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13/02/2025 | FRANCE | N°500240

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 février 2025, 500240


Vu la procédure suivante :

M. AC... W..., M. G... A..., M. R... AA..., M. D... Y..., M. L... X..., M. E... M..., M. O... Z..., M. B... N..., M. K... S..., M. C... H..., M. P... J..., M. V... Q..., M. T... U..., M. AB..., M. F... I... et la section française de l'Observatoire international des prisons ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;



2°) d'ordonner toute mesure utile aux fins de faire cesser les attei...

Vu la procédure suivante :

M. AC... W..., M. G... A..., M. R... AA..., M. D... Y..., M. L... X..., M. E... M..., M. O... Z..., M. B... N..., M. K... S..., M. C... H..., M. P... J..., M. V... Q..., M. T... U..., M. AB..., M. F... I... et la section française de l'Observatoire international des prisons ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'ordonner toute mesure utile aux fins de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées à leurs libertés fondamentales et à celles des autres personnes détenues à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de mettre en œuvre les mesures suivantes :

- procéder à l'élimination des moisissures, notamment en nettoyant les murs des cellules qui le nécessitent et prendre toute mesure pour limiter la prolifération de moisissures, par exemple en équipant les cellules d'un dispositif de VMC ;

- procéder à un audit de l'ensemble des cellules pour déterminer celles qui comportent des moisissures et traiter les cellules identifiées, au besoin si leur nombre est trop important en limitant l'injonction à celles qui, au regard de la gravité des constats, doivent être traitées en priorité ;

- procéder à un cloisonnement provisoire des sanitaires dans les cellules ;

- prendre toute mesure pour garantir un accès constant à l'eau propre et chaude en cellule, ou a minima, dans l'attente des travaux nécessaires, élaborer un diagnostic pour déterminer les raisons de ces défaillances, les mesures éventuellement structurelles que la situation impose et les mesures provisoires ou transitoires qui seraient susceptibles d'améliorer à court terme cet accès ;

- prendre toute mesure, y compris si besoin des mesures d'organisation du service, pour faire en sorte que les poubelles ne demeurent pas stationnées dans les coursives à proximité immédiate des portes des cellules ;

- procéder à l'installation de dispositifs d'appel des agents pénitentiaires au sein de l'ensemble des cellules de la Maison centrale de Saint-Martin-de-Ré ou, à défaut, établir un plan d'équipement en ce sens et engager dans les meilleurs délais la première tranche de travaux ;

- prendre toute mesure utile susceptible de faire cesser au plus vite la présence de nuisibles dans les locaux de la maison centrale, notamment en menant une opération complète de désinsectisation des locaux et en intensifiant la lutte contre les nuisibles ;

- prendre toute mesure pour permettre le réglage de la température de l'eau des douches collectives et, a minima, la distribution d'eau à une température acceptable ;

- prendre toute mesure pour garantir que les personnes détenues qui exercent une activité professionnelle dans l'établissement conservent la possibilité d'accéder aux douches intérieures ;

- prendre toute mesure, au besoin de réorganisation du service, pour garantir que les créneaux des quelques activités accessibles aux personnes détenues ne se chevauchent pas et, en particulier, que le droit des personnes détenues à une heure de promenade à l'air libre par jour prévu par les dispositions de l'article R. 321-5 du code pénitentiaire soit strictement garanti ;

- prendre toute mesure pour développer l'offre d'activité et, notamment, ouvrir des créneaux d'accès à la bibliothèque ainsi qu'à la salle de sport durant les samedis et dimanches ;

- prendre toute mesure pour garantir à chaque personne détenue un repas chaud au moment de sa distribution, en quantité suffisante, et, au besoin, adapté à l'état de santé particulier des personnes détenues ;

- procéder à un inventaire du linge de lit et garantir à chaque personne détenue des draps et des couvertures propres, non tachés et non troués ;

- garantir à toute personne indigente la mise à disposition d'un kit de correspondance ;

- prendre toute mesure pour faire cesser la pratique des fouilles à nu systématique à l'issue des parloirs familiaux, par exemple par l'édiction d'une note de service dans laquelle sont rappelées les conditions légales et règlementaires dans lesquelles doivent s'effectuer ces fouilles à corps.

Par une ordonnance n° 2403347 du 17 décembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, après avoir admis M. W... et autres au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a enjoint à l'administration pénitentiaire, en premier lieu, de demander à son prestataire de modifier les méthodes qu'il utilise afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre les nuisibles, en particulier les cafards, au sein des bâtiments, en deuxième lieu, de prendre toute mesure de nature à garantir aux personnes détenues au sein du quartier disciplinaire un accès à des douches présentant une température de distribution d'eau acceptable, afin d'assurer des conditions satisfaisantes d'hygiène et, en dernier lieu, de faire cesser le caractère systématique des fouilles à corps des personnes détenues lors de leur retour de parloirs familiaux et limiter de telles fouilles en tenant compte du comportement de chaque détenu, de ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des tiers et de la fréquence de ses parloirs et, en dernier lieu, a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2, 6 et 23 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 17 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. W... et autres.

Il soutient que :

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers lui a enjoint de prendre toutes mesures de nature à garantir aux personnes détenues au sein du quartier disciplinaire de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré un accès à des douches présentant une température de distribution d'eau acceptable alors, en premier lieu, que des travaux y ont été réalisés en 2023 et aucune anomalie de fonctionnement n'a été constatée depuis, en deuxième lieu, qu'il est attesté que la production d'eau chaude sanitaire se fait sans difficulté dans l'ensemble de l'établissement et, en dernier lieu, que les douches sont équipées d'un bouton pressoir ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers lui a enjoint de renforcer l'efficacité de la lutte contre les nuisibles dès lors, en premier lieu, que la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré a passé un contrat avec une entreprise pour lutter contre les nuisibles, celle-ci étant intervenue quatre fois en 2024, en deuxième lieu, que conformément aux articles R. 321-4 et R. 321-5 du code pénitentiaire et au règlement intérieur de l'établissement, les personnes détenues sont responsables de l'entretien de leur cellule et, en dernier lieu, que les allégations des requérants sur la présence de nuisibles au sein des cellules ne sont pas établies et méritent en tout état de cause d'être relativisées ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers lui a enjoint de faire cesser les fouilles intégrales systématiques des personnes détenues à leur retour des parloirs familiaux alors qu'elles sont conformes à l'article L. 225-1 du code pénitentiaire, qu'il s'agit d'une modalité différente du parloir classique et que les statistiques permettent d'écarter tout caractère systématique ;

- il n'y a eu aucune mesure de représailles de la part de l'administration pénitentiaire à l'encontre des requérants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2025, M. G... A..., M. R... AA..., M. D... Y..., M. L... X..., M. E... M..., M. O... Z..., M. B... N..., M. K... S..., M. C... H..., M. P... J..., M. V... Q..., M. T... U..., M. AB..., M. F... I... et la section française de l'Observatoire international des prisons concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils demandent par la voie de l'appel incident au juge des référés du Conseil d'Etat, d'annuler partiellement l'ordonnance du 17 décembre 2024 en tant qu'elle a limité l'injonction relative à la température de l'eau des douches à celles du quartier disciplinaire de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré et qu'elle n'a pas prescrit à l'administration de procéder à la notification systématique aux personnes détenues des décisions individuelles de fouilles intégrales qui les visent, d'enjoindre à ce que soit prise toute mesure de nature à garantir aux personnes détenues un accès à des douches présentant une température de distribution d'eau acceptable et, en dernier lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de procéder systématiquement à la notification aux personnes détenues des décisions individuelles de fouilles intégrales qui les visent.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 janvier 2025, l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues (A3D) conclut à la recevabilité de son intervention volontaire et au rejet de la requête. Elle soutient qu'elle a intérêt à intervenir et s'associe aux moyens et conclusions développés par les défendeurs.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, M. A... et autres ainsi que l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 janvier 2025, à 11 heures :

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- les représentants de M. A... et autres ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 28 janvier 2025 à 12 heures ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 27 janvier 2025, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2021- 403 du 8 avril 2021 ;

- le décret n° 2021-1194 du 15 septembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré produite par M. A... et autres, enregistrée le 28 janvier 2025 après la clôture de l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de l'association des avocats pour la défense des personnes détenues :

1. Eu égard à son objet, l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues (A3D) justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la défense présentée par M. A... et autres. Dès lors son intervention est recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

3. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2 du code pénitentiaire : " Le service public pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ". L'article L. 6 du même code dispose que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue ". Enfin aux termes de l'article L. 7 du même code : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ".

5. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque l'action ou la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou affecte, de manière caractérisée, leur droit au respect de la vie privée et familiale dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette action ou de cette carence.

Sur l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice :

6. Au soutien de sa requête d'appel, le garde des sceaux, ministre de la justice conteste l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers en tant que celui-ci a fait droit aux conclusions présentées par M. A... et autres relatives à la lutte contre les nuisibles, aux douches collectives ainsi qu'aux fouilles intégrales.

En ce qui concerne la lutte contre les nuisibles :

7. Il résulte de l'instruction que la plupart des cellules de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré sont régulièrement exposées à des épisodes d'infestation par les nuisibles, notamment par les blattes, dans des proportions affectant sérieusement les conditions d'hygiène auxquelles sont soumises les personnes détenues, ainsi que leur intégrité physique. En réponse à ces phénomènes récurrents de prolifération, l'administration pénitentiaire prend diverses mesures en distribuant des aérosols et en faisant intervenir un prestataire extérieur soit à titre préventif une fois par an, soit à titre curatif et à la demande. Dès lors que ce prestataire est intervenu pas moins de quatre fois au cours de l'année 2024 sans qu'ait été obtenue une régression de ces désordres, l'efficacité de cette méthode a montré ses limites. Il ne résulte ni des pièces versées au dossier ni des explications orales données par l'administration que celle-ci aurait épuisé toutes les possibilités de mettre en place un dispositif apte à traiter efficacement ces désordres, alors que la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré présente un taux d'occupation habituellement compris entre 70 et 80 %, permettant d'organiser des rotations de détenus afin de libérer certaines parties des lieux de détention, et ainsi de traiter globalement les cellules qui s'y trouvent. Faute pour l'administration d'avoir engagé la conception et la programmation d'un tel dispositif en vue de lutter efficacement contre la prolifération des nuisibles, en liaison avec son prestataire actuel voire en identifiant un autre prestataire, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers lui a prescrit de prendre à bref délai toute mesure en ce sens.

En ce qui concerne les douches collectives :

8. Il résulte de l'instruction que, postérieurement à l'intervention de l'ordonnance attaquée, l'administration pénitentiaire a complété les mesures déjà prises pour assurer dans l'ensemble de la maison centrale un fonctionnement convenable des douches collectives, notamment en faisant réviser les clapets eau froide / eau chaude et les boutons pressoir. Chaque personne détenue qui le souhaite est mise à même, dans ces installations collectives, de bénéficier d'une douche quotidienne avec une eau à température normale. Si a été rétabli à cet égard, au sein de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, un régime de détention n'étant pas constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit des détenus de bénéficier de conditions d'hygiène convenables, c'est également à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a prescrit à l'administration de prendre à bref délai toute mesure en ce sens.

En ce qui concerne les fouilles intégrales :

9. Aux termes de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire : " (...) les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par des risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent (...) ". Aux termes de l'article 225-2 du même code : " Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef de l'établissement pénitentiaire peut également ordonner des fouilles de personnes détenues dans des lieux et pour une période de temps déterminée, indépendamment de leur personnalité ". Aux termes de l'article L. 225-3 du même code : " Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ". Il résulte de ces dispositions législatives que, dans les établissements pénitentiaires, les fouilles intégrales sont soumises à une triple condition de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité.

10. Il résulte des pièces versées au dossier de l'instruction et des explications orales données par l'administration qu'au sein de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré sont régulièrement portées à la connaissance des personnels des circulaires et notes de l'administration centrale, des services régionaux de l'administration pénitentiaire et du chef d'établissement rappelant les conditions auxquelles sont subordonnées les fouilles intégrales de détenus, notamment au terme d'un parloir ou d'un séjour en unité de vie familiale. Il est ainsi rappelé que les fouilles intégrales ne peuvent être ordonnées que lorsqu'elles constituent le seul moyen d'écarter le risque d'introduction dans l'espace de détention d'objets ou substances, prohibées par les dispositions législatives citées au point 9 ci-dessus, qui ne pourraient être détectées par palpation ou utilisation des moyens de détection électronique. La traçabilité des fouilles est assurée par leur recensement dans le système informatique Genesis, une rubrique de celui-ci devant faire apparaître le motif justifiant que la fouille ait été ordonnée. C'est ce même système qui permet aux détenus et à leurs conseils de retracer les antécédents de fouilles, et le cas échéant d'exercer les recours qui leur sont ouverts. S'agissant de la mise en œuvre quotidienne des règles ainsi rappelées aux personnels de surveillance, il n'est pas établi qu'elle s'en écarterait dans une mesure constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale aux dispositions citées aux points 4 et 9 de la présente ordonnance. Il ne résulte notamment pas de l'instruction que les fouilles intégrales à l'issue des parloirs et séjours en unité de vie familiale présenteraient un caractère systématique. Si, dans certains cas, la saisie dans le système Genesis des motifs de fouilles manque de précision, l'administration s'est engagée à ce qu'il soit mis un terme à ces dysfonctionnements ponctuels.

11. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a fait droit aux conclusions présentées par M. A... et autres qu'en tant que celles-ci prescrivaient à l'administration pénitentiaire de faire cesser le caractère systématique des fouilles intégrales des personnes détenues à l'issue des parloirs et séjours en unité de vie familiale.

Sur les conclusions incidentes présentées par M. A... et autres :

12. Ainsi qu'il a été indiqué au point 8 ci-dessus, les conditions normales d'utilisation des douches collectives ont été rétablies. Si M. A... et autres font valoir à juste titre que les cellules ne sont pas elles-mêmes directement alimentées en eau chaude, cette situation pour regrettable qu'elle soit ne pourra trouver de solution appropriée que lorsque seront prises des mesures à caractère structurel, lesquelles ne sauraient intervenir à très bref délai et ne ressortissent dès lors pas de l'office du juge des référés saisi en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

13. M. A... et autres soutiennent que la décision de procéder à la fouille intégrale d'un détenu devrait faire systématiquement l'objet d'une décision formalisée et notifiée dans les conditions prévues à l'article L. 211-8 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois aux termes de l'article L. 100-1 du même code : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables ". Les dispositions spéciales des articles L. 225-1 à L. 225-4 du code pénitentiaire encadrent strictement la conduite des fouilles intégrales, en tenant compte des nécessités de l'ordre public et des contraintes du service public pénitentiaire, lesquelles imposent fréquemment d'intervenir dans l'urgence pour prévenir l'introduction dans l'établissement d'objets ou de substances interdits ou menaçant la sécurité des personnes ou des biens. Dès lors, l'absence de notification préalable des décisions de fouille intégrale n'est pas constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale aux droits des personnes détenues justifiant que le juge des référés prescrive des mesures aptes à la faire cesser, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 12 et 13 de la présente ordonnance que les conclusions incidentes présentées par M. A... et autres ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme qui est demandée par M. A... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues (A3D) est admise.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers du 17 décembre 2024 est annulée en tant qu'elle a prescrit à l'administration pénitentiaire de faire cesser le caractère systématique des fouilles intégrales des personnes détenues à l'issue des parloirs et séjours en unité de vie familiale de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers tendant à ce qu'il soit prescrit à l'administration pénitentiaire de faire cesser le caractère systématique des fouilles intégrales des personnes détenues à l'issue des parloirs et séjours en unité de vie familiale de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, leurs conclusions incidentes présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat ainsi que leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. G... A..., à M. R... AA..., à M. D... Y..., à M. L... X..., à M. E... M..., à M. O... Z..., à M. B... N..., à M. K... S..., à M. C... H..., à M. P... J..., à M. V... Q..., à M. T... U..., à M. AB..., à M. F... I... et à la section française de l'Observatoire international des prisons.

Copie en sera adressée à l'Association des avocats pour la défense des personnes détenues (A3D).

Fait à Paris, le 13 février 2025

Signé : Terry Olson


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 500240
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 fév. 2025, n° 500240
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500240.20250213
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