Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2406848 du 17 juillet 2024, enregistrée le 18 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la question préjudicielle, enregistrée le 17 juin 2024 au greffe de ce tribunal, dont il a été saisi par le jugement n° RG 22/00058 du 30 janvier 2024 du tribunal judiciaire de Digne-les-Bains.
Par ce jugement, le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains a sursis à statuer sur le litige opposant Mme A... B... à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle suivante : " l'article 3 du décret n° 2021-755 du 12 juin 2021 relatif aux prestations maladie en espèces des professionnels libéraux est-il contraire au principe d'égalité garanti par la Constitution et par les principes généraux du droit dès lors qu'il exclut du bénéfice de l'indemnisation d'une part les arrêts de travail de prolongation et d'autre part les arrêts de travail ayant pris effet avant le 1er juillet 2021 ' "
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 ;
- le décret n° 2021-755 du 12 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les articles L. 621-2, L. 622-1 et L. 622-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue du I de l'article 69 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, instituent un dispositif d'indemnités journalières pour les professionnels libéraux relevant de l'article L. 640-1 du même code. En contrepartie d'une cotisation supplémentaire assise sur leurs revenus d'activité, ils bénéficient, en cas de maladie, de prestations en espèces qui sont calculées, liquidées et servies dans les conditions de droit commun de l'assurance maladie définies aux articles L. 321-1, L. 321-2, L. 323-1, L. 323-1-1, L. 323-3, L. 323-3-1, L. 323-6 et L. 323-7 du code de la sécurité sociale, sous réserve d'adaptations déterminées par décret relatives à la limite des revenus servant de base pour le calcul de l'indemnité journalière et au délai suivant le point de départ de l'incapacité de travail à l'expiration duquel l'indemnité journalière est accordée.
2. Aux termes du II de l'article 69 de la loi du 14 décembre 2020 précitée : " Le I entre en vigueur le 1er juillet 2021. "
3. Aux termes de l'article 3 du décret du 12 juin 2021 relatif aux prestations maladie en espèces des professionnels libéraux, pris pour l'application de l'article 69 de la loi du 14 décembre 2020 : " I. - Le présent décret s'applique : / 1° Aux cotisations dues au titre des périodes courant à compter du 1er janvier 2021 ou, pour les assurés relevant du b de l'article D. 613-4 du code de la sécurité sociale, du 1er juillet 2021 ; / 2° Aux indemnités journalières versées à l'occasion d'arrêts de travail débutant à compter du 1er juillet 2021. (...) ".
4. Par un jugement du 30 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains, saisi d'un litige opposant Mme B... à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de Haute-Provence, a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la conformité de l'article 3 du décret du 12 juin 2021 au principe d'égalité en tant qu'il exclut du bénéfice de l'indemnisation, d'une part, les arrêts de travail ayant pris effet avant le 1er juillet 2021 et, d'autre part, les arrêts de travail prolongeant une interruption de travail ayant débuté avant cette date.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
6. Il résulte également des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution et de ces dispositions organiques qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif lorsqu'il est saisi, sur renvoi de l'autorité judiciaire, de la question de la légalité d'un acte administratif. Le juge administratif apprécie alors la condition d'applicabilité au litige au regard du litige en appréciation de légalité dont il est ainsi saisi.
7. Les dispositions du II de l'article 69 de la loi du 14 décembre 2020 citées au point 2, qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sont contestées par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B... au soutien de ses conclusions tendant à la déclaration d'illégalité de l'article 3 du décret du 12 juin 2021 pris pour leur application. Elles sont ainsi applicables au litige en appréciation de légalité soumis au Conseil d'Etat, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
8. Toutefois, ces dispositions se bornant à fixer la date d'entrée en vigueur de la loi, Mme B... ne peut utilement soutenir qu'elles méconnaîtraient le principe d'égalité.
9. Il s'ensuit que la question de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.
Sur l'autre moyen du litige :
10. Il résulte de l'article 3 du décret du 12 juin 2021 cité au point 3 qu'ouvrent droit à des indemnités journalières dans les conditions prévues par le décret du 12 juin 2021 les arrêts de travail initiaux délivrés à compter du 1er juillet 2021, ainsi que leur éventuelle prolongation ultérieure.
11. La différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité. Par suite, la circonstance que soient exclus du bénéfice des indemnités journalières, du fait des conditions d'entrée en vigueur du décret du 12 juin 2021, les professionnels libéraux dont l'arrêt de travail initial a débuté avant le 1er juillet 2021, que celui-ci ait ou non été prolongé, y compris après cette date, n'a pas pour effet d'entacher d'illégalité la disposition litigieuse, le fait générateur de l'indemnisation étant, dans les deux cas, antérieur à l'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'indemnités journalières des professionnels libéraux.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence et de l'Etat, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B....
Article 2 : Il est déclaré que l'exception d'illégalité de l'article 3 du décret du 12 juin 2021 n'est pas fondée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au tribunal judiciaire de Digne-les-Bains, à Mme A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de Haute-Provence et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.
Rendu le 9 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Nejma Benmalek
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber