Vu la procédure suivante :
M. B... E..., M. C... U..., M. V... N..., M. J... H..., M. S... L..., M. B... Q..., M. R... I..., M. X... N..., M. A... Y..., M. W... AB..., M. Z... D..., M. K... G..., M. F... AA..., M. M... T... et M. O... P... ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe, d'une part, d'annuler les décisions par lesquelles la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe a implicitement rejeté leur demande du 9 juillet 2019 tendant au rétablissement de leurs indemnités de paniers de nuit sur la base de celles normalement attribuées au agents de cette chambre et, d'autre part, d'annuler la note d'application des contreparties au titre de l'organisation du temps de travail prévues par la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes. Par un jugement n° 2000099 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de la Martinique, à qui le jugement de l'affaire a été attribué par une ordonnance no 436117 du 24 janvier 2020 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a annulé les décisions implicites de rejet de la demande du 9 juillet 2019 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt no 21BX03527 du 21 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel formé par la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe, d'une part, a annulé ce jugement en tant qu'il annule les décisions implicites de rejet de la demande du 9 juillet 2019 de M. E... et autres, d'autre part, a rejeté la demande d'annulation de ces décisions et, enfin, a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et 19 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe ;
3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie et des groupements interconsulaires ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Balat, avocat de MM. E..., et autres et à la SARL Gury et Maître, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de région des Iles de Guadeloupe ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 3 juillet 2014, la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe (CCI IG) a décidé d'apporter la concession de l'aérodrome de Pointe-à-Pitre - Le Raizet à la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes (SAGPC). Ce transfert de la concession a été autorisé par l'Etat par un arrêté interministériel du 11 août 2014. Une convention a été conclue, le 30 septembre 2014, entre la société aéroportuaire et la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe pour définir, en application de l'article L. 6322-3 du code des transports, les conditions de la mise à disposition de cette société, pour une durée de dix ans, des agents publics affectés à la concession transférée, dont les agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) de l'aérodrome. Par un courrier du 9 juillet 2019, M. E... et quatorze autres agents de ce service ont demandé au président de la chambre le rétablissement de leur indemnité de " paniers de nuit " sur la base de celle normalement attribuée aux agents publics de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe. Par un jugement du 21 juin 2021, le tribunal administratif de la Martinique, saisi par M. E... et autres, a, d'une part, annulé les décisions implicites de rejet de leur demande, et, d'autre part, rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître leurs conclusions tendant à l'annulation de la " note d'application des contreparties au titre de l'organisation du temps de travail " de la société aéroportuaire. Par un arrêt du 21 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel formé par la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe, a, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il a annulé les décisions implicites de rejet de la demande du 9 juillet 2019 de M. E... et autres et rejeté leur demande d'annulation de ces décisions, et, d'autre part, confirmé le rejet de la demande d'annulation de la " note d'application des contreparties au titre de l'organisation du temps de travail ". Par les moyens qu'ils invoquent, M. E... et autres doivent être regardés comme demandant l'annulation des seuls articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux portant sur leur demande d'annulation des décisions implicites de rejet de leur demande du 9 juillet 2019.
2. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers de France est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle. " Aux termes de l'article 3-3 de l'annexe 1 à l'article 26 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie : " Le travail de nuit est défini par la période comprise entre 21 heures et 6 heures et ne peux excéder 8 heures par jour et 40 heures par semaine. Les commissions paritaires régionales fixent les modalités de compensation ".
3. L'article 56 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, issu d'une décision de la commission paritaire nationale du 19 décembre 2007, dispose que : " Les modalités sociales relatives aux transferts de concessions sont définies dans l'accord annexé au présent statut ". Aux termes du III de cette annexe, relatif à la " représentation du personnel dans le cadre d'une mise à disposition " : " Cette disposition concerne le personnel agent public statutaire restant lié à la CCI et mis à disposition dans le cadre d'un apport de concession. / Dans le cadre d'une mise à disposition et dans le but de permettre aux collaborateurs de bénéficier en permanence d'une représentation, les partenaires sociaux conviennent des règles suivantes afin d'éviter de cumuler une représentation du personnel au sein de plusieurs instances : / (...) / b) Présence ou création d'une instance représentative du personnel / - lors d'un apport de concession, dès lors qu'une instance représentative du personnel est présente ou créée au sein de la structure d'accueil, le personnel mis à disposition n'est plus électeur ni éligible en Commission Paritaire (ou au sein de toute autre instance de représentation du personnel de la CCI). / (...) ".
4. Le point 1.2 de l'accord relatif à l'application du statut aux agents publics et aux agents de droit privé des services industriels et commerciaux bénéficiant du statut par extension, qui constitue l'annexe 7 de la décision du 19 décembre 2012 de la commission paritaire nationale modifiant le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, dispose que : " Les instances représentatives du personnel mises en place au sein des services industriels et commerciaux sont substituées aux instances représentatives du personnel prévues par le statut du personnel administratif des compagnies consulaires (...) / Lorsque le Statut prévoit, dans le cadre général de la gestion des ressources humaines, une information de la Commission Paritaire et éventuellement, la transmission de documents, le Comité d'entreprise ou la Délégation unique du personnel, s'ils existent, ou à défaut les délégués du personnel, seront informés et destinataires desdits documents aux lieu et place de la Commission Paritaire (...) ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 3 et 4 que les agents publics d'une chambre de commerce et d'industrie régis par le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie et mis à disposition d'une personne chargée d'un service industriel et commercial dans le cadre d'un apport de concession sont représentés par les instances représentatives du personnel mises en place au sein de ce service industriel et commercial.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 6322-3 du code des transports : " Les agents publics affectés à la concession transférée sont mis à la disposition de la société [aéroportuaire] pour une durée de dix ans. Une convention conclue entre l'ancien et le nouvel exploitant détermine les conditions de cette mise à disposition (...) ". En vertu de l'article 3.1, relatif aux " règles applicables ", de la convention du 30 septembre 2014 de mise à disposition de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes des agents publics affectés à la concession aéroportuaire, ces agents " continueront à bénéficier de toutes les règles applicables prévues par le Statut du personnel des Chambres de Commerce et d'Industrie, les dispositions réglementaires et le Règlement intérieur régional (cf accord CPN 19/12/2012) de la CCI-IG précisant l'application du statut ". L'article 3.3 de la même convention, intitulé " rémunération et composantes ", stipule que : " Pendant toute la durée de la mise à disposition, la CCI-IG continue d'assurer la rémunération des agents mis à disposition auprès de la Société aéroportuaire, à partir des informations reçues de la Société aéroportuaire (...). / (...). / Aucune rémunération, sous quelque forme que ce soit, ne peut être octroyée directement aux agents mis à disposition par la société aéroportuaire (primes intéressement, etc.). (...) ". L'article 3.5 de la convention, relatif à la " durée du travail ", stipule que : " Les agents mis à disposition restent soumis aux dispositions en vigueur au sein de la CCI IG (statut du personnel des CCI, article 26 et ses annexes, règlement intérieur régional du personnel et règlement intérieur des horaires, le cas échéant). / En revanche, le pouvoir organisationnel relève de la compétence de la Société aéroportuaire. (...) ".
7. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, en application des dispositions, citées au point 2, de l'article 3-3 de l'annexe 1 à l'article 26 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, la commission paritaire régionale de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe a maintenu aux agents de l'aéroport, par une délibération du 4 octobre 2013, le bénéfice d'une " prime panier de nuit " de 32,66 euros pour les personnels effectuant une vacation d'au moins sept heures entre 21 heures et 6 heures le lendemain. Pour juger que le bénéfice de cette prime aux agents de droit public de la chambre de commerce et d'industrie mis à disposition de la société aéroportuaire avait pris fin avec l'entrée en vigueur de l'accord d'entreprise dit de transposition du 19 juin 2017, qui s'était substitué selon elle à la délibération précitée de la commission paritaire régionale, la cour administrative d'appel s'est fondée sur les dispositions citées au point 4 de l'accord relatif à l'application du statut aux agents publics et aux agents de droit privé des services industriels et commerciaux. En statuant ainsi, alors que ces dispositions, combinées à celles de l'article 56 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, sont, dans le cadre d'un apport de concession, ainsi qu'il est dit au point 5, relatives à la représentation des agents publics des chambres de commerce et d'industrie mis à disposition d'une société gérant un service public industriel et commercial par les instances représentatives du personnel mises en place au sein de ce service, et que cette représentation n'a, en tout état de cause, pas pour effet de faire perdre à ces agents le bénéfice des stipulations à caractère réglementaire, citées au point 6, des articles 3.1, 3.3 et 3.5 de la convention du 30 septembre 2014, conclue conformément à l'article L. 6322-3 du code des transports, qui prévoient que les agents publics mis à disposition de cette société restent soumis aux dispositions statutaires en vigueur au sein de la chambre de commerce et d'industrie, notamment celles de l'article 26 du statut et ses annexes, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.
8. En second lieu, la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe ne peut utilement soutenir en défense que, par une délibération du 16 août 2021, la commission paritaire régionale aurait décidé que les dispositions applicables au personnel de l'aéroport au titre de la compensation du travail de nuit étaient celles définies par l'accord d'entreprise dit de transposition du 19 juin 2017, dès lors que cette délibération est postérieure aux décisions contestées. Par suite, en tout état de cause, sa demande de substitution de motifs ne peut qu'être écartée.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux doivent être annulés.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe la somme globale de 3 000 euros à verser à M. E... et autres, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 21 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe versera une somme globale de 3 000 euros à M. E... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... E..., représentant unique désigné pour l'ensemble des requérants et à la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe.