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04/04/2025 | FRANCE | N°503038

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 04 avril 2025, 503038


Vu la procédure suivante :

La société Tempo Façades a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Moselle de lever son arrêté CAB/PPA n° 169 du 20 mars 2025 ordonnant sa fermeture administrative provisoire à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2502400 du 28 mars 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rej

eté sa demande.



Par une requête, enregistrée le 31 ma...

Vu la procédure suivante :

La société Tempo Façades a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Moselle de lever son arrêté CAB/PPA n° 169 du 20 mars 2025 ordonnant sa fermeture administrative provisoire à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2502400 du 28 mars 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 31 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Tempo Façades demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 28 mars 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 20 mars 2025 par lequel le préfet de la Moselle a ordonné la fermeture administrative de son établissement pour une durée d'un mois à compter de sa notification le 24 mars 2025 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que cette fermeture administrative met en péril sa survie alors que sa situation financière est fragile, compte tenu, en premier lieu, de son placement en procédure de sauvegarde par le tribunal judicaire de Metz le 22 septembre 2021, en deuxième lieu, de l'absence de réserves financières suffisantes pour s'acquitter de ses charges fixes pendant un mois et, en dernier lieu, du risque d'atteinte à sa réputation auprès de ses clients ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- en ne la mettant pas à même de demander la communication du procès-verbal ou du rapport des agents de contrôle fondant sa décision, le préfet a méconnu le principe des droits de la défense et a par suite porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à ces mêmes libertés en ce que, d'une part, elle ne peut exercer son activité et est exposée à un risque de résiliation des contrats conclus et, d'autre part, la décision contestée est fondée sur des faits anciens qui ont pris fin ;

- le prêt illicite de main d'œuvre n'est pas suffisamment caractérisé dès lors que, les sociétés étrangères visées sont des entreprises de travail temporaire et qu'elle a légalement eu recours à leurs services pour faire face à un accroissement temporaire de son activité ;

- le marchandage n'est pas suffisamment caractérisé, en l'absence, en premier lieu, de l'infraction de prêt illicite de main d'œuvre, qui en constitue un préalable nécessaire, et dès lors que, en deuxième lieu, le préjudice subi par les salariés n'est pas démontré, en troisième lieu, elle n'était pas responsable de leur niveau de rémunération, sa seule obligation étant de s'assurer du respect du salaire minimum légal ou conventionnel applicable et, en dernier lieu, les salariés détachés ont bénéficié des mêmes conditions de travail et des mêmes droits que ses salariés ;

- l'exécution d'un travail dissimulé n'est pas suffisamment caractérisée dès lors que, en premier lieu, elle n'était pas l'employeur des salariés concernés, en deuxième lieu, ces salariés, tous détachés, étaient munis des certificats A1 permettant de présumer la régularité du détachement, en troisième lieu, le manquement à son obligation de vigilance a déjà été sanctionné par une amende administrative et ne permet pas de caractériser l'infraction reprochée et, en dernier lieu, la charge de la preuve de la méconnaissance du non-respect par les sociétés étrangères de leurs obligations en matière de droit du travail ne pèse pas sur elle ;

- la circonstance aggravante tirée de la commission des infractions en bande organisée n'est pas établie dès lors que le groupement structuré et hiérarchisé et l'acte matériel préparatoire constitutif de préméditation, exigés par la jurisprudence, ne sont pas caractérisés ;

- elle n'a pas participé à un " schéma frauduleux " dès lors que, d'une part, les conditions d'hébergement des salariés détachés n'étaient pas indignes et, d'autre part, les éléments de la procédure pénale excluent sa participation et sa connaissance des manquements des sociétés étrangères ;

- elle n'a commis aucun abus de faiblesse dès lors que les salariés détachés n'étaient pas dans une situation d'ignorance ou de faiblesse et n'ont subi aucun préjudice ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait dès lors que pour apprécier l'impact de sa fermeture administrative, le préfet s'est fondé sur un extrait des comptes clos qui n'était pas à jour et a assimilé, à tort, ses réserves comptables à des réserves de trésorerie disponibles ;

- la décision contestée est disproportionnée en ce que, en premier lieu, l'objectif de l'article L. 8272-2 du code du travail est de faire cesser à bref délai une situation manifestement illégale et pénalement répréhensible avant l'issue de la procédure pénale, en deuxième lieu, elle n'est fondée sur aucun motif d'intérêt général, en troisième lieu, elle emporte des conséquences désastreuses pour son avenir, tant pour son activité que ses salariés, en quatrième lieu, elle exerce son activité depuis plus de 11 années et n'a jamais été condamnée pénalement et, en dernier lieu, les infractions reprochées ne sont pas caractérisées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée. A cet égard, il appartient au juge d'appel de prendre en considération les éléments recueillis par le juge du premier degré dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée.

2. Aux termes de l'article L. 8272-2 du code du travail : " Lorsque l'autorité administrative a connaissance d'un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l'article L. 8211-1 ou d'un rapport établi par l'un des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l'établissement ayant servi à commettre l'infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois ". Aux termes de l'article L. 8211-1 du même code : " Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : / 1° Travail dissimulé ;2° Marchandage ; 3° Prêt illicite de main d'œuvre ; (...) / 4° Emploi d'étranger non autorisé à travailler ; (...) ".

3. La société Tempo Façades exerce une activité de travaux d'isolation intérieure et extérieure et de ravalement de façades. Le 24 octobre 2024, la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Grand Est a transmis au préfet de la Moselle un rapport indiquant que cette société a eu recours à des sociétés de droit polonais, MKS Group et Global Business Agents (GBA), pour contourner les règles d'emploi et de droit du travail par le recours au détachement de travailleurs étrangers pour pallier les difficultés de recrutement, en exploitant des travailleurs vulnérables de nationalités extra-communautaires. Par arrêté du 20 mars 2025, le préfet de la Moselle a ordonné la fermeture administrative de la société Tempo Façades pour une durée d'un mois, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 8272-2 du code du travail.

4. Pour rejeter la demande de la société Tempo Façades tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sans se prononcer sur la condition d'urgence, a estimé, d'une part, que cette société ne pouvait ignorer que les conditions d'emploi des douze travailleurs extra-communautaires en cause méconnaissaient la législation du travail et qu'elle avait elle-même contribué, avec les deux sociétés polonaises GBA et MKS Group, aux agissements reprochés, et, d'autre part, qu'au regard des faits et de la situation de la société, la fermeture pour une durée d'un mois décidée par le préfet de la Moselle n'apparaissait pas disproportionnée. Elle en a déduit que la mesure contestée ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

5. Si la société Tempo Façades soutient, en appel, qu'elle a régulièrement eu recours à des prestations de travail temporaire de la part de ces deux sociétés polonaises sans commettre pour sa part d'infraction à la législation du travail et sans porter préjudice aux salariés concernés, de sorte qu'aucune des infractions reprochées n'est caractérisée, elle n'apporte pas à l'appui de cette argumentation d'éléments de nature à remettre en cause l'appréciation de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg. Par ailleurs, la méconnaissance invoquée des droits de la défense préalablement à la décision du préfet de la Moselle n'est pas non plus, compte tenu notamment de ce que les faits pris en compte et les motifs de la sanction envisagée ont été portés à la connaissance de la société par lettre du préfet du 20 janvier 2025 et que celle-ci a fait valoir ses arguments par une réponse de son conseil du 31 janvier 2025, de nature à caractériser un atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société Tempo Façades doivent être rejetées en vertu de l'article L. 522-3 du même code, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Tempo Façades est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Tempo Façades.

Fait à Paris, le 4 avril 2025

Signé : Rémi Bouchez


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 503038
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2025, n° 503038
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:503038.20250404
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