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17/01/2025 | FRANCE | N°500216

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 janvier 2025, 500216


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 16 décembre 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 2 ans et, en troisième et de

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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 16 décembre 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 2 ans et, en troisième et dernier lieu, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par une ordonnance n° 2401785 du 27 décembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, d'une part, l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par une requête, enregistrée le 31 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 16 décembre 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 2 ans ;

3°) d'enjoindre à l'administration de mettre en œuvre son retour en France dans le cas où la mesure aurait été mise à exécution ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité en ce qu'elle est insuffisamment motivée ;

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à son placement en centre de rétention depuis le 23 décembre 2024 et à l'exécution imminente de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté de circulation et d'installation en sa qualité de citoyen de l'Union européenne et à sa vie privée et familiale dès lors que, d'une part, il remplit les conditions du droit au séjour permanent sur le territoire français et ne constitue pas une menace grave et actuelle à l'ordre public ainsi qu'en atteste son comportement exemplaire durant sa détention et, d'autre part, il vit en Guadeloupe depuis 1999, y a effectué sa scolarité et n'a pas d'attaches familiales en Belgique ;

- l'objet de sa requête persisterait même en cas de mise en œuvre de sa reconduite à la frontière préalablement à l'audience.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 et 10 janvier 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, que M. B... ne justifie pas d'une résidence régulière et ininterrompue en France depuis au moins cinq ans, de sorte qu'il n'a pu acquérir un droit au séjour permanent sur le fondement des dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 janvier 2025, à 11 heures :

- Me Mégret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 10 janvier 2025 à 18 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "..

2. Les dispositions du livre II code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transposent les stipulations de la directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004 et mettent ainsi en œuvre le droit à la libre circulation des citoyens de l'Union européenne instauré par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, prévoient à l'article L. 233-1 que : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 234-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne (...) qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. / (...) ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code, applicable aux ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ". Aux termes de l'article L. 251-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1, les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1 ".

3. M. B..., ressortissant belge né le 26 novembre 1996 à Ixelles (Belgique) s'est vu notifier une obligation de quitter le territoire français par un arrêté du préfet de la Guadeloupe du 16 décembre 2024 qui a fixé la Belgique comme pays de renvoi et a assorti cette mesure d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par une décision du même jour, le préfet de la Guadeloupe l'a placé en rétention administrative en vue de procéder à son éloignement. M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral du 16 décembre 2024 et d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de réexaminer sa situation. Par une ordonnance du 27 décembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Par la présente requête, M. B... relève appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d'Etat.

4. En premier lieu, pour critiquer l'ordonnance attaquée, M. B... fait valoir, d'une part, qu'il ne relevait pas de l'office du juge des référés de procéder à une substitution de motifs et, d'autre part, que la juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe ne l'aurait pas invité à présenter ses observations avant de procéder à cette substitution de motifs.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, que la décision dont la suspension est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe que l'arrêté préfectoral dont la suspension est demandée était fondé sur les dispositions du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile, alors que les conditions dans lesquelles les citoyens de l'Union européenne peuvent être admis à séjourner en France ainsi que les règles relatives aux décisions d'éloignement dont ils peuvent, le cas échéant, faire l'objet sont régies par les dispositions du livre II de ce code citées au point 2. Aux termes des dispositions des articles L. 251-1 et L. 251-2 de ce livre II, une telle mesure ne peut être prise à l'encontre d'un ressortissant d'un pays de l'Union européenne que si, d'une part, il n'a pas acquis la qualité de résident permanent dans les conditions prévues à l'article L. 234-1 du même code et, d'autre part, son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Il résulte également des pièces du dossier que le préfet de la Guadeloupe n'était pas représenté lors de l'audience tenue par la juge des référés et n'a pas produit en défense dans cette instance. Par suite, dès lors que la mise en œuvre d'une mesure d'éloignement à l'égard d'un ressortissant d'un pays de l'Union européenne nécessite, de la part de l'administration, de procéder à une appréciation de sa situation reposant sur des critères distincts du seul constat de l'existence d'une menace à l'ordre public mentionné au 5° de de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile pour les ressortissants d'un Etat hors Union européenne, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort, en l'absence de toute demande formulée en ce sens par l'administration en première instance, que la juge des référés a estimé qu'il relevait de son office de procéder d'elle-même à la substitution de motifs de droit et de fait de nature à justifier les décisions d'éloignement et d'interdiction du territoire français en litige.

7. Toutefois, les représentantes du ministre de l'intérieur ont présenté, au cours de l'audience, une demande de substitution de base légale et de motifs de l'arrêté litigieux, en faisant valoir que M. B... ne justifie pas d'une durée de cinq années de résidence régulière et ininterrompue sur le territoire français lui permettant de jouir d'un droit au séjour permanent en application des dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile qui serait de nature à faire obstacle, en application de l'article L. 251-2 du même code, à la mise en œuvre d'une mesure d'éloignement à son encontre.

8. Si M. B... soutient résider sur le territoire français de manière continue et régulière depuis 2007 et avoir été scolarisé en Guadeloupe jusqu'en classe de terminale, il résulte de l'instruction qu'il a occupé des emplois salariés dans cette collectivité d'outre-mer au cours des mois de juillet 2019 à décembre 2021, puis de janvier 2022 au 25 octobre 2023, date à partir de laquelle il a été incarcéré jusqu'au 23 décembre 2024 à la suite de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre. Toutefois, le ministre de l'intérieur a produit sans être sérieusement contredit des éléments qui attestent de la présence de M. B... en Belgique en 2018, année au cours de laquelle il y a fait l'objet de plusieurs condamnations pénales et d'une incarcération, et au cours du premier semestre de l'année 2019, l'intéressé s'étant inscrit en qualité de résident dans la commune de Saint-Gilles le 10 mai 2019. Par suite, dès lors que M. B... s'est borné à produire, pour attester de sa présence sur le territoire français au cours de l'année 2019, un contrat de travail daté du 1er juillet 2019, il ne peut être regardé comme ayant produit les éléments démontrant sa résidence régulière et continue en France au cours des cinq années précédant celle au cours de laquelle il a fait l'objet de la mesure d'éloignement en litige. Il s'en déduit qu'il n'établit pas avoir acquis la qualité de résident permanent, de nature à faire obstacle à la mise en œuvre des mesures d'éloignement et d'interdiction du territoire en litige.

9. En deuxième lieu, pour soutenir que l'exécution des décisions contestées porterait une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et de venir et d'installation en sa qualité de citoyen de l'Union européenne et à sa vie privée et familiale, M. B..., qui ne conteste pas les faits d'extorsion de fonds au préjudice d'une personne vulnérable, de vol par effraction et en récidive et de menaces de mort qui ont conduit à sa condamnation à une durée totale de 18 mois d'emprisonnement par jugements du tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre des 6 juillet, 16 octobre et 25 octobre 2023 et à son incarcération jusqu'au 23 décembre 2024, se borne à soutenir que ses attaches personnelles sont en France et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, dès lors que son comportement exemplaire en détention lui a permis de bénéficier d'une remise de peine. S'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est arrivé en Guadeloupe alors qu'il était mineur et y a effectué sa scolarité, et que sa mère et son frère y vivent actuellement, il résulte des motifs du jugement du tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre du 25 octobre 2023 qu'il a déclaré devant le juge pénal être sans domicile fixe et avoir fait le choix d'entretenir des liens volontairement distendus avec sa famille dans le but de préserver son entourage des conséquences de son addiction à la drogue. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... a été condamné en 2018 en Belgique à une peine de 18 mois d'emprisonnement pour des faits de vol, d'association de malfaiteurs et d'escroquerie commis dans ce pays. Dès lors, eu égard à la gravité des faits qui lui sont reprochés, au caractère récent de sa condamnation en France, c'est sans commettre d'atteinte grave et manifestement illégale au respect de sa vie privée et familiale et à sa liberté d'aller et de venir en tant que ressortissant d'un Etat de l'Union européenne, que le ministre de l'intérieur qui, après avoir procédé à un examen complet de la situation de M. B..., a estimé que tant le comportement de l'intéressé que les risques de récidive dans des faits délictueux constituent, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société et a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français assortie d'une mesure d'interdiction administrative du territoire pour une période de deux ans. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance qu'il attaque, la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... ne peut qu'être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 17 janvier 2025

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 500216
Date de la décision : 17/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 2025, n° 500216
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500216.20250117
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