Vu la procédure suivante :
L'ordre des avocats au barreau de Limoges et la Section française de l'Observatoire international des prisons ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'ordonner toute mesure utile afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au sein de la maison d'arrêt de Limoges, en deuxième lieu, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de la santé ou à toute autre autorité compétente, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir, à titre principal, de fermer les quartiers de la maison d'arrêt pour hommes et mineurs hommes, et organiser le transfert temporaire des détenus concernés dans d'autres établissements dans des conditions sanitaires permettant d'éviter la prolifération des punaises de lit dans les établissements d'accueil ou, à titre subsidiaire, de :
- faire procéder, dans un bref délai, à une inspection approfondie ;
- faire procéder, dans un bref délai, à une enquête interne sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires ;
- convoquer le conseil d'évaluation de la maison d'arrêt de Limoges, dans un bref délai et, compte tenu de la gravité et de la persistance des problèmes identifiés dans l'établissement, prévoir que le conseil d'évaluation se réunira tous les six mois tant que cela sera nécessaire, pour assurer un suivi étroit de la situation de l'établissement ;
- prendre l'initiative d'une concertation entre les autorités administratives et judiciaires compétentes afin d'envisager la mise en place localement, sous la responsabilité des autorités judiciaires, et en associant les différents acteurs de la chaîne pénale, de protocoles ayant pour objectif la déflation carcérale dans l'établissement ;
- prendre, dans un bref délai, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l'attente d'une solution pérenne, les conditions d'occupation des cellules, en particulier prendre toutes mesures permettant d'améliorer les conditions d'occupation pour les détenus contraints de dormir à même le sol dans le quartier de la maison d'arrêt pour hommes ;
- mettre fin à l'encellulement à trois de façon définitive et inconditionnelle et prendre toutes les dispositions pour s'assurer qu'aucune personne détenue ne dorme sur un matelas à même le sol ;
- mettre fin à toute nouvelle affectation de personnes prévenues ou condamnées à la maison d'arrêt de Limoges ;
- procéder, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, au nettoyage, à la rénovation, à la remise en peinture des murs et des plafonds des cellules et des parties communes, notamment des douches, et à la réparation des carreaux de carrelage, au besoin en privilégiant dans un premier temps les locaux identifiés comme les plus impropres à l'accueil et à l'hébergement d'êtres humains ;
- procéder une fois par an à un lessivage complet des cellules ;
- prendre toute mesure susceptible d'améliorer la luminosité des cellules ;
- prendre, dans un bref délai, toute mesure de nature à améliorer l'aération naturelle, la ventilation et l'isolation de l'ensemble des cellules ou, à défaut de celles identifiées comme les plus affectées par des problèmes d'humidité ;
- réparer toutes les fenêtres défectueuses ou cassées, notamment celles qui ne ferment pas complètement ;
- mettre à la disposition des détenus concernés par la faiblesse des températures, et notamment ceux dont les cellules comportent des fenêtres cassées, un chauffage d'appoint conforme à la réglementation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, considérant les températures nocturnes actuelles et de l'hiver imminent ;
- mettre à la disposition des mêmes détenus des effets de couchage d'hiver supplémentaires à compter de la notification de l'ordonnance jusqu'à ce qu'il soit procédé à un relevé contradictoire de la température dans la cellule afin de vérifier que cette dernière est supérieure ou égale à 19°C ;
- procéder dans le délai de six mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir à la réfection nécessaire pour permettre aux locaux d'être convenablement chauffés dans toutes les parties de l'établissement ;
- procéder, dans le délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir, à la réparation de toutes les fuites touchant les lavabos et les installations sanitaires dans les cellules, notamment en rénovant ou en remplaçant les toilettes et lavabos dégradés ;
- procéder, dans le délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir, au remplacement ou à la réparation des douches et des sanitaires hors d'état de fonctionner ;
- procéder dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente ordonnance à la réfection nécessaire pour assurer une distribution optimale d'eau chaude et froide dans toutes les parties de l'établissement ;
- prendre toutes les mesures de nature à améliorer les conditions matérielles d'hébergement dans toute la maison d'arrêt de Limoges, y compris dans les quartiers disciplinaires et d'isolement ;
- doter chaque cellule d'un mobilier permettant le rangement des effets personnels des détenus et équiper les cellules d'un nombre suffisant de tables, de chaises, d'armoires et d'étagères afin que chaque détenu puisse s'asseoir, prendre son repas à table, ranger ses affaires personnelles et conserver ses produits alimentaires, remplacer le mobilier défectueux ;
- procéder aux travaux d'installation d'un système d'interphonie et de boutons d'appel dans les cellules hommes dans le délai d'un mois à compter de la notification l'ordonnance à intervenir ;
- procéder sans délai au remplacement des matelas, des draps, des couvertures et plus généralement de l'ensemble des éléments de literie infestés par des punaises ;
- procéder au nettoyage régulier des matelas, a minima entre deux utilisateurs, les pourvoir d'une housse de protection, les remplacer fréquemment, notamment s'ils sont détériorés ou inadaptés, et laver les draps de lit a minima tous les quinze jours ;
- assurer la distribution régulière et gratuite des produits essentiels à l'hygiène, de rouleaux de papier toilette, de sacs poubelles et de protections hygiéniques pour les femmes détenues, a minima tous les mois ;
- fournir sans délai aux détenus des produits d'entretien en quantité suffisante pour qu'il leur soit possible d'assurer convenablement l'entretien de leurs cellules ;
- réorganiser la gestion des restes alimentaires et procéder à leur ramassage dès la fin du repas du soir, et non le lendemain ;
- permettre à chaque détenu de prendre une douche quotidienne s'il le souhaite ;
- adapter la plage horaire dédiée aux douches afin de permettre à chaque détenu de disposer d'un temps suffisant pour se laver et se sécher convenablement ;
- procéder à l'installation d'équipements permettant la suspension ou la pose des vêtements des détenus dans un environnement sec le temps de leur douche en nombre suffisant ;
- assurer, dans l'ensemble des cellules, aussi bien des quartiers pour hommes que pour femmes, la séparation de l'espace sanitaire du reste de l'espace par un cloisonnement du sol au plafond et procéder à l'installation immédiate d'une porte entre les sanitaires et l'espace de vie de la cellule ;
- prendre toute mesure susceptible d'augmenter l'offre de formation ;
- s'assurer à bref délai de la mise aux normes des installations électriques qui conditionnent la sécurité des détenus, en enjoignant en particulier à l'administration pénitentiaire de communiquer le dernier rapport de contrôle annuel des installations électriques ;
- faire réaliser, dans un bref délai, une vérification de la sécurité électrique de l'ensemble des cellules, ainsi que pourvoir à la maintenance régulière des installations électriques défectueuses selon un plan d'action détaillé et consécutif à un audit en la matière ;
- procéder immédiatement, selon les modalités techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des personnes détenues ainsi qu'avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à l'ensemble des réparations qui s'imposent, en particulier en ce qui concerne les fils électriques dénudés, pour faire cesser tout danger pour la sécurité des personnes détenues ;
- réunir sans délai la sous-commission de sécurité afin qu'elle contrôle, au regard de l'effectif de détenus réellement présents au centre pénitentiaire, le respect des règles de sécurité en énonçant les mesures que le chef d'établissement devra prendre à bref délai, à charge pour ce dernier de les mettre en œuvre, et celles qui devront faire l'objet d'une programmation, ce qui inclut nécessairement le bilan des mesures prises depuis la précédente visite. La sous-commission devra tenir compte du taux très important de rotation et de l'absentéisme structurel des effectifs du personnel pénitentiaire en s'attachant à vérifier que les consignes de conduite à tenir face aux risques incendies sont effectivement intégrées ;
- organiser le suivi des mesures ordonnées dans le cadre de la présente instance, en procédant à l'examen périodique des conditions d'exécution par l'administration desdites mesures ou, à défaut, tenir informés trimestriellement, en rapportant les pièces justificatives nécessaires et probantes, les requérants de l'avancée des mesures ordonnées.
Par une ordonnance n° 2402239 du 16 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, d'une part, a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de faire délivrer sans délai une couverture supplémentaire aux détenus qui en font la demande lorsqu'il n'a pas été procédé à la réparation immédiate des fenêtres cassées, de procéder à la distribution régulière et gratuite de kits d'hygiène et de kits d'entretien dans un délai de quatre jours à compter de la notification de son ordonnance et de pourvoir à une protection suffisante de l'intimité des détenus en mettant en place un dispositif d'isolement devant l'espace sanitaire au sein des cellules en étant dépourvu dans un délai de trois semaines à compter de la notification de son ordonnance sous astreinte, pour les présentes injonctions, de 1 000 euros par jour de retard et, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 17 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau de Limoges et la Section française de l'Observatoire international des prisons demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'ordonner sous astreinte au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre toute mesure de nature à sauvegarder les droits fondamentaux des personnes détenues à la maison d'arrêt de Limoges, et en particulier de :
- prendre toutes les mesures de nature à améliorer les conditions matérielles d'hébergement dans la maison d'arrêt de Limoges, y compris dans les quartiers disciplinaires et d'isolement ;
- procéder, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, à la rénovation, à la remise en peinture des murs et des plafonds des cellules et des parties communes, notamment des douches, et à la réparation des carreaux de carrelage, au besoin en privilégiant dans un premier temps les locaux identifiés comme les plus impropres à l'accueil et à l'hébergement d'êtres humains ;
- prendre toute mesures susceptibles d'améliorer la luminosité des cellules ;
- prendre, dans les plus brefs délais, toute mesure de nature à améliorer l'aération naturelle, la ventilation et l'isolation de l'ensemble des cellules ou, à défaut de celles identifiées comme les plus affectées par des problèmes d'humidité ;
- équiper les cellules d'un nombre suffisant de tables, de chaises, d'armoires et d'étagères afin que chaque détenu puisse s'asseoir, prendre son repas à table, ranger ses affaires personnelles et conserver ses produits alimentaires et de remplacer le mobilier défectueux ;
- faire réaliser, dans un bref délai qu'il conviendra de préciser, une vérification de la sécurité électrique de l'ensemble des cellules, ainsi que pourvoir à la maintenance régulière des installations électriques défectueuses selon un plan d'action détaillé et consécutif à un audit en la matière ;
- réunir sans délai la sous-commission de sécurité incendie afin qu'elle contrôle, au regard de l'effectif de détenus réellement présents au centre pénitentiaire, le respect des règles de sécurité en énonçant les mesures que le chef d'établissement devra prendre à bref délai, à charge pour ce dernier de les mettre en œuvre, et celles qui devront faire l'objet d'une programmation, ce qui inclut nécessairement le bilan des mesures prises depuis la précédente visite ;
- mettre en œuvre les recommandations émises par la sous-commission de sécurité incendie en décembre 2023 ;
- nettoyer la trappe basse de désenfumage du quartier disciplinaire ;
- engager une action de contrôle des différentiels électriques ;
- mettre en œuvre les recommandations du rapport de vérification électrique du 13 mai 2024 ;
- procéder au remplacement diligent des installations électriques défectueuses ou défaillantes en cellule, au besoin en priorisant les interventions sur les installations présentant un risque pour les personnes détenues ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat de clarifier la notion de " mesures structurelles " actuellement porteuse d'insécurité juridique, en premier lieu, en aménageant dans le temps son office afin de rechercher quelles solutions, autres que structurelles ou sollicitées par le requérant, pourraient être engagées, en deuxième lieu, en excluant de son champ les mesures susceptibles d'être mises en œuvre à bref délai par l'administration pour améliorer les conditions de détention et, en dernier lieu, en tenant compte des implications et de la portée concrète de la mesure demandée pour apprécier son caractère structurel ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes tendant à l'amélioration des conditions matérielles d'accueil en cellule et dans les douches collectives au motif de leur caractère prétendument structurel alors que, d'une part, le rapport de visite du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Limoges fait état, en premier lieu, de degrés divers de saleté, de vétusté et de la présence de traces parfois importantes de moisissure sur les murs et plafonds des cellules et des douches collectives, en deuxième lieu, d'un manque de luminosité dans un certain nombre de cellules, en troisième lieu, d'un manque de ventilation et d'aération des cellules, en quatrième lieu, d'un manque ou d'une détérioration d'une partie du mobilier des cellules et, en dernier lieu, d'un quartier disciplinaire concentrant chacune des difficultés citées et, d'autre part, les mesures sollicitées relèvent de l'office du juge des référés en ce qu'elles ne sont pas d'une ampleur et d'une complexité telles qu'elles ne pourraient être engagées à bref délai et que d'autres mesures de nature à faire cesser les atteintes aux libertés fondamentales auraient pu être prononcées ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes formulées pour garantir la sécurité des personnes détenues face au risque électrique et au risque incendie en raison de leur caractère structurel, alors que, en premier lieu, le rapport de visite du bâtonnier de l'ordre fait état d'installations dégradées et manifestement en deçà des normes en vigueur mettant en danger les personnes détenues, en deuxième lieu, la vérification de la sécurité des installations électriques et la réalisation de travaux de sécurisation auraient pu être prononcées et sont, de plus, obligatoires dès lors que l'administration doit protéger la vie des personnes détenues et, en dernier lieu, l'entretien régulier des installations électriques et la sollicitation du déplacement de la commission départementale de sécurité incendie ne sont pas des mesures structurelles dès lors qu'elles sont susceptibles d'être mises en place à brève échéance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 15 janvier 2025, l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues (A3D) et l'association la Ligue des droits de l'homme (LDH) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens soulevés dans la requête de l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénitentiaire ;
- l'arrêté interministériel du 18 juillet 2006 portant approbation des règles de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements pénitentiaires et fixant les modalités de leur contrôle ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ordre des avocats au barreau de Limoges et la Section française de l'Observatoire international des prisons et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ainsi que l'association A3D et la LDH ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 janvier 2025, à 14 heures ;
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre, de l'association A3D et de la LDH ;
- les représentants de l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre ;
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues et de l'association la Ligue des droits de l'homme :
1. Eu égard à leurs objets respectifs, l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues et l'association la Ligue des droits de l'homme justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête de l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre. Dès lors leur intervention est recevable.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2 du code pénitentiaire : " Le service public pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ". L'article L. 6 du même code dispose que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue ". Enfin aux termes de l'article L. 7 du même code : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ".
5. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque l'action ou la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou affecte, de manière caractérisée, leur droit au respect de la vie privée et familiale dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette action ou de cette carence.
Sur les demandes d'injonctions de l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre :
En ce qui concerne les mesures à caractère structurel :
6. Au soutien de leur requête d'appel, l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de prescrire toute mesure apte à améliorer les conditions d'hébergement des personnes détenues à la maison d'arrêt de Limoges, notamment en procédant à la rénovation des murs, du revêtement mural et des sols des cellules et coursives, en améliorant l'aération et l'isolation des cellules et en remplaçant ou en réparant des éléments de mobilier détériorés. Toutefois il n'incombe pas au juge des référés statuant au titre de l'article L. 521-2 de prononcer des injonctions portant sur des mesures d'ordre structurel, qui ne pourraient produire d'effet utile à très bref délai, quel qu'en soit le motif. Ainsi que le juge des référés du tribunal administratif de Limoges l'a à bon droit relevé aux points 18 et 19 de l'ordonnance attaquée, de telles demandes relèvent de mesures d'ordre structurel. Les conclusions de la requête d'appel de l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre ne peuvent, sur ce point, qu'être rejetées. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que l'administration pénitentiaire a réalisé ou s'apprête à réaliser à brève échéance des travaux de réhabilitation conduits par tranches, en fonction d'un programme de transferts en interne à la maison d'arrêt, nécessitant une rotation des détenus pour que leurs cellules soient accessibles aux prestataires extérieurs le temps nécessaire à la conduite de ces travaux.
En ce qui concerne la réparation des fenêtres et l'amélioration de la luminosité :
7. Il résulte des pièces versées au dossier de l'instruction, et notamment d'un rapport en date du 6 novembre 2024, émanant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux, qu'un entretien régulier est assuré par le service technique de la maison d'arrêt, et qu'un registre récapitule les actions entreprises par ce service, celui-ci réalisant des opérations d'entretien au sein des cellules, notamment en matière de plomberie ou de fenêtres. Une application, opérationnelle depuis le 1er décembre 2024, a permis d'améliorer le suivi de ces travaux, puisque les personnes détenues peuvent désormais déposer un signalement via cette application. Il a ainsi été procédé à des travaux urgents de remplacement provisoire des carreaux cassés par du plexiglass, et au lancement de commandes en vue du remplacement des fenêtres ou vitres endommagées. Par l'effet de la lumière naturelle ainsi obtenue et des équipements dispensant une lumière artificielle, lesquels sont remplacés lorsqu'ils sont dégradés, la luminosité existant dans les cellules où des désordres avaient été constatés n'est plus de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale aux dispositions de l'article L. 6 du code pénitentiaire, notamment à la santé des personnes détenues. La condition d'urgence particulière exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'étant sur ce point pas remplie, il n'y a pas lieu de prononcer à l'encontre de l'administration pénitentiaire les injonctions demandées par l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre.
En ce qui concerne l'usage des douches collectives et le respect de l'intimité des personnes détenues faisant usage des sanitaires :
8. Il résulte de l'instruction que l'administration pénitentiaire, en exécution de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, a fait procéder à des réparations urgentes de nature à rétablir, d'une part, des conditions respectant l'intimité des personnes détenues faisant usage des sanitaires dans leurs cellules et, d'autre part, le fonctionnement adéquat des douches collectives. Faute que soit caractérisée à ce double titre une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité des détenus, il n'y a pas lieu, sur ce point, de prononcer les nouvelles injonctions demandées par l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre, à l'appui de leur requête d'appel.
En ce qui concerne la sécurité des installations électriques :
9. L'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre ont demandé au juge des référés d'ordonner un audit des installations électriques, destiné à identifier les locaux présentant un risque pour la sécurité de leurs occupants. Il résulte toutefois de l'instruction que les locaux de la maison d'arrêt de Limoges font à cet égard l'objet de visites de contrôles régulières, en principe chaque année, par les spécialistes du Bureau Veritas, le dernier de ces contrôles ayant eu lieu les 2 et 3 mai 2024. Il résulte également de l'instruction qu'à la suite de ce contrôle technique l'administration pénitentiaire a soit réalisé soit programmé à brève échéance les travaux recommandés par le rapport du Bureau Veritas. La condition d'urgence particulière exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'étant sur ce point pas remplie, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'injonction formée par l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre.
En ce qui concerne la sécurité incendie :
10. A l'appui de leur appel, l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre demandent que soit ordonnée une visite des lieux de détention de la maison d'arrêt de Limoges destinée, d'une part, à actualiser les informations disponibles quant au risque d'incendie existant dans les cellules de cet établissement et, d'autre part, à prescrire les travaux urgents éventuellement nécessaires pour que la sécurité des détenus soit garantie, au regard du risque d'incendie.
11. Au termes de l'article 10 de l'arrêté interministériel du 18 juillet 2006 portant approbation des règles de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements pénitentiaires et fixant les modalités de ce contrôle : " Les établissements pénitentiaires doivent être visités périodiquement par une sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (...) ; elle est saisie par le préfet. (...) En complément de ces visites périodiques, des visites peuvent être effectuées par la commission de sécurité compétente à la demande du préfet, soit à son initiative, soit sur requête du chef d'établissement ". Eu égard aux règles fixées par ce même arrêté pour la périodicité de ces visites en fonction de la capacité d'accueil des établissements pénitentiaires, la maison d'arrêt de Limoges doit faire l'objet au minimum d'une visite tous les cinq ans. La dernière ayant eu lieu en décembre 2023, la prochaine devrait intervenir fin 2028.
12. Il résulte des pièces versées au dossier de l'instruction et des observations formulées lors de l'audience d'instruction que l'aggravation de la surpopulation dans les cellules de la maison d'arrêt de Limoges est de nature à justifier une visite de la sous-commission de sécurité, sans attendre fin 2028, afin que celle-ci s'assure du respect des règles édictées par l'arrêté interministériel du 18 juillet 2006. Dès lors que cette visite est susceptible de produire un effet utile et d'intervenir à brève échéance, il entre dans l'office du juge des référés statuant en vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner à l'administration pénitentiaire de saisir en ce sens l'autorité préfectorale. Il suit de là que l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre sont fondés à soutenir que c'est à tort que, sur ce point, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande. Il y a lieu dès lors d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre, dans un délai de trois jours à compter de la notification de la présente ordonnance, toute mesure tendant à ce que le préfet de la Haute-Vienne convoque la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie, en vue de diligenter dans les meilleurs délais une visite complète de la maison d'arrêt de Limoges.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice, la somme de 1 500 euros à verser à l'ordre des avocats du barreau de Limoges et autre.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues et de l'association la Ligue des droits de l'homme est admise.
Article 2 : Dans les conditions précisées au point 12 de la présente ordonnance, il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre dans un délai de trois jours toute mesure tendant à ce que le préfet de la Haute-Vienne convoque la sous-commission de sécurité prévue par les dispositions de l'article 10 de l'arrêté interministériel du 18 juillet 2006 susvisé. Cette instance effectuera une visite complète de la maison d'arrêt de Limoges destinée à contrôler le respect des règles de sécurité incendie résultant de cet arrêté.
Article 3 : L'Etat versera à l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ordre des avocats au barreau de Limoges et autre est rejeté.
Article 5 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges du 16 décembre 2024 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ordre des avocats au barreau de Limoges, à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée à l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues et à l'association la Ligue des droits de l'homme.
Fait à Paris, le 13 février 2025
Signé : Terry Olson