La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/02/2025 | FRANCE | N°501535

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 février 2025, 501535


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'ordonner son extraction afin qu'il puisse être entendu à l'audience et, en dernier lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, de faire cesser ses conditions de détention in

dignes. Par une ordonnance n° 2500208 du 29 janvier 2025, le juge d...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'ordonner son extraction afin qu'il puisse être entendu à l'audience et, en dernier lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, de faire cesser ses conditions de détention indignes. Par une ordonnance n° 2500208 du 29 janvier 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a, en premier lieu, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance, les mesures permettant d'assurer que M. A... est quotidiennement levé de son lit médicalisé, qu'il bénéficie de douches régulières, qu'il peut satisfaire dans des conditions normales ses besoins élémentaires et qu'il est vêtu décemment et, en dernier lieu, rejeté le surplus de ses conclusions.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 21 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 29 janvier 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter la requête présentée par M. A... en première instance.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de M. A... de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants dès lors que celui-ci bénéficie d'un véritable accompagnement quotidien en ce que, en premier lieu, il bénéficie d'un matériel important en faveur de sa prise en charge médicale et d'aménagements spécifiques dans sa salle de bain, en deuxième lieu, il bénéficie d'une prise en charge régulière par le service de soins à domicile (SSIAD) et par l'auxiliaire de vie ainsi que d'extractions médicales régulières afin de recevoir les soins nécessaires et, en dernier lieu, il a refusé un transfert dans un autre centre de détention pour améliorer sa prise en charge sanitaire ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a considéré que la prise en charge sanitaire en détention de M. A... relevait de la seule compétence de l'administration pénitentiaire dès lors que, d'une part, cette prise en charge incombe au service public hospitalier et, d'autre part, l'administration pénitentiaire ne dispose d'aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, qui relèvent exclusivement de l'autorité judiciaire, et qu'il appartient à M. A... de formuler une demande d'aménagement de peine ou de suspension de peine pour raisons médicales ;

- l'ordonnance contestée n'est pas justifiée dès lors que, en premier lieu, l'administration pénitentiaire met tout en œuvre afin de lutter efficacement contre la prolifération des nuisibles au sein du centre de détention, en deuxième lieu, un agent pénitentiaire est toujours présent lors des interventions d'une personne détenue et, en dernier lieu, l'administration achète les couches de M. A... lorsque que ce dernier est considéré comme indigent et procède tous les jours à une toilette au lit de M. A..., suivant les recommandations du service de soins à domicile.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 et 24 février 2025, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, à défaut, de lui verser la même somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il demande par la voie de l'appel incident au juge des référés du Conseil d'Etat, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'annuler partiellement l'ordonnance du 29 janvier 2025 en tant que le juge des référés n'a pas enjoint à l'administration de procéder à une extermination de nuisibles au sein du quartier des cellules adaptées pour les personnes à mobilité réduite (PMR) de l'établissement et, en dernier lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de procéder à une extermination de nuisibles au sein du quartier des cellules PMR au centre de détention de Toul, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Il soutient que, en premier lieu, les moyens du garde des sceaux, ministre de la justice présentés au titre de l'appel principal ne sont pas fondés, en deuxième lieu, le recrutement d'un codétenu en tant qu'auxiliaire n'est pas intervenu à titre subsidiaire et d'appoint dès lors qu'il est plus présent que le personnel soignant, en troisième lieu, ce codétenu a été condamné pour des faits graves et le terrorise et, en dernier lieu, les soins qui lui sont prodigués sont insuffisants, notamment le refus de lui prodiguer des douches et l'obligation à cantiner ses couches pour ses incontinences.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 février 2025, à 15 heures :

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- Me Krivine, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- le représentant de M. A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. M. A..., âgé de soixante-sept ans et paraplégique, est écroué depuis le 2 septembre 2010 et incarcéré au centre de détention de Toul depuis le 20 mai 2021, dans une cellule pour personnes à mobilité réduite (PMR). Estimant que ses conditions de détention au sein de cet établissement constituent des traitements inhumains et dégradants, il a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre un certain nombre de mesures pour faire cesser ces conditions de détention indigne. Par une ordonnance du 29 janvier 2025, le juge des référés a enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance, les mesures permettant d'assurer que M. A... soit quotidiennement levé de son lit médicalisé, qu'il bénéficie de douches régulières, qu'il puisse satisfaire dans des conditions normales ses besoins élémentaires et qu'il soit vêtu décemment et rejeté le surplus de ses demandes. Le ministre de la justice interjette appel de cette ordonnance en tant qu'elle a prononcé cette injonction. Par la voie de l'appel incident, M. A... interjette appel cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté sa demande d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de procéder à l'extermination des nuisibles présents dans sa cellule.

3. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque l'action ou la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou affecte, de manière caractérisée, leur droit au respect de la vie privée et familiale dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette action ou de cette carence.

Sur l'appel principal du ministre de la justice :

4. Il résulte de l'instruction et notamment des pièces produites par le garde des sceaux, ministre de la justice que M. A..., dont l'état de handicap le rend entièrement dépendant de l'aide d'une tierce personne pour la satisfaction de tous ses besoins, bénéficie, entre 10h et 17h, des soins quotidiens d'un aide-soignant du service de soins à domicile (SSIAD) rattaché au centre hospitalier de Toul, qui procède à sa toilette, le lève de son lit médicalisé pour l'installer dans un fauteuil le matin puis après sa sieste et le recouche en fin de journée. S'il fait valoir qu'il ne bénéficie pas de douches, il ressort des attestations du SSIAD que son état physique n'est pas compatible avec la prise de douches et qu'il bénéficie d'une toilette quotidienne, ce qu'il ne conteste pas. Le reste du temps, qu'il passe dans son lit, il est aidé pour ses besoins essentiels par un codétenu ayant une formation d'aide-soignant et employé par l'administration. Si M. A... soutient qu'en dehors des heures d'intervention du SSIAD, l'assistance de ce codétenu ne lui permettrait pas de satisfaire dans des conditions normales ses besoins élémentaires car il ne se sentirait pas en sécurité d'être aidé par un détenu condamné pour des faits de viols, il n'apporte aucun élément de nature à justifier de telles craintes, alors au demeurant que, comme l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif, l'administration pénitentiaire indique sans être contredite qu'un agent pénitentiaire est toujours présent lors des interventions de ce codétenu. Enfin, il ne résulte pas davantage de l'instruction que M. A... aurait été de manière répétée conduit au parloir sans être vêtu de manière décente. Dans ces conditions, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a estimé que l'administration pénitentiaire avait porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de M. A... de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants et lui a enjoint en conséquence de prendre les mesures permettant d'assurer que M. A... soit quotidiennement levé de son lit médicalisé, qu'il bénéficie de douches régulières, qu'il puisse satisfaire dans des conditions normales ses besoins élémentaires et qu'il soit vêtu décemment.

5. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation de l'article 2 de l'ordonnance attaquée qui prononce cette injonction ainsi que le rejet du surplus des demandes de M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif.

Sur l'appel incident de M. A... :

6. Pour rejeter la demande de M. A... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures pour éradiquer les nuisibles qui étaient selon lui présents dans sa cellule, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a relevé qu'il n'apportait aucun élément probant à l'appui de cette allégation et que l'administration, qui justifie d'interventions régulières préventives et curatives d'une société spécialisée au sein du centre de détention, indiquait que les cellules destinées aux personnes à mobilité réduite n'avaient jamais été affectées par la présence de nuisibles. M. A..., qui n'apporte devant le juge d'appel aucun élément de nature à remettre en cause ces constatations, n'est pas fondé à soutenir qu'en ne prenant pas les mesures nécessaires pour éradiquer les nuisibles dans sa cellule, l'administration pénitentiaire aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à des conditions de détention dignes. Ses conclusions d'appel incident ne peuvent, par suite, qu'être rejetées, ainsi, et sans qu'il y ait lieu de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, que ses conclusions au titre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'article 2 de l'ordonnance du 29 janvier 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est annulée.

Article 2 : Le surplus des demandes présentées par M. A... au juge des référés du tribunal administratif de Nancy et ses conclusions présentées au Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....

Fait à Paris, le 26 février 2025

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 501535
Date de la décision : 26/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2025, n° 501535
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:501535.20250226
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award