Vu les procédures suivantes :
Par une ordonnance nos 2205009, 2207022 du 11 août 2023, enregistrée le 16 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Toulouse a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, les demandes présentées à ce tribunal par Mme F....
1° Sous le numéro 482949, par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse le 25 août 2022, Mme E... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision contenue dans un courrier du 26 avril 2022 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas proposé au Conseil supérieur de la magistrature sa nomination aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, ensemble la décision du 15 juillet 2022 de rejet de son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de proposer sa nomination au Conseil supérieur de la magistrature.
Elle soutient que les décisions sont entachées :
- d'incompétence en ce que ni la cheffe du bureau chargé des magistrats exerçant à titre temporaire ni l'adjoint à la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature ne pouvaient se prononcer au nom du garde des sceaux, ministre de la justice ;
- d'une violation directe de la règle de droit et d'un détournement de procédure, en ce que le garde des sceaux s'est estimé à tort lié par l'avis des chefs de cour qui s'est substitué à l'appréciation du Conseil supérieur de la magistrature.
2° Sous le numéro 482988, par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse le 2 décembre 2022, Mme E... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision contenue dans un courrier du 26 avril 2022 par lequel la sous-directrice des ressources humaines de la direction des services judiciaires a refusé de proposer au Conseil supérieur de la magistrature sa nomination aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, ensemble les décisions des 15 juillet et 5 octobre 2022 de rejet de son recours gracieux et de son recours hiérarchique ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de proposer sa nomination au Conseil supérieur de la magistrature.
Elle soutient que les décisions sont entachées :
- d'incompétence en ce que ni la cheffe du bureau chargé des magistrats exerçant à titre temporaire ni la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature ou son adjoint ne pouvaient se prononcer au nom du garde des sceaux, ministre de la justice ;
- d'une violation directe de la règle de droit et d'un détournement de procédure, en ce que le garde des sceaux s'est estimé, à tort, lié par l'avis des chefs de cour qui s'est substitué à l'appréciation du Conseil supérieur de la magistrature,
- d'erreur d'appréciation sur les mérites de la candidature de Mme E....
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier que, saisi par Mme E... de sa candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire le 1er septembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice a, par une décision notifiée dans un courrier du 26 avril 2022, refusé de proposer sa nomination au Conseil supérieur de la magistrature. Mme E... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que des décisions des 15 juillet et 5 octobre 2022 rejetant ses recours gracieux formés contre ce refus.
Sur la requête n° 482949 :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. En premier lieu, il résulte de la décision du directeur des services judiciaires du 13 avril 2022 que Mme C... B..., cheffe du bureau des magistrats exerçant à titre temporaire et des juges élus ou désignés, avait reçu délégation pour signer, au nom du garde des sceaux, la décision de refus de proposition au conseil supérieur de la magistrature du 26 avril 2022. En second lieu, il résulte de la décision du directeur des services judiciaires du 15 juillet 2022 que M. D... A..., sous-directeur adjoint des ressources humaines de la magistrature, avait reçu délégation pour signer, au nom du garde des sceaux, la réponse au recours gracieux de la requérante. Le moyen tiré de l'incompétence des autorités signataires des décisions attaquées doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
4. Aux termes de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction en vigueur : " Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire (...) les personnes (...) que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions ". Aux termes de l'article 41-12 de cette même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés (...) dans les formes prévues pour les magistrats du siège ". En vertu de l'article 35-1 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance : " Tout candidat aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire (...) doit transmettre sa demande, adressée au garde des sceaux, aux chefs de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il réside, qui procèdent à l'instruction de sa candidature " Et selon l'article 35-2 de ce même décret : " Le dossier de candidature, assorti de l'avis motivé des chefs de cour, est transmis au garde des sceaux, ministre de la justice, qui procède, le cas échéant, à une instruction complémentaire. / Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège des projets de nomination aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire. / Il lui transmet, avec chaque projet de première nomination, la liste de tous les candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire dans la même juridiction. / Les dossiers de l'ensemble des candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire sont tenus à la disposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au garde des sceaux, qui dispose, en vertu de l'article 35-2 du décret du 7 janvier 1993, d'un pouvoir d'instruction propre, de s'assurer, avant de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, de la recevabilité des dossiers de candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire qui lui sont transmis par les chefs de cour d'appel. Il lui revient à ce titre, dans un premier temps, d'écarter les candidatures qui ne répondent pas aux conditions d'âge, de diplôme et d'exercice professionnel découlant de l'article 41-10 de l'ordonnance, avant, dans un second temps, de transmettre l'ensemble des candidatures recevables au Conseil supérieur de la magistrature et de proposer à la nomination, parmi les candidats qui satisfont à ces conditions, ceux dont il estime qu'ils remplissent également l'exigence selon laquelle les intéressés doivent détenir une compétence et une expérience les qualifiant particulièrement pour l'exercice de ces fonctions judiciaires.
6. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que le garde des sceaux, en se référant à l'avis défavorable émis par les chefs de cour, aurait méconnu sa compétence en s'estimant lié par ces avis.
7. En deuxième lieu, il résulte des pièces du dossier que le garde des sceaux, qui après avoir constaté la recevabilité de la candidature de la requérante, n'était pas tenu de proposer sa nomination aux fonctions de magistrat à titre temporaire au Conseil supérieur de la magistrature, a en revanche transmis à ce dernier le dossier de candidature de la requérante, conformément à la procédure applicable.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le refus de nommer Mme E... ait été entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est fondée à demander ni l'annulation de la décision contenue dans le courrier du 26 avril 2022, ni celle de la décision du 15 juillet 2022 rejetant son recours gracieux formés contre ce refus.
Sur la requête n° 482988 :
10. Aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration, " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. / Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés ".
11. Il ressort des pièces du dossier que le garde des sceaux, ministre de la justice, a informé Mme E... de ce qu'il ne proposerait pas sa nomination aux fonctions de magistrat à titre temporaire par un courrier du 26 avril 2022. Elle a, le 27 mai 2022, formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, lequel a été rejeté le 15 juillet 2022. Si Mme E... a formé le 18 août 2022 un recours hiérarchique devant le garde des sceaux, ministre de la justice, qui l'a rejeté le 5 octobre 2022, ce second recours administratif n'a pu avoir pour effet de faire à nouveau courir le délai du recours contentieux à l'encontre de la décision initiale du garde des sceaux. La demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du 5 octobre 2022 étant également dirigée contre cette décision initiale, contenue dans le courrier du 26 avril 2022, et enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse le 2 décembre 2022, est dès lors tardive et, par suite, irrecevable.
12. Il résulte de ce qui précède que la requête n° 482988 doit être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes nos 482949 et 482988 de Mme E... sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme F... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 25 février 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Baptiste Butlen
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café