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21/03/2025 | FRANCE | N°470211

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 21 mars 2025, 470211


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le numéro 470211, par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des activités liées aux animaux domestiques et non domestiques, aux végétaux d'ornement, à l'environnement et au cadre de vie (SYNAPSES) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique DGAL/SDSBEA/2022-835 du 14 novembre 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 470211, par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des activités liées aux animaux domestiques et non domestiques, aux végétaux d'ornement, à l'environnement et au cadre de vie (SYNAPSES) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique DGAL/SDSBEA/2022-835 du 14 novembre 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 470376, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 janvier 2023 et le 24 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique DGAL/SDSBEA/2022-835 du 14 novembre 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 34 ;

- le code pénal ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 ;

- le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 ;

- le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 ;

- l'arrêté du 31 juillet 2012 relatif aux mentions essentielles devant figurer sur les équipements utilisés pour la présentation des animaux de compagnie d'espèces domestiques en vue de leur cession ainsi qu'au document d'information et de l'attestation de cession mentionnés au I de l'article L. 214-8 du code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du V de l'article L. 214-8 du code rural et de la pêche maritime, créé par la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes : " V.- Toute personne physique qui acquiert à titre onéreux ou gratuit un animal de compagnie signe un certificat d'engagement et de connaissance des besoins spécifiques de l'espèce, dont le contenu et les modalités de délivrance sont fixés par décret. / Toute personne cédant un animal de compagnie à titre onéreux ou gratuit s'assure que le cessionnaire a signé le certificat d'engagement et de connaissance prévu au premier alinéa du présent V. La cession de l'animal ne peut intervenir moins de sept jours après la délivrance du certificat au cessionnaire. / Les animaux de compagnie mentionnés au deuxième alinéa du présent V sont les chats et les chiens ainsi que les animaux de compagnie précisés par décret ". Aux termes du II de l'article D. 214-32-4 du même code, créé par le décret du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale : " II. - Le certificat d'engagement et de connaissance mentionné au V de l'article L. 214-8 est délivré pour chaque espèce, par une personne remplissant au moins l'une des conditions prévues au 3° du I de l'article L. 214-6-1. / Ce certificat est signé par le nouvel acquéreur et comporte une mention manuscrite par laquelle il s'engage expressément à respecter les besoins de l'animal. / Ce certificat précise pour l'espèce considérée : / 1° Les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux en tenant compte de l'état des connaissances scientifiques ; / 2° Les obligations relatives à l'identification de l'animal ; / 3° Les implications financières et logistiques liées à la satisfaction des besoins physiologiques, comportementaux et médicaux de cette espèce tout au long de la vie de l'animal ". Par une instruction technique DGAL/SDSBEA/2022-835 du 14 novembre 2022 publiée au bulletin officiel n° 48 du 17 novembre au 24 novembre 2022 du ministère chargé de l'agriculture, la directrice générale adjointe de l'alimentation a, au nom du ministre, précisé " le contenu du certificat d'engagement et de connaissance délivré avant acquisition d'un animal de compagnie " et " ses modalités de délivrance et d'utilisation ".

2. Le syndicat national des activités liées aux animaux domestiques et non domestiques, aux végétaux d'ornement, à l'environnement et au cadre de vie (SYNAPSES) et le syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC) demandent, par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'annulation pour excès de pouvoir de cette instruction technique.

3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

Sur la portée de l'instruction technique :

4. La seule circonstance que l'instruction technique est adressée pour exécution aux services déconcentrés du ministère ne saurait, contrairement à ce que soutient le SYNAPSES, entraîner une méconnaissance du principe d'égalité de traitement des usagers.

Sur les dispositions de l'instruction technique relatives au contenu du certificat d'engagement et de connaissance :

5. D'une part, en illustrant, à sa page 8, ce que recouvrent les " besoins médicaux " de l'animal ainsi que ses " besoins éthologiques ", lesquels correspondent aux " besoins comportementaux " de l'animal, l'instruction technique contestée n'introduit pas, contrairement à ce que soutient le SYNAPSES, de dispositions réglementaires relatives au contenu du certificat d'engagement et de connaissance ajoutant à celles qui sont mentionnées par les dispositions de l'article D. 214-32-4 du code rural et de la pêche maritime citées au point 1, qui incluent la description des besoins physiologiques, comportementaux et médicaux de l'animal.

6. D'autre part, en vertu du 2° du I de l'article L. 214-8 du code rural et de la pêche maritime, toute vente d'animaux de compagnie doit s'accompagner, " lorsque l'acquéreur n'est pas tenu de signer un certificat [d'engagement et de connaissance] " de la délivrance d'un " document d'information sur les caractéristiques et les besoins de l'animal, comprenant également, au besoin, des conseils d'éducation ", document d'information dont le contenu est fixé par l'article 2 de l'arrêté du 31 juillet 2012 visé ci-dessus. Il ne résulte ni de ces dispositions, ni de celles de l'article D. 214-32-4 du même code, que le certificat d'engagement et de connaissance devrait avoir le même contenu que le document d'information. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction technique est illégale en tant que, faute de prévoir que ce certificat comprend les mêmes mentions que le document d'information, elle méconnaît les dispositions de l'arrêté du 31 juillet 2012, ne peut qu'être écarté.

7. Enfin, si le SYNAPSES fait grief aux modèles de certificats joints en annexe à l'instruction d'être excessivement longs et de nature à décourager les personnes souhaitant acquérir un animal de les lire, ce moyen ne peut en tout état de cause qu'être écarté dès lors que l'instruction ne présente ces documents que comme des exemples, en spécifiant que chaque personne décidant de délivrer un certificat d'engagement et de connaissance reste libre de l'élaboration de son contenu, dans le respect de la réglementation en vigueur.

Sur les modalités de délivrance du certificat d'engagement et de connaissance :

8. D'une part, contrairement à ce que soutiennent le SYNAPSES et le SNPCC, si l'instruction dispose que les personnes habilitées à délivrer le certificat d'engagement et de connaissance doivent délivrer au récipiendaire une " information la plus complète et précise possible " et la " plus scientifiquement fondée ", elle n'impose pas que le certificat d'engagement et de connaissance soit délivré lors d'un échange " en présentiel ", puisqu'elle indique que cette remise peut aussi se faire à distance. Elle n'impose pas davantage la participation du récipiendaire à un questionnaire ou à une formation, qui sont présentés comme une faculté. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction serait illégale en tant qu'elle introduirait des sujétions nouvelles relatives aux modalités de délivrance du certificat non prévues par l'article D. 214-32-4 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.

9. D'autre part, en mentionnant que " le délivreur [du certificat d'engagement et de connaissance] ne peut pas imposer de promesse d'achat d'animal ou demander une avance, un acompte, des arrhes ou utiliser toute autre technique qui pourrait s'apparenter à une obligation d'achat ou d'adoption imposée au récipiendaire ", l'instruction technique du 14 novembre 2022 se borne préciser que le délivreur, pris en cette qualité, ne peut pas subordonner la délivrance du certificat d'engagement et de connaissance, en tant que telle, à une promesse d'achat, sans pour autant interdire au cédant, pris en cette qualité, d'assortir la réservation de l'animal des procédés commerciaux habituels, la vente, qu'elle se matérialise par le versement du prix, d'une avance ou d'un acompte, ne pouvant cependant être conclue, aux termes des dispositions législatives citées au point 1, qu'avec des personnes signataires d'un certificat d'engagement et de connaissance délivré depuis plus de sept jours. Ainsi, la disposition contestée n'a ni pour objet ni pour effet de régir ou modifier les dispositions encadrant spécifiquement la vente ou la réservation des animaux de compagnie, et le moyen tiré de ce qu'elle méconnaît la liberté contractuelle des personnes, protégée par l'article 34 de la Constitution et garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ne peut qu'être écarté.

10. Enfin, l'instruction technique, indique, au point II relatif aux objectifs du certificat d'engagement et de connaissance, que " si le délivreur est responsable de son contenu, il ne peut être tenu pour responsable en cas de non-respect des préconisations énoncées dans le certificat (...) par la personne à qui il a été délivré ". S'il est constant que l'article 441-7 du code pénal, dont il fait mention au point IV de l'instruction et qui sanctionne le fait d'établir un certificat ou une attestation faisant état de faits matériellement inexacts, de falsifier un certificat originairement sincère ou de faire usage d'un certificat inexact, ne saurait être regardé comme le fondement de la responsabilité civile éventuellement encourue par le délivreur du certificat au cas où il délivrerait des informations erronées, aucun texte ni aucun principe, et notamment pas le principe constitutionnel invoqué de clarté et d'intelligibilité de la loi, n'obligeait le ministre à préciser par l'instruction contestée quel texte ou principe fondait cette responsabilité.

Sur les modalités de cession de l'animal :

11. D'une part, en indiquant que " le cédant, quelles que soient les modalités de transaction et de publicité, est tenu de s'assurer par tout moyen que ce soit que l'acquéreur a signé son certificat d'engagement et de connaissance ", l'instruction ne fait que rappeler les termes de la loi citée au point 1.

12. D'autre part, si le législateur, en énonçant que " La cession de l'animal ne peut intervenir moins de sept jours après la délivrance du certificat au cessionnaire ", a entendu créer un délai de réflexion de sept jours entre la délivrance au futur acquéreur, par une personne qualifiée, du certificat d'engagement et de connaissance et la cession de l'animal, il ne ressort d'aucune des dispositions citées au point 1 qu'il aurait entendu imposer un délai de sept jours entre la signature de ce certificat, matérialisant l'engagement de l'acquéreur, et la date de cession de l'animal. Par suite, le SYNAPSES et le SNPCC sont fondés à soutenir qu'en indiquant à deux reprises, page 5, que le cédant vérifie " que la signature du certificat par le futur acquéreur a été faite au moins sept jours avant la cession ", alors qu'il lui appartient seulement de vérifier que le certificat d'engagement et de connaissance a été délivré à l'acquéreur au moins sept jours avant cette cession, l'instruction a illégalement ajouté à la loi et doit, dans cette mesure, être annulée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation de l'instruction contestée du ministre de l'agriculture, qui n'a pas excédé sa compétence s'agissant des autres dispositions attaquées, qu'en tant qu'elle prévoit le respect d'un délai de sept jours entre la signature du certificat d'engagement et de connaissance et la cession de l'animal.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser respectivement au SYNAPSES et au SNPCC au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'instruction technique DGAL/SDSBEA/2022-835 du 14 novembre 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est annulée en tant qu'elle prévoit le respect d'un délai de sept jours entre la signature du certificat d'engagement et de connaissance des besoins de l'animal et la cession de l'animal.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros au SYNAPSES et une somme de 1 500 euros au SNPCC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des activités liées aux animaux domestiques et non domestiques, aux végétaux d'ornement, à l'environnement et au cadre de vie (SYNAPSES), au syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC) et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 21 mars 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Nicole da Costa

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470211
Date de la décision : 21/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 mar. 2025, n° 470211
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nicole da Costa
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:470211.20250321
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