Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 474944, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 9 juin 2023, le 21 novembre 2024 et le 10 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale de l'apiculture française demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont rejeté ses demandes tendant au retrait de l'arrêté du 15 avril 2019 portant reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " comme organisation interprofessionnelle sur le territoire national dans le secteur des produits de la ruche ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de procéder au retrait de la reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " comme organisation interprofessionnelle dans le secteur des produits de la ruche ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de réexaminer ses demandes du 6 février 2023 de retrait de la reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " ;
4°) d'assortir l'injonction d'une astreinte de 10 000 euros par jour de retard suivant la notification de la décision à intervenir ;
5°) à défaut, d'enjoindre avant-dire droit au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de produire :
- au sens du A du II de l'instruction technique DGPE/SDC/2019-67 du 29 janvier 2019, la fiche présentant la filière des produits ou groupes de produits couverts et les activités économiques de la filière au sens de l'article 157 § 1 a) de l'OCM et démontrant la représentativité, pour une part significative, de chacun des secteurs d'activité économique représentés au sein de l'organisation interprofessionnelle ;
- au sens du E du III de l'instruction technique DGPE/SDC/2019-67 du 29 janvier 2019, le porter à connaissance de la " modification (...) susceptible de modifier les conditions du respect des critères de représentativité ", qui a dû être effectué par l'organisation interprofessionnelle reconnue lors de la survenance de la " modification majeure " consistant dans le retrait des organisations syndicales UNAF et SNA, notamment ;
6°) à défaut, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur le point de savoir si les dispositions de l'article 158 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 prévoyant la représentation d'une " part significative de l'activité économique " au sein de la filière doivent s'entendre comme prévoyant une représentativité établie selon les critères de l'article 164 du même règlement, et, dans la négative, sur l'identification du " critère objectif et rationnel " auquel correspond la notion de " part significative de l'activité économique " ;
7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 474956, par une requête, enregistrée le 9 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national d'apiculture demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont rejeté ses demandes tendant au retrait de l'arrêté du 15 avril 2019 portant reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " comme organisation interprofessionnelle sur le territoire national dans le secteur des produits de la ruche ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de procéder au retrait de la reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " comme organisation interprofessionnelle sur le territoire national dans le secteur des produits de la ruche ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de réexaminer à nouveau ses demandes du 6 février 2023 de retrait de la reconnaissance de l'association " Interapi - Interprofession des produits de la ruche " ;
4°) d'assortir l'injonction d'une astreinte de 10 000 euros par jour de retard suivant la notification de la décision à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 13 février et 3 mars 2025, présentées par l'Union nationale de l'apiculture française ;
Considérant ce qui suit :
1. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et le Syndicat national d'apiculture (SNA) demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont refusé, sur leurs demandes du 6 février 2023, d'abroger l'arrêté interministériel du 15 avril 2019 par lequel ils ont reconnu l'association Interapi en tant qu'organisation interprofessionnelle sur le territoire national au sens de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil dans le secteur des produits de la ruche.
Sur l'intervention du Syndicat des producteurs de miel en France :
2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe aux conclusions du requérant ou à celles du défendeur.
3. L'intervention du Syndicat des producteurs de miel en France (SPMF) qui ne s'associe ni aux conclusions présentées par les requérants ni à celles des défendeurs, n'est dès lors pas recevable.
Sur les requêtes :
4. D'une part, aux termes de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les organisations interprofessionnelles (...) qui : / a) sont constituées de représentants des activités économiques liées à la production et à au moins une des étapes suivantes de la chaîne d'approvisionnement : la transformation ou la commercialisation, y compris la distribution, des produits dans un ou plusieurs secteurs ; b) sont constituées à l'initiative de la totalité ou d'une partie des organisations ou associations qui les composent ; c) poursuivent un but précis prenant en compte les intérêts de leurs membres et ceux des consommateurs, qui peut inclure, notamment, un des objectifs suivants : (...) ". Aux termes de l'article 158 du même règlement : " 1. Les États membres peuvent reconnaître les organisations interprofessionnelles qui en font la demande, à condition qu'elles : / a) répondent aux exigences fixées à l'article 157 ; / b) exercent leurs activités dans une ou plusieurs régions du territoire concerné ; / c) représentent une part significative des activités économiques visées à l'article 157, paragraphe 1, point a) (...). 5. Lorsqu'ils reconnaissent une organisation interprofessionnelle conformément au paragraphe 1 (...), les États membres : a) décident de l'octroi de la reconnaissance dans un délai de quatre mois à compter de l'introduction d'une demande, accompagnée de toutes les pièces justificatives pertinentes; cette demande est introduite auprès de l'État membre dans lequel l'organisation a son siège b) effectuent, à des intervalles déterminés par eux, des contrôles pour s'assurer que les organisations interprofessionnelles reconnues respectent les conditions liées à leur reconnaissance ; c) imposent à ces organisations les sanctions applicables et déterminées par eux en cas de non-respect ou d'irrégularités dans la mise en œuvre des mesures prévues par le présent règlement et décident, si nécessaire, du retrait de la reconnaissance ; d) retirent la reconnaissance si les exigences et conditions prévues par le présent article pour la reconnaissance ne sont plus remplies ; e) informent la Commission, au plus tard le 31 mars de chaque année, de toute décision d'accorder, de refuser ou de retirer la reconnaissance qui a été prise au cours de l'année civile précédente ". Enfin, en vertu de l'article 164 du même règlement, un Etat membre ne peut étendre des accords ou décisions prises par une organisation interprofessionnelle à d'autres opérateurs que ceux qui en sont membres que si cette organisation est considérée comme représentative, c'est-à-dire qu'elle représente au moins les deux tiers du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés ou, à défaut, respecte les règles nationales que l'Etat membre a fixées pour déterminer le niveau précis de représentativité lorsque " la détermination de la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les groupements constitués à leur initiative par les organisations professionnelles représentant la production agricole, y compris les groupements constitués par des organisations de producteurs ou des associations d'organisations de producteurs, et, selon les cas, la transformation, la commercialisation et la distribution peuvent, s'ils représentent une part significative de ces secteurs d'activité, faire l'objet d'une reconnaissance en qualité d'organisations interprofessionnelles par l'autorité administrative compétente après avis du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire soit au niveau national, soit au niveau d'une zone de production, par produit ou groupe de produits déterminés s'ils poursuivent, notamment, un ou plusieurs des objectifs énumérés au point c du paragraphe 1 ou au point c du paragraphe 3 de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, pour les produits couverts par ce règlement, ou, pour les autres produits, un ou plusieurs des objectifs suivants : (...) ". En vertu des dispositions de l'article L. 632-4 du même code, l'extension des accords conclus par les organisations interprofessionnelles est subordonnée au respect des conditions prévues par le droit de l'Union européenne, notamment l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013, cet article prévoyant que " lorsque la détermination de la proportion du volume de la production ou de la commercialisation ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, l'organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d'affaires ".
6. En premier lieu, l'UNAF et le SNA soutiennent que, depuis leurs démissions de l'association Interapi, qui ont pris effet le 1er janvier 2023, celle-ci ne respecte plus, s'agissant du collège des producteurs, les critères de représentativité fixés par l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 et l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime. Il résulte toutefois clairement des dispositions citées aux points 3 et 4 que les conditions dans lesquelles un groupement peut être reconnu en tant qu'organisation interprofessionnelle sont fixées par les seules dispositions des articles 157 et 158 du règlement (UE) n° 1308/2013 et des articles L. 632-1 à L. 632-2 du code rural et de la pêche maritime. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, en vertu du point c du paragraphe 1 de l'article 158 du règlement européen n° 1308/2013, un Etat membre ne peut reconnaître au sens de ce règlement une organisation interprofessionnelle que si elle représente une part significative des activités économiques du secteur concerné. Il ressort des pièces du dossier que le secteur apicole regroupait fin 2023 en France 63 415 apiculteurs, dont 5 662 seulement, qui possèdent plus de cinquante ruches, sont des apiculteurs professionnels ou pluriactifs, lesquels assurent à eux seuls 79 % de la production. Si l'UNAF et le SNA revendiquent respectivement 23 000 et 25 780 adhérents, ils ne démontrent nullement que ceux-ci sont tous apiculteurs ni qu'ils ne seraient pas, dans un tel cas, également adhérents d'autres organisations de producteurs. Dans ces circonstances, alors que le collège " Production " de l'association Interapi regroupe, au 1er janvier 2025 et pour toute cette année, deux unions syndicales généralistes (la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles-section apicole et la Confédération paysanne) et quatre syndicats d'apiculteurs professionnels (la Fédération française des apiculteurs professionnels, le Syndicat des producteurs de miel de France, la Fédération des coopératives agricoles de France et le Groupement des producteurs de gelée royale), il ressort des pièces du dossier que l'organisation interprofessionnelle Interapi représente toujours, malgré la démission des deux syndicats requérants et, à compter du 1er janvier 2024, celle de l'union syndicale Coordination rurale, une part significative de la production du secteur apicole.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite des démissions de l'UNAF et du SNA, les statuts de l'association Interapi ont été modifiés lors de son assemblée générale extraordinaire du 9 mars 2023 afin de prendre acte de leur retrait des instances de gouvernance et que l'association a demandé, par un courrier du 6 septembre 2023, l'ouverture d'une nouvelle instruction de sa reconnaissance au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. L'association a de nouveau modifié ses statuts le 20 mars 2024 pour prendre acte de la démission de la Coordination rurale. Par un avis du 4 décembre 2024, la commission nationale technique - Interprofession du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire a considéré que les modifications intervenues au sein d'Interapi n'entraînaient pas de perte de représentativité justifiant le retrait de sa reconnaissance. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent l'UNAF et le SNA, l'Etat ne peut pas être regardé comme ayant manqué aux obligations de contrôle et de suivi des organisations interprofessionnelles prévues par le paragraphe 5 de l'article 158 du règlement (UE) n° 1308/2013. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en l'absence de difficultés sur l'interprétation du droit de l'Union européenne, ni de procéder aux mesures d'instruction demandées, que les requêtes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'UNAF et du SNA la somme de 1 500 euros à verser chacun à Interapi au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du syndicat des producteurs de Miel de France (SPMF) n'est pas admise.
Article 2 : Les requêtes de l'UNAF et du SNA sont rejetées.
Article 3 : L'UNAF et le SNA verseront chacun à Interapi une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale de l'apiculture française, au Syndicat national d'apiculture, au Syndicat des producteurs de miels de France, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'association Interapi - Interprofession des produits de la ruche,
Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2025 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 12 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Philippe Ranquet
La rapporteure :
Signé : Mme Nicole da Costa
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne