamentale.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence et sur les fins de non-recevoir invoquées en première instance par le haut-commissaire de la République en Polynésie française, que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 27 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française et le rejet de la demande de Mme B....
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. G... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 27 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Mme E... B... et à M. D... G....
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Fait à Paris, le 16 avril 2025
Signé : Emilie Bokdam-Tognetti