La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/02/2025 | FRANCE | N°483654

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 11 février 2025, 483654


Vu les procédures suivantes :



Le centre hospitalier de Paray-le-Monial, devenu le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum les sociétés Groupe 6, Egis Bâtiments Rhône-Alpes, E... F..., C... D..., G... et fils et M. B... A..., sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 3 781 272 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des désordres affectant le revê

tement des sols de l'établissement, ainsi que la somme de 30 870,44 euro...

Vu les procédures suivantes :

Le centre hospitalier de Paray-le-Monial, devenu le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum les sociétés Groupe 6, Egis Bâtiments Rhône-Alpes, E... F..., C... D..., G... et fils et M. B... A..., sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 3 781 272 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des désordres affectant le revêtement des sols de l'établissement, ainsi que la somme de 30 870,44 euros TTC de frais d'expertise. Par un jugement n° 1601573 du 20 avril 2021, ce tribunal a condamné in solidum les sociétés Groupe 6, Egis Bâtiments Rhône-Alpes et E... F... à verser au centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais les sommes de 2 596 950,96 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant les locaux de soin, 112 661,04 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant les locaux techniques, 893 060 euros TTC au titre des autres préjudices subis par le centre hospitalier et 30 870,44 euros TTC au titre des frais d'expertise, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions d'appel en garantie présentées, notamment, par les sociétés Bureau Veritas Construction, C... D..., G... et fils, et M. A..., et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n°s 21LY02029, 21LY02044 du 22 juin 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société Egis Bâtiments Rhône-Alpes, d'une part, et des sociétés Groupe 6 et E... F... d'autre part, ainsi que sur appels incidents et provoqués du centre hospitalier du Pays de Charolais-Brionnais, des sociétés Egis Bâtiment Rhône-Alpes, Bureau Veritas Construction, Groupe 6 et E... F..., C... D..., et G... et fils, et de M. A..., condamné in solidum les sociétés Egis Bâtiment Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F..., C... D... et G... et fils ainsi que M. A... à verser au centre hospitalier la somme de 2 824 848,96 euros TTC en réparation des désordres affectant les locaux de soin et la somme de 121 226,04 euros TTC en réparation des désordres affectant les locaux techniques, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2016 capitalisés au 13 janvier 2023, condamné la société Groupe 6 à garantir la société Egis Bâtiment Rhône-Alpes de la totalité de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière au titre de la réparation des désordres affectant les locaux techniques, mis à la charge des sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F..., C... D... et G... et fils ainsi que de M. A... les frais d'expertise, liquidés à hauteur de 30 870,44 euros TTC, réformé le jugement attaqué en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions des parties.

1° Sous le n° 483654, par une décision du 22 février 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi des sociétés Groupe 6 et E... F... dirigées contre cet arrêt en tant seulement qu'il a statué sur leurs conclusions tendant à ce que les sociétés C... D..., G... et fils et M. A... les garantissent de leur condamnation à réparer les désordres affectant les locaux de soin.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 22 mars et 17 septembre 2024, le centre hospitalier du Pays Charolais Brionnais conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce que l'article 2 de l'arrêt attaqué soit rectifié pour exclure M. A... de la condamnation prononcée en réparation des désordres affectant les locaux techniques, à ce qu'il soit statué ce que de droit sur le pourvoi des sociétés Groupe 6 et E... F... et le pourvoi incident et provoqué de la société C... D... au titre des appels en garantie concernant les désordres affectant les locaux de soin, au rejet des pourvois incidents et provoqués de la société G... et fils et de la société C... D... au titre des appels en garantie concernant les désordres des locaux techniques et du pourvoi incident des sociétés Groupe 6 et E... F..., à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a limité la condamnation en réparation des désordres affectant les locaux techniques à la somme de 121 226,04 euros TTC et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge des sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F..., C... D..., G... et fils et de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 487618, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 24 août et 24 novembre 2023 et 4 juin et 6 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 22 juin 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de rejeter les pourvois incidents et provoqués du centre hospitalier du Pays Charolais Brionnais et des sociétés Groupe 6 et E... F... ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Pays Charolais Brionnais la somme de 3 000 euros ainsi que la somme de 1500 euros chacune à la charge des sociétés Groupe 6 et E... F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat des sociétés Groupe 6 E... F..., à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société C... D..., à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A..., à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société G... et fils, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Bureau Veritas Construction, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat du centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais et à la SCP Duhamel, avocat de la société Egis Bâtiments Rhône Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier de Paray-le-Monial a entrepris la construction d'un nouvel hôpital sous la conduite d'opération de la direction départementale de l'équipement de Saône-et-Loire. Le marché de maîtrise d'œuvre a été attribué à un groupement solidaire composé de la société Groupe 6, de la société E... F... et de la société Egis Bâtiments Rhône-Alpes. Le contrôle technique a été confié à la société Bureau Veritas à laquelle a succédé la société Bureau Veritas Construction. Les travaux du lot n° 11 " Sols souples " ont été confiés à un groupement solidaire formé de la société C... D..., de la société G... et fils et de M. A.... Postérieurement à la réception des travaux, au vu des désordres affectant le revêtement de sol des locaux de soin et des locaux techniques, le tribunal administratif de Dijon, saisi par le centre hospitalier de Paray-le-Monial, devenu le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, a, par un jugement du 20 avril 2021, condamné in solidum, sur le fondement de la garantie décennale, les sociétés Groupe 6, Egis Bâtiments Rhône-Alpes et E... F... à lui verser les sommes de 2 596 950,96 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant les locaux de soin, de 112 661,04 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant les locaux techniques, de 893 060 euros TTC au titre des autres préjudices et de 30 870,44 euros TTC au titre des dépens. Sur appels des sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6 et E... F..., et appels incidents et provoqués du centre hospitalier et des autres constructeurs, la cour administrative d'appel de Lyon a, par un arrêt du 22 juin 2023, condamné in solidum M. A... et les sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F..., C... D... et G... et fils à verser au centre hospitalier, d'une part, la somme de 2 824 848, 96 euros TTC en réparation des désordres affectant les locaux de soin et, d'autre part, la somme de 121 226,04 euros TTC en réparation des désordres affectant les locaux techniques, assorties des intérêts au taux légal capitalisés, condamné la société Groupe 6 à garantir entièrement la société Egis Bâtiments Rhône-Alpes de la condamnation prononcée au titre des désordres affectant les locaux techniques, réformé le jugement attaqué et rejeté le surplus des conclusions des parties. Sous le n° 483654, le pourvoi des sociétés Groupe 6 et E... F... a été admis en tant seulement qu'il est dirigé contre l'arrêt attaqué statuant sur leurs conclusions tendant à ce que la société C... D..., la société G... et fils et M. A..., les garantissent de la condamnation à réparer les désordres affectant les locaux de soin. Sous le n° 487618, eu égard à son unique moyen, le pourvoi de M. A... doit être regardé comme dirigé contre l'article 2 du même arrêt en tant qu'il l'a condamné au titre des désordres affectant les locaux techniques. Dans les deux affaires, le centre hospitalier, la société G... et fils, la société C... D... et, dans l'affaire n° 487618 uniquement, les sociétés Groupe 6 et E... F..., ont formé des pourvois incidents et provoqués.

Sur la recevabilité des pourvois incidents et provoqués et les exceptions qui leur sont opposées :

3. En premier lieu, les conclusions d'un pourvoi incident ou provoqué sont recevables dès lors qu'elles ne soulèvent pas un litige distinct du pourvoi principal. La condition de litige distinct s'apprécie au regard de l'ensemble des conclusions du pourvoi principal, y compris lorsqu'il a fait l'objet d'une admission partielle de certaines de ses conclusions.

4. Il résulte de ce qui est dit au point 3 que la circonstance tirée de ce que, dans l'affaire n° 483654, par une décision du 22 février 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi principal des sociétés Groupe 6 et E... F... dirigées contre l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il a statué sur leurs conclusions tendant à ce que les sociétés C... D..., G... et fils et M. A... les garantissent de leur condamnation à réparer les désordres affectant les locaux de soin n'est pas de nature à faire regarder les conclusions des pourvois incidents et provoqués présentées par les autres parties dans cette même affaire et dirigées contre l'arrêt en tant qu'il statue sur les désordres affectant les locaux techniques et la condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, comme soulevant un litige distinct du pourvoi principal dirigé contre l'arrêt dans son ensemble.

5. En deuxième lieu, l'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas admis le pourvoi formé contre un arrêt de cour administrative d'appel fait obstacle à ce que, par la voie de conclusions incidentes ou provoquées, le requérant réitère, pour une cause juridique identique, une demande tendant à l'annulation dudit arrêt. Le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais et la société C... D... sont par suite fondés à soutenir que l'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision n° 483654 du 22 février 2024 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas admis les conclusions du pourvoi principal formé par les sociétés Groupe 6 et E... F... dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il avait rejeté leurs conclusions tendant à ce que les sociétés C... D... et G... et fils ainsi que M. A... les garantissent des condamnations concernant les désordres affectant les locaux techniques fait obstacle à ce que ces sociétés demandent, par la voie de conclusions incidentes et provoquées dans l'affaire n° 487618, l'annulation de l'arrêt attaqué pour le même motif. Ces dernières conclusions ne peuvent, par conséquent, qu'être rejetées.

6. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, le pourvoi principal de la société G... et fils, enregistré sous le numéro distinct 488309, n'a pas fait l'objet d'une décision de non admission. La circonstance que celle-ci se soit désistée de cette instance est sans incidence sur la recevabilité de ses conclusions de pourvoi incident et provoqué dans le cadre des présentes instances n°s 483654 et 487618.

7. En dernier lieu, les conclusions par lesquelles la société C... D... appelle en garantie l'Etat et la société Bureau Veritas Construction pour les condamnations prononcées au titre des désordres affectant les locaux de soin sont nouvelles en cassation et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur le bien-fondé des conclusions des pourvois principaux, incidents et provoqués :

En ce qui concerne les désordres affectant les locaux de soin :

S'agissant du pourvoi principal des sociétés Groupe 6 et E... F... et des pourvois incidents et provoqués des sociétés G... et fils et C... D... dans l'affaire n° 483654 tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à être garantis de leur condamnation par d'autres constructeurs :

8. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que tant les sociétés Groupe 6 et E... F... que la société C... D... ont soutenu devant la cour administrative d'appel de Lyon que les sociétés qu'elles appelaient respectivement en garantie avaient méconnu les stipulations des contrats qu'elles avaient elles-mêmes conclus avec le centre hospitalier. Par suite, en se bornant, pour rejeter leurs conclusions, à juger que les sociétés Groupe 6, E... F... et C... D... ne démontraient pas que les constructeurs qu'elles appelaient, chacune pour leur compte, en garantie auraient manqué aux règles de leur art en assurant leurs missions respectives, sans rechercher si ces constructeurs avaient, ainsi qu'elles le soutenaient, méconnu les stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le centre hospitalier, la cour a commis une erreur de droit et, s'agissant de la société C... D..., méconnu la portée de ses écritures.

10. Il résulte de ce qui précède, d'une part, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les sociétés Groupe 6 et E... F..., que ces sociétés sont fondées à demander l'annulation de l'article 7 de l'arrêt qu'elles attaquent, en tant que la cour a rejeté leurs conclusions par lesquelles elles ont appelé en garantie les sociétés C... D... et G... et fils ainsi que M. A... s'agissant de leurs condamnations au titre des désordres affectant les locaux de soins. D'autre part, la société C... D..., dont la situation est susceptible d'être aggravée par l'annulation ainsi prononcée sur le pourvoi principal des sociétés Groupe 6 et E... F..., est fondée à demander l'annulation de l'article 7 de l'arrêt qu'elle attaque, en tant que la cour a rejeté les conclusions par lesquelles elle a appelé en garantie les sociétés Groupe 6, E... F..., et Egis Bâtiments Rhône-Alpes de ses condamnations au titre des mêmes désordres.

11. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juges du fond que la société G... et fils ait invoqué devant la cour des manquements, que la cour n'était pas tenue de rechercher d'office, aux stipulations des contrats que les sociétés qu'elle appelait en garantie ont conclus avec le maître d'ouvrage, ni qu'elle ait soulevé un quelconque moyen au soutien de ses conclusions tendant à être garantie par les autres constructeurs au titre des désordres affectant les locaux de soin. Dès lors, ses moyens tirés d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique des faits commises par la cour pour avoir méconnu les principes énoncés au point 8 ne peuvent qu'être écartés. Il en résulte que le pourvoi incident et provoqué de la société G... et fils tendant à l'annulation de l'article 7 de l'arrêt attaqué, en tant que la cour a rejeté ses conclusions tendant à être garantie par les sociétés Groupe 6, E... F..., Egis Bâtiments Rhône-Alpes et C... D... des condamnations concernant les mêmes désordres, doit être rejeté.

S'agissant du pourvoi provoqué de la société G... et fils dans l'affaire n° 483654 tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que la cour l'a condamnée in solidum à indemniser, sur le fondement de la garantie décennale, le centre hospitalier :

12. L'annulation de l'article 7 de l'arrêt attaqué prononcée au point 10, sur le pourvoi principal des sociétés Groupe 6 et E... F..., est susceptible d'aggraver la situation de la société G... et fils qui est, par suite, recevable à demander, par la voie du pourvoi provoqué, l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que la cour l'a condamnée in solidum à indemniser, sur le fondement de la garantie décennale, le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais.

13. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

14. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que les cotraitants solidaires du lot n° 11 du marché, dont la société G... et fils, avaient pour mission, notamment, de fournir et de poser le revêtement des sols souples. En en déduisant que les désordres, qui ont pour origine la défectuosité du matériau fourni, étaient imputables à cette société dont la responsabilité était recherchée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt de contradictions de motifs, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce. Par suite, les conclusions présentées par la société G... et fils par la voie du pourvoi provoqué tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que la cour l'a condamnée in solidum avec la société C... D... et M. A... à indemniser, sur le fondement de la garantie décennale, le centre hospitalier des désordres affectant les locaux de soin, doivent être rejetées.

15. Compte tenu de ce qui est jugé aux points 10, 11 et 14, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant aux mêmes fins présentées respectivement par les sociétés G... et fils et C... D... dans l'affaire n° 487618.

En ce qui concerne les désordres affectant les locaux techniques :

S'agissant du pourvoi principal de M. A... et du pourvoi provoqué de la société G... et fils dans l'affaire n° 487618 tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que la cour les a condamnés in solidum à indemniser, sur le fondement de la garantie décennale, le centre hospitalier :

16. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a, au point 36 de son arrêt, à propos des désordres affectant les locaux techniques, estimé que " les désordres en litige ne sont pas imputables aux sociétés (...) G... et fils et à M. A..., lesquels ne pouvaient, eu égard à l'étendue de leur mission, être en charge de contrôler l'adéquation du revêtement retenu à son usage " pour en déduire que les conclusions de l'appel provoqué du centre hospitalier tendant à la condamnation solidaire de ces constructeurs devaient être rejetées. Toutefois, il ressort des énonciations du point 39 des motifs et de l'article 2 du dispositif du même arrêt que la société G... et fils et M. A... ont été condamnés in solidum avec d'autres constructeurs à verser au centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais la somme de 121 226,04 euros TTC en réparation des désordres affectant les locaux techniques. Par suite, tant M. A... que la société G... et fils sont fondés à soutenir que, ce faisant, la cour a entaché son arrêt de contradictions entre les motifs des points 36 et 39 de son arrêt, d'une part, et entre les motifs du point 36 et l'article 2 de son dispositif, d'autre part.

17. Il résulte de ce qui précède que, d'une part, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il l'a condamné in solidum au titre des désordres affectant les locaux techniques. D'autre part, la société G... et fils, dont la situation est susceptible d'être aggravée par l'annulation ainsi prononcée sur le pourvoi principal de M. A..., est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève, à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il l'a condamnée in solidum au titre des désordres affectant les locaux techniques.

S'agissant des pourvois incidents et provoqués du centre hospitalier du Pays Charolais Brionnais dans l'affaire n° 487618 :

18. L'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué prononcée au point 17, sur le pourvoi principal de M. A... et le pourvoi provoqué de la société G... et fils, en tant qu'il les a condamnés in solidum, prive d'objet, dans cette mesure, les pourvois incident et provoqué du centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

19. En revanche, il y a lieu de statuer sur le surplus du pourvoi provoqué du centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, dont la situation est susceptible d'être aggravée par l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué prononcée au point 17 sur le pourvoi principal de M. A..., en tant qu'il demande l'annulation du même article 2 en tant qu'il a limité la condamnation in solidum des sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F... et C... D... à la somme de 121 226,04 euros TTC.

20. En premier lieu, les frais supportés par une partie pour l'assistance d'un tiers, notamment d'un avocat, durant les opérations d'une expertise tendant à déterminer les causes et l'étendue d'un dommage sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de ce dommage dont l'indemnisation est due par la ou les personnes qui en sont reconnues responsables. Toutefois, lorsque l'expertise a été ordonnée par le juge administratif, y compris avant l'introduction de l'instance au fond sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, et que l'intéressé a la qualité de partie à l'instance au fond, les frais exposés à ce titre ne peuvent être remboursés que par la somme le cas échéant allouée à cette partie au titre de l'article L. 761-1 du même code dans cette même instance au fond. Il appartient au juge, le cas échéant, d'en tenir compte dans le montant de la somme allouée à ce titre.

21. Il résulte de ce qui est dit au point 20 qu'en jugeant que les frais d'avocat engagés par le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais pour l'assister durant les opérations de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, dont il demandait à être indemnisé, relevaient des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et devaient ainsi être regardés comme intégralement pris en compte dans la somme allouée au titre de ces dispositions, la cour administrative d'appel de Lyon, qui a relevé sans méconnaître la portée des écritures du centre hospitalier qu'il n'avait pas contesté le jugement attaqué en tant qu'il avait statué au titre de ces dispositions, n'a pas commis d'erreur de droit.

22. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Lyon aurait dénaturé les faits de l'espèce en rejetant la demande du centre hospitalier tendant à l'indemnisation de frais de terrassement, de maçonnerie et de voiries et réseaux divers en vue de la reprise des désordres affectant les locaux techniques impliquant la mise en place de locaux provisoires.

23. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais n'est pas fondé à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a limité la condamnation des sociétés Egis Bâtiments Rhône-Alpes, Groupe 6, E... F... et C... D... à la somme de 121 226,04 euros toutes taxes comprises.

S'agissant du surplus du pourvoi provoqué de la société G... et fils dans l'affaire n° 487618 :

24. Ainsi que le soutient la société G... et fils, dont la situation est susceptible d'être aggravée par l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué sur le pourvoi principal de M. A... ainsi qu'il est dit au point 17, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a omis de statuer sur ses conclusions, qu'elle a pourtant visées, tendant à être garantie par les sociétés Groupe 6, E... F..., Egis Bâtiments Rhône-Alpes et C... D... des condamnations au titre des désordres affectant les locaux techniques. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève, la société G... et fils est fondée à soutenir que l'article 7 de l'arrêt attaqué doit, dans cette mesure, être annulé.

S'agissant du pourvoi provoqué de la société C... D... dans l'affaire n° 487618 :

25. Ainsi que le soutient la société C... D..., dont la situation est susceptible d'être aggravée par l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué prononcée au point 17 sur le pourvoi principal de M. A..., il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a omis de statuer sur ses conclusions, qu'elle a pourtant visées, tendant à être garantie par les sociétés Groupe 6, E... F..., Egis Bâtiments Rhône-Alpes, et Bureau Veritas Construction ainsi que par l'Etat des condamnations au titre des désordres affectant les locaux techniques. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève, la société C... D... est fondée à soutenir que l'article 7 de l'arrêt attaqué doit, dans cette mesure, être annulé.

26. Compte tenu de ce qui est jugé aux points 17, 18, 23, 24 et 25, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant aux mêmes fins présentées respectivement par les sociétés G... et fils et C... D... ainsi que par le centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais dans l'affaire n° 483654.

Sur les frais d'instance :

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 22 juin 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il a condamné in solidum M. A... et la société G... et fils à verser au centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais la somme de 121 226,04 euros toutes taxes comprises en réparation des désordres affectant les locaux techniques.

Article 2 : L'article 7 du même arrêt est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions par lesquelles les sociétés Groupe 6 et E... F... ont appelé en garantie les sociétés C... D... et G... et fils ainsi que M. A... de leur condamnation au titre des désordres affectant les locaux de soin et en tant que la cour a rejeté les conclusions par lesquelles la société C... D... a appelé en garantie les sociétés Groupe 6, E... F..., et Egis Bâtiments Rhône-Alpes de sa condamnation au titre des mêmes désordres.

Article 3 : L'article 7 du même arrêt est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions par lesquelles la société G... et fils a appelé en garantie les sociétés Groupe 6, E... F..., Egis Bâtiments Rhône-Alpes et C... D... de sa condamnation au titre des désordres affectant les locaux techniques et en tant qu'il a rejeté les conclusions par lesquelles la société C... D... a appelé en garantie les sociétés Groupe 6, E... F..., Egis Bâtiments Rhône-Alpes et Bureau Veritas Construction ainsi que l'Etat de sa condamnation au titre des mêmes désordres.

Article 4 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a condamné in solidum M. A... et la société G... et fils en réparation des désordres affectant les locaux techniques, ni sur les conclusions des sociétés G... et fils et C... D... dans l'affaire n° 487618 dans la mesure énoncée au point 15, ni sur les conclusions des sociétés G... et fils et C... D... ainsi que du centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais dans l'affaire n° 483654 dans la mesure énoncée au point 26.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la société Groupe 6, première requérante dénommée, au centre hospitalier du Pays Charolais-Brionnais, à la société C... D..., à la société G... et fils, à la société Egis Bâtiments Rhône-Alpes, et à la société Bureau Veritas Construction.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 483654
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - JUGEMENTS - FRAIS ET DÉPENS - REMBOURSEMENT DES FRAIS NON COMPRIS DANS LES DÉPENS - INCLUSION – REMBOURSEMENT DES FRAIS D’ASSISTANCE EXPOSÉS PAR UNE PARTIE À L’INSTANCE AU TITRE D’UNE EXPERTISE ORDONNÉE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF – CONSÉQUENCE – FRAIS NE POUVANT FAIRE L’OBJET D’UNE INDEMNISATION AU TITRE DU PRÉJUDICE SUBI [RJ1].

54-06-05-11 Les frais supportés par une partie pour l’assistance d’un tiers, notamment d’un avocat, durant les opérations d’une expertise tendant à déterminer les causes et l’étendue d’un dommage sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de ce dommage dont l’indemnisation est due par la ou les personnes qui en sont reconnues responsables. ...Toutefois, lorsque l’expertise a été ordonnée par le juge administratif, y compris avant l’introduction de l’instance au fond sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du code de justice administrative (CJA), et que l’intéressé a la qualité de partie à l’instance au fond, les frais exposés à ce titre ne peuvent être remboursés que par la somme le cas échéant allouée à cette partie au titre de l’article L. 761-1 du même code.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - PRÉJUDICE MATÉRIEL - FRAIS D’ASSISTANCE EXPOSÉS À L’OCCASION D’UNE EXPERTISE – 1) CARACTÈRE INDEMNISABLE – EXISTENCE – 2) TEMPÉRAMENT – CAS OÙ L’EXPERTISE A ÉTÉ ORDONNÉE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF ET QUE LA VICTIME A LA QUALITÉ DE PARTIE À L’INSTANCE AU FOND [RJ1].

60-04-03-02 1) Les frais supportés par une partie pour l’assistance d’un tiers, notamment d’un avocat, durant les opérations d’une expertise tendant à déterminer les causes et l’étendue d’un dommage sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de ce dommage dont l’indemnisation est due par la ou les personnes qui en sont reconnues responsables. ...2) Toutefois, lorsque l’expertise a été ordonnée par le juge administratif, y compris avant l’introduction de l’instance au fond sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du code de justice administrative (CJA), et que l’intéressé a la qualité de partie à l’instance au fond, les frais exposés à ce titre ne peuvent être remboursés que par la somme le cas échéant allouée à cette partie au titre de l’article L. 761-1 du même code.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2025, n° 483654
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP DUHAMEL ; SCP SEVAUX, MATHONNET ; SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:483654.20250211
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award