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15/04/2025 | FRANCE | N°502789

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 avril 2025, 502789


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur d'organiser, dans les meilleurs délais et aux frais de l'Etat, son retour sur le territoire français. Par une ordonnance n° 2505928 du 11 mars 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur d'organiser le retour en France de M. A..., aux frais d

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Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur d'organiser, dans les meilleurs délais et aux frais de l'Etat, son retour sur le territoire français. Par une ordonnance n° 2505928 du 11 mars 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur d'organiser le retour en France de M. A..., aux frais de l'Etat, dans un délai de dix jours à compter de la notification de son ordonnance.

Par une requête, enregistrée le 26 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 11 mars 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, M. A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif près de cinq mois après le prononcé du jugement du tribunal administratif de Melun du 7 octobre 2024 annulant la décision d'éloignement et d'interdiction du territoire pendant 3 ans et, d'autre part, il n'a pas entrepris auprès des autorités consulaires françaises au Sri Lanka les démarches nécessaires en vue de la délivrance d'un visa lui permettant de revenir en France ;

- M. A... ne fait état d'aucune circonstance rendant impérieuse l'intervention de son rapatriement dans les quarante-huit heures ;

- la nécessité de préserver l'ordre public commande de ne pas faire droit à sa demande de retour sur le territoire français ;

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif de M. A... dès lors que, par un jugement du 7 octobre 2024 devenu définitif, le tribunal administratif de Melun a déjà statué sur le recours de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français ;

- en exécution de ce jugement, le préfet de Seine-et-Marne a procédé au réexamen de la situation de M. A... et estimé qu'il n'y avait pas lieu de l'admettre au séjour eu égard à la menace qu'il représente pour l'ordre public et à la circonstance que les faits commis sont de nature à relativiser fortement l'atteinte portée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- à supposer qu'il existe un litige relatif à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Melun, il ne relève pas de la compétence du juge des référés ;

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que M. A... a fait l'objet d'une condamnation pour des faits d'agression sexuelle et de violences volontaires sur son épouse et qu'il ne démontre pas avoir conservé des liens d'une particulière intensité avec ses enfants, eux-mêmes victimes de ses agissements, lesquels ont été commis en leur présence ;

- l'administration n'est pas tenue d'organiser le retour de M. A... sur le territoire français dès lors que, d'une part, l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet ne lui confère pas, par elle-même, un droit au séjour et, d'autre part, il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2025, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et, d'autre part, M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 avril 2025, à 11 heures :

- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- le représentant de M. A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. M. B... A..., ressortissant sri-lankais, a fait l'objet le 23 juillet 2024 d'un arrêté du préfet de la Seine-et-Marne portant obligation de quitter le territoire français, désignant le Sri Lanka comme pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une période de trois ans. Cette décision lui a été notifiée le lendemain, alors qu'il était incarcéré à la suite d'une condamnation prononcée à son encontre par jugement du tribunal correctionnel de Meaux à 24 mois d'emprisonnement pour agression sexuelle et violence sur conjoint. M. A... a formé le 29 juillet 2024 devant le tribunal administratif de Melun une demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral. Cependant, à la suite de sa levée d'écrou intervenue le 1er août 2024, l'intéressé a été éloigné le même jour à destination du Sri Lanka. Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler l'ordonnance du 11 mars 2025 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a enjoint d'organiser dans un délai de dix jours, aux frais de l'Etat, le retour de M. A... en France, au motif que la mise en œuvre de l'éloignement avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours effectif.

3. Le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. Aux termes de l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir avant l'expiration du délai ouvert pour contester, devant le tribunal administratif, cette décision et la décision fixant le pays de renvoi qui l'accompagne, ni avant que ce même tribunal n'ait statué sur ces décisions s'il a été saisi (...) ".

4. En premier lieu, d'une part, s'il n'est pas contesté que M. A... a été éloigné vers le Sri Lanka en méconnaissance des dispositions mentionnées au point 3, dès lors qu'il avait régulièrement saisi le tribunal administratif de Melun d'une requête tendant à l'annulation de l'obligation qui lui était faite de quitter le territoire français, il résulte de l'instruction que la requête de M. A..., datée du 29 juillet 2024 et enregistrée le jour même au greffe du tribunal administratif de Melun, n'a été notifiée à la préfecture de Seine-et-Marne par l'intermédiaire de l'application Télérecours qu'à 12h51 le 1er août 2024, alors que l'intéressé avait embarqué à 9h00 sur un vol à destination du Sri Lanka. Il résulte de ce qui précède que c'est sans avoir connaissance de l'existence de la requête de M. A... que le préfet de Seine-et-Marne a procédé à son éloignement.

5. D'autre part, en dépit de l'enchaînement des faits mentionné au point 4, qui a conduit à la mise à exécution de la décision d'éloignement alors qu'un recours était pendant, M. A... ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme ayant été privé de son droit à exercer un recours effectif, dès lors qu'il a été en mesure de contester, par l'intermédiaire de son conseil, la décision prise à son encontre et qu'au surplus, le tribunal administratif de Melun a entièrement fait droit aux conclusions de sa demande en annulant, par son jugement du 7 octobre 2024, l'arrêté préfectoral du 23 juillet 2024 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de revenir en France pendant une durée de 3 ans. Ce jugement étant devenu définitif, il est désormais loisible à M. A... de se rapprocher des autorités consulaires françaises au Sri Lanka en vue de déposer une demande de visa ou, à défaut, de saisir le juge de l'exécution d'une demande tendant à obtenir l'exécution du jugement rendu en sa faveur par le tribunal administratif de Melun.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que la mise en œuvre de la décision d'éloignement avait porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif de M. A....

7. En deuxième lieu, il résulte du jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 12 février 2024 que M. A... s'est rendu coupable de violences et d'agressions sexuelles par une personne étant le conjoint de la victime en présence de mineurs et a été condamné à une peine de 24 mois d'emprisonnement délictuel assortie de l'interdiction d'entrer en contact avec la victime ou de se présenter à son domicile à l'issue de la période d'emprisonnement. Eu égard, d'une part, à la gravité des faits commis par M. A..., qui sont de nature à relativiser très fortement l'intensité de ses attaches familiales sur le territoire français et d'autre part, à la circonstance qu'il n'établit pas avoir conservé des liens d'une particulière intensité avec ses enfants, eux-mêmes victimes de ses agissements dès lors qu'ils ont été commis en leur présence, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que l'abstention de l'autorité préfectorale, postérieurement à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de prendre une décision sur le droit au séjour de M. A... était de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie familiale et privée.

8. En troisième et dernier lieu, M. A... ne fait état d'aucune circonstance particulière caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées par le juge des référés statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation de l'ordonnance dont il relève appel ainsi que le surplus des conclusions de la demande de M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. A... soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 11 mars 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Fait à Paris, le 15 avril 2025

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 502789
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 avr. 2025, n° 502789
Composition du Tribunal
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:502789.20250415
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