Vu la procédure suivante :
M. BK... CK... et Mme BX... AG..., M. AK... BZ... et Mme AV... BZ..., M. CB... BF..., la société civile immobilière Bampa, M. CS..., M. X... N..., Mme BH... AN..., l'indivision composée de M. D... O... et Mme J... O..., M. BD... O..., Mlle AB... O... et M. F... O..., Mme BM... P..., M. BB... B..., l'indivision composée de Mme U... Q..., Mme AB... Q..., M. AM... Q... et M. BG... Q..., M. D... G... et Mme AB... AT..., M. D... AP..., M. CD... BI..., M. AC... AQ... et Mme AH... AQ..., Mme BQ... V..., M. E... Y... et Mme CO... CI... épouse Y..., Mme AZ... CP..., M. BN... AR... et Mme CJ... AR..., M. H... W..., Mme M... BL... épouse AJ..., Mme AD... C..., Mme CE... CQ..., M. S... BP... et Mme AS... BP... née Z..., l'indivision composée de Mme A... AW... et Mme CC... BE..., la société civile immobilière Miaou Miaou, M. AI... BR..., M. L... BS..., M. BT... AE..., Mme AL... BO... épouse K..., M. CN... BU..., Mme AA... BC..., M. CH... CF... et Mme CA... CF..., M. CH... BV... et M. BA... BV..., agissant en qualité de représentants légaux de Mme AX... T... épouse BV..., majeure protégée, Mme BJ... CT..., l'indivision composée de Mme AO... CR... et M. AY... BW..., M. I... BY..., M. CL... CM..., M. et Mme AF... CG... et l'association U Levante ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 décembre 2019 par lequel le maire de Pietrosella (Corse-du-Sud) a délivré à M. AU... R... un permis de construire pour un collectif de soixante logements. Par un jugement n° 2000191 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 21MA009916 du 6 février 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. R... contre ce jugement.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril et 3 juillet 2023 et le 8 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. R... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'association U Levante la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Godmez, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. R... et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de M. CK... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 23 décembre 2019, le maire de Pietrosella a accordé à M. R... un permis de construire des immeubles collectifs comportant soixante logements au lieu-dit de Sorbella. M. CK... et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 23 décembre 2019. Par un arrêt du 6 février 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. R... contre ce jugement. M. R... se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, l'ouverture de carrières, la recherche et l'exploitation de minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l'environnement, des particularités locales et de la capacité d'accueil du territoire, les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l'article L. 121-8, et en définit la localisation ". Aux termes de l'article L. 121-8 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. / Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte des déchets, ou la présence d'équipement ou de lieux collectifs ". Le III de l'article 42 de la même loi prévoit que : " Jusqu'au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, dans les secteurs mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, mais non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d'urbanisme en l'absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la présente loi ". Le V du même article précise que les mots " en continuité avec les agglomérations et villages existants " - qui remplacent les mots : " soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement " s'appliquent " sans préjudice des autorisations d'urbanisme délivrées avant la publication de la présente loi ". Cette modification de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ne s'applique pas " aux demandes d'autorisation d'urbanisme déposées avant le 31 décembre 2021 ni aux révisions, mises en compatibilité ou modifications de documents d'urbanisme approuvées avant cette date ". La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ayant été publiée au Journal officiel de la République française du 24 novembre 2018 et le permis de construire litigieux ayant été accordé le 23 décembre 2019, les dispositions du III et du V sont applicables en l'espèce.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales : " I. - Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut préciser les modalités d'application, adaptées aux particularités géographiques locales, du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l'urbanisme sur les zones littorales et du chapitre II du titre II du livre Ier du même code sur les zones de montagne. / Les dispositions du plan qui précisent ces modalités sont applicables aux personnes et opérations qui sont mentionnées, respectivement, aux articles L. 121-3 et L. 122-2 dudit code ". Aux termes du III de l'article L. 4424-9 du même code : " Les schémas de cohérence territoriale et, en l'absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme, les schémas de secteur, les cartes communales ou les documents en tenant lieu doivent être compatibles avec le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, notamment dans la délimitation à laquelle ils procèdent des zones situées sur leur territoire et dans l'affectation qu'ils décident de leur donner, compte tenu respectivement de la localisation indiquée par la carte de destination générale des différentes parties du territoire de l'île et de la vocation qui leur est assignée par le plan ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, dans leur rédaction applicable en l'espèce, qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme qui, d'une part, prévoient que l'extension de l'urbanisation ne peut se réaliser qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants ou en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement et, d'autre part, autorisent, sous certaines conditions, les constructions qui n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti dans les autres secteurs déjà urbanisés en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13. A ce titre, l'autorité administrative s'assure, le cas échéant, de la conformité d'une autorisation d'urbanisme délivrée en Corse avec l'article L. 121-8 de ce code compte tenu des dispositions du plan d'aménagement et de développement durable de Corse précisant notamment les critères d'identification des villages et agglomérations existants et des espaces proches du rivage, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral.
5. En premier lieu, le plan d'aménagement et de développement durable de Corse dispose qu'est " considéré comme une agglomération un espace densément urbanisé, compact, de taille supérieure au village, présentant le caractère d'un lieu de vie permanent et disposant d'une population conséquente, qui revêt, de plus, une fonction structurante à l'échelle d'un micro-territoire ou bien de la région " et que " par conséquent, pour être reconnue en tant qu'agglomération au sens de la loi " Littoral ", la forme urbaine étudiée devra impérativement répondre cumulativement à l'ensemble des critères et indicateurs de la grille de lecture ", au nombre desquels figurent notamment les critères selon lesquels elle doit être un " lieu de vie à caractère permanent ", revêtir une " fonction structurante pour la microrégion ou pour l'armature urbaine insulaire " et être de " taille et densité importantes ". En ne recherchant pas, pour juger que le projet de construction litigieux ne s'inscrivait pas en continuité d'une agglomération, au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, si le secteur du terrain d'assiette du projet pouvait être regardé comme un lieu de vie à caractère permanent, la cour n'a, dès lors que les critères permettant de caractériser une agglomération sont cumulatifs et qu'elle a retenu que ce secteur n'avait, à la date de délivrance du permis litigieux, aucune fonction structurante à l'échelle de la microrégion ou de l'armature urbaine insulaire, commis aucune erreur de droit.
6. En deuxième lieu, en estimant que le terrain d'assiette du projet litigieux n'était pas situé dans un secteur caractérisé par une densité des constructions significative permettant d'être regardé comme une agglomération au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
7. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger que le terrain d'assiette du projet en litige n'était pas situé en continuité avec une agglomération existante au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme précisées par les dispositions du plan d'aménagement et de développement durable de Corse, la cour ne s'est pas bornée à prendre en compte les constructions situées sur les seules parcelles limitrophes de ce terrain mais a apprécié le respect du principe de continuité en restituant, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, le terrain d'assiette du projet dans l'ensemble de son environnement. Il s'ensuit que la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
8. En quatrième lieu, le plan d'aménagement et de développement durable de Corse dispose qu'un village est " un regroupement organisé de bâtis, selon une trame, disposant d'une centralité, présentant, ou du moins ayant présenté, des fonctions diversifiées, et en particulier, des espaces publics et ayant un caractère stratégique dans l'organisation communale ". En jugeant, notamment au regard de la trame et la morphologie de son urbanisation, que la zone du terrain d'assiette du projet litigieux ne pouvait être regardée comme étant un village au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme précisées par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
9. En cinquième lieu, la cour n'a, contrairement à ce que soutient le requérant, pas jugé qu'une commune ne pouvait comporter plusieurs villages au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. Le moyen tiré de l'erreur de droit qu'elle aurait ce faisant commise ne peut dès lors qu'être écarté.
10. En sixième lieu, en jugeant qu'eu égard à sa distance par rapport à la côte, à sa visibilité avec l'océan, aux caractéristiques de l'urbanisation environnante et à la morphologie de la zone, le terrain d'assiette du projet litigieux devait être regardé comme relevant d'un espace proche du rivage au sens du deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. La cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
11. En septième lieu, en jugeant que la minute du jugement contesté comportait l'ensemble des signatures requises en vertu de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. R... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrête qu'il attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association U Levante qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. R... une somme globale de 3 000 euros à verser à M. CK... et autres au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. R... est rejeté.
Article 2 : M. R... versera à M. CK... et autres une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. AU... R... et à M. BK... CK..., représentant unique désigné, pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la commune de Pietrosella
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mars 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Thomas Godmez, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 25 mars 2025.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Godmez
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly