Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 502385, par une requête enregistrée le 14 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Les amis du virage sud et la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 12 mars 2025 du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement des supporters du club de football de l'Olympique de Marseille lors de la rencontre du dimanche 16 mars 2025 à 20 heures 45 avec le club du Paris Saint-Germain ;
2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2025-00308 du 11 mars 2025 du préfet de police et du préfet des Hauts-de-Seine instituant un périmètre au sein duquel la présence de certaines catégories de supporters est réglementée et instaurant certaines mesures de police à l'occasion de la rencontre de football de Ligue 1 du dimanche 16 mars 2025 entre les équipes du Paris Saint-Germain et de l'Olympique de Marseille au stade du Parc des Princes ;
3°) d'ordonner toute mesure de nature à préserver les libertés fondamentales des supporters visiteurs ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions contestées, d'une part, ont été prises à une échéance très proche du match à intervenir alors que les supporters marseillais doivent prévoir et réaliser leurs déplacements et, d'autre part, portent une atteinte illégale aux droits fondamentaux des supporters ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'association ;
- le risque de troubles graves à l'ordre public n'est pas avéré dès lors que, en premier lieu, aucun élément précis et circonstancié ne permet d'attester d'un risque particulier lié à la rencontre en cause, les arrêtés s'inscrivant dans une logique d'interdiction systématique et non circonstanciée, en deuxième lieu, le contexte de mobilisation des forces de l'ordre n'est pas de nature, par lui-même, à empêcher le recours à la force publique pour sécuriser le déplacement des supporters marseillais et, en dernier lieu, la mesure est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, qui aurait pu être satisfait par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.
II. Sous le n° 502407, par une ordonnance n° 2506886 du 14 mars 2025, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête enregistrée le 13 mars 2025 au greffe de ce tribunal, présentée par l'association Les amis du virage sud et la SASP Olympique de Marseille.
Par cette requête, l'association Les amis du virage sud et autre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'article 1er de l'arrêté n° 2025-00308 du 11 mars 2025 du préfet de police et du préfet des Hauts-de-Seine instituant un périmètre au sein duquel la présence de certaines catégories de supporters est réglementée et instaurant certaines mesures de police à l'occasion de la rencontre de football de Ligue 1 du dimanche 16 mars 2025 entre les équipes du Paris Saint-Germain et de l'Olympique de Marseille au stade du Parc des Princes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacune des requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles justifient d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté litigieux préjudicie gravement à leurs intérêts à une échéance très proche de la rencontre sportive en cause ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'aller et venir, de réunion et d'association ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté contractuelle de la société Olympique de Marseille dès lors que, d'une part, l'arrêté litigieux lui porte un préjudice économique en empêchant sa clientèle de se rendre à la rencontre sportive et, d'autre part, les interdictions découlant de l'arrêté attaqué sont de nature à l'empêcher de réaliser son objet social ;
- les circonstances sur lesquelles se fonde l'arrêté ne sont pas de nature à justifier les mesures adoptées dès lors que, en premier lieu, la rencontre ne présente pas d'enjeu particulier sur le plan sportif, en deuxième lieu, les faits invoqués sont anciens, sans lien avec les rencontres entre les deux équipes et ne sont pas d'une gravité telle qu'ils n'ont pas pu être gérés par les forces de l'ordre et, en dernier lieu, il n'est pas fait état de circonstances spécifiques permettant d'établir une mobilisation importante des forces de l'ordre de nature à empêcher la sécurisation du déplacement ;
- la mesure est disproportionnée dès lors que l'arrêté attaqué, d'une part, porte une interdiction générale et absolue et, d'autre part, poursuit un objectif de préservation de l'ordre public qui aurait pu être satisfait par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2025 le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet des requêtes. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Les amis du virage sud et autre et, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 mars 2025, à 14 heures :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Les amis du virage sud et de la SASP Olympique de Marseille ;
- la représentante du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".
3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.
4. Il résulte de l'instruction que le dimanche 16 mars 2025 à 20h45, le club du Paris Saint-Germain (PSG) recevra l'Olympique de Marseille (OM), au stade du Parc des Princes, dans le seizième arrondissement de Paris, pour un match dans le cadre de la 26ème journée du championnat de France de football de Ligue 1 2024-2025. Par un arrêté du 11 mars 2025, le préfet de police et le préfet des Hauts-de-Seine ont notamment interdit, par les dispositions de son article 1er, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'OM ou se comportant comme tel, d'une part, d'accéder au stade du Parc des Princes, du dimanche 16 mars à 17 h au lendemain à 1 h, et, d'autre part, de circuler ou stationner sur la voie publique à l'intérieur d'un périmètre délimité aux abords de ce stade. Par un arrêté du 12 mars 2025 publié au Journal officiel le 13 mars, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a interdit le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, des mêmes personnes entre les communes du département des Bouches-du-Rhône et les communes de la région d'Ile-de-France, le dimanche 16 mars 2025 de zéro heure à minuit. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, l'association Les amis du virage sud et la SASP Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté ministériel et de l'article 1er de l'arrêté préfectoral.
Sur la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat :
5. Le juge des référés du Conseil d'Etat ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'Etat.
6. En vertu de l'article R. 341-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel ".
7. Le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort, en application du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour connaître d'un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement de supporteurs en application de l'article L. 332-16-1 du code du sport, cet arrêté ayant un caractère réglementaire. En outre, dès lors que l'arrêté du ministre de l'intérieur en litige se rapporte aux mêmes évènements sportifs que l'arrêté préfectoral contesté et qu'il appartient au juge des référés de porter une appréciation d'ensemble tant sur la gravité des atteintes que les mesures litigieuses portent aux libertés fondamentales invoquées que sur l'existence éventuelle d'une disproportion manifeste de ces mesures au regard des risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de l'émailler, et alors en outre que, eu égard à la très grande proximité de ces arrêtés avec cet évènement, la saisine de deux juges des référés de juridictions différentes ferait courir le risque de décisions incohérentes entre elles, il y a lieu, au regard des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, d'admettre la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat pour se prononcer sur l'ensemble des conclusions dont il est saisi, alors même que le recours contre un arrêté préfectoral de la nature de celui en litige doit en principe être porté devant le tribunal administratif territorialement compétent.
Sur les demandes en référé :
8. Pour justifier les interdictions en litige, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur fait valoir que de nombreux événements violents, impliquant des supporters de l'OM à l'occasion de déplacements ou des supporters du PSG lors de rencontres avec des clubs visiteurs, ont eu lieu y compris ces derniers mois, notamment le 11 janvier 2025, à l'occasion d'un déplacement de supporters marseillais qui ont croisé sur la route des supporters bordelais, une rixe sur une aire de repos impliquant une soixantaine d'individus et causant trois blessés ainsi que des dégradations, le 9 février 2025, à l'occasion de la rencontre entre le club Angers SCO et l'OM, une rixe entre les supporters de ces deux clubs, causant un blessé, et le 19 février 2025, à l'issue de la rencontre entre le PSG et le Stade Brestois 29, une rixe entre les supporters de ces deux clubs nécessitant l'intervention des forces de l'ordre. Il soutient, en outre, qu'une animosité particulière et ancienne entre les supporters des deux clubs est avérée et que ceux-ci se sont livrés, dans la période récente, à des agissements de nature à troubler l'ordre public, y compris en dépit des mesures d'interdiction d'accès mises en place, ce qui fait naître un risque réel et sérieux d'affrontements entre les supporters des deux clubs à l'occasion de la rencontre de football devant opposer les deux équipes le dimanche 26 mars 2025 et a d'ailleurs justifié le classement de la rencontre au niveau 5 sur 5 par les services de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Il relève, comme démontrant particulièrement la persistance et l'intensité de cette animosité, des faits récents tels que, le 23 février 2025, en amont d'une rencontre entre le club d'Auxerre et l'OM, une altercation entre des supporteurs marseillais et des supporteurs auxerrois renforcés par des éléments ultras parisiens, causant plus d'une dizaine de blessé, ainsi que, lors des matchs opposant l'OM ou le PSG à d'autres équipes, l'usage récurrent de banderoles, de slogans ou de chants au contenu provocateur à l'encontre, respectivement, des supporteurs du PSG ou de l'OM. Enfin, il fait état du contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre dans la zone de défense.
9. Sans contester la réalité de ces faits ni l'existence d'une animosité entre supporters de l'OM et du PSG, les requérantes soutiennent que les interdictions de déplacement et d'accès à un périmètre, qui interviennent après des mesures identiques à l'encontre des supporters du club invité à l'occasion de toutes les rencontres entre l'OM et le PSG survenues après celle du 28 février 2018, portent aux libertés fondamentales une atteinte disproportionnée dès lors qu'elles sont sans effet sur la persistance d'incidents violents entre supporters qui se produisent désormais en dehors des rencontres entre ces clubs, voire de tout contexte sportif, que des mesures ciblant spécifiquement les individus, en petit nombre, à l'origine de ces incidents seraient plus appropriées, que les interdictions sont décidées de manière systématique sans égard aux circonstances de chaque espèce, en particulier sans distinguer entre les véritables faits de violence et ceux qui n'excèdent pas la rivalité normale entre deux clubs et, enfin, que l'impossibilité pour les forces de l'ordre de répondre aux besoins de sécurité du match du 26 mars 2025 sans qu'il soit recouru aux mesures litigieuses n'est pas démontrée.
10. Il résulte toutefois de l'instruction que les auteurs des arrêtés attaqués se sont fondés, non sur des considérations générales, mais sur les éléments circonstanciés mentionnés au point 8. Ces éléments sont de nature à faire redouter, dans un contexte persistant d'animosité et de recours à la violence, que le déplacement vers les communes de l'Ile-de-France et l'accès au stade du Parc des Princes ainsi qu'à ses abords de personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'OM ou se comportant comme tel soient à l'origine de troubles graves à l'ordre public à l'occasion du match du 26 mars 2025, alors que la sécurisation de cette rencontre dans l'hypothèse où ce déplacement et cet accès demeureraient interdits représente déjà, pour les forces de l'ordre, une mobilisation très importante compte tenu de l'ensemble des manifestations et événements prévus le même jour en Ile-de-France. La circonstance que des incidents puissent se produire malgré ces interdictions, ou à d'autres occasions que cette rencontre, ne saurait à elle seule démontrer que les risques propres à la présence des supporters de l'OM à l'occasion du match ne justifieraient pas les mesures adoptées. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que les décisions litigieuses porteraient une atteinte manifestement disproportionnée aux libertés fondamentales invoquées.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Les amis du virage sud et autre sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Les amis du virage sud, première requérante dénommée et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police et au préfet des Hauts-de-Seine.
Fait à Paris, le 15 mars 2025
Signé : Philippe Ranquet