Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe a décidé son expulsion du territoire français et des décisions du même jour le plaçant en centre de rétention administrative et fixant le pays de renvoi, en l'espèce, Haïti ou tout autre pays où il serait légalement admissible, en dernier lieu, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre son retour sur le territoire français en cas d'exécution de la mesure d'expulsion. Par une ordonnance n° 2401724 du 16 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, d'une part, l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'ordonnance du 16 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
3°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2024 du préfet de la Guadeloupe portant expulsion du territoire français et de la décision du même jour fixant Haïti comme pays de destination ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre son retour sur le territoire français en cas d'exécution de la mesure d'expulsion ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite, dès lors qu'il peut être procédé à son expulsion à tout moment ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants et à son droit de mener une vie privée et familiale normale respectivement garantis par les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la mesure contestée est manifestement illégale, pour avoir été prise en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, la commission d'expulsion n'ayant pas été consultée, ce qui l'a privé d'une garantie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 23 décembre 2024, à 17 heures 30 :
- Me Bardoul, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- le représentant du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L. 631-3 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, dont la violation délibérée et d'une particulière gravité des principes de la République énoncés à l'article L. 412-7, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) / 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans (...) /. Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 l'étranger mentionné aux 1° à 5° du présent article lorsqu'il a déjà fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement ou de trois ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine. (...) / Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 l'étranger mentionné aux 1° à 5° du présent article qui est en situation irrégulière au regard du séjour, sauf si cette irrégularité résulte d'une décision de retrait de titre de séjour en application de l'article L. 432-4 ou d'un refus de renouvellement sur le fondement de l'article L 412-5 ou du 1° de l'article L. 432-3 ".
3. Par un arrêté du 5 décembre 2024, le préfet de la région Guadeloupe a décidé l'expulsion du territoire français de M. B... A..., de nationalité haïtienne. Par deux décisions distinctes du même jour, il a en outre placé M. A... dans un centre de rétention administrative et prévu qu'il sera éloigné à destination de son pays d'origine, soit Haïti, ou de tout autre pays où il serait légalement admissible. Ces trois décisions ont été notifiées à M. A... le 9 décembre suivant. M. A... a demandé le 11 décembre 2024 au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ces trois décisions. Par une ordonnance du 13 décembre 2024, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a mis fin à la rétention administrative de M. A... et ordonné son assignation à résidence pendant quarante-cinq jours. Le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, par une ordonnance en date du 16 décembre 2024, a rejeté la demande de M. A.... Ce dernier relève appel de cette ordonnance en tant qu'elle n'a pas fait droit à sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté ordonnant son expulsion et de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur l'arrêté d'expulsion :
4. Eu égard à son objet et à ses effets, une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français porte, en principe et sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, par elle-même atteinte de manière grave et immédiate à la situation de la personne qu'elle vise et crée, dès lors, une situation d'urgence justifiant que soit, le cas échéant, prononcée la suspension de l'exécution de cette décision. Il appartient au juge des référés, saisi d'une telle décision sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'apprécier si la mesure d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en conciliant les exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue, en particulier, le droit de mener une vie familiale normale. La condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.
5. Pour prendre l'arrêté contesté prononçant l'expulsion de M. A..., le préfet de la Guadeloupe a fait application des dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'est principalement fondé sur la circonstance que M. A... a été condamné par jugement du tribunal correctionnel du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre du 17 août 2023 à deux ans d'emprisonnement pour des faits de violences ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours, commises avec usage d'une arme, en l'espèce un couteau, et en état d'ivresse.
6. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la mesure d'expulsion contestée aurait été prise, faute de consultation préalable de la commission d'expulsion, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne peut qu'être écarté, l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile prévoyant lui-même que, par exception, la commission d'expulsion peut ne pas être consultée " en cas d'urgence absolue ".
7. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction, et alors que M. A... se borne à faire valoir, sans produire aucune pièce, qu'il réside depuis vingt ans en Guadeloupe, que la mesure d'expulsion contestée porterait, en l'espèce, une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté ordonnant son expulsion.
Sur la décision distincte fixant le pays de destination :
9. L'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France dispose que : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une décision d'expulsion (...) ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code, " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
10. Il résulte de l'instruction que la situation que connaît Haïti se caractérise par un climat de violence généralisée, ainsi que le décrit en particulier le rapport du bureau intégré des Nations Unies en Haïti du 15 octobre 2024, se traduisant notamment par des affrontements opposant des groupes criminels armés entre eux et ces groupes à la police haïtienne et que cette violence atteint, à Port-au-Prince ainsi que, notamment, dans le département de l'Ouest, un niveau d'une intensité exceptionnelle, entraînant un grand nombre de victimes civiles. Dans ces conditions, M. A..., qui est originaire de Croix-des-Bouquets, qui se trouve dans le département de l'Ouest, est fondé à soutenir que son éloignement vers Haïti l'exposerait à des traitements inhumains ou dégradants prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses conclusions tendant à ce que l'exécution de la décision fixant le pays à destination duquel il sera expulsé soit suspendue en tant qu'elle mentionne Haïti.
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce et sans qu'il y ait lieu d'admettre M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas, pour l'essentiel, la partie perdante dans la présente instance.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance du 16 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée en tant qu'elle rejette la demande de M. A... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 5 décembre 2024 du préfet de la région Guadeloupe fixant le pays à destination duquel il sera expulsé en tant qu'elle mentionne Haïti.
Article 2 : L'exécution de la décision du 5 décembre 2024 du préfet de la région Guadeloupe fixant le pays à destination duquel M. A... sera expulsé est suspendue en tant qu'elle mentionne Haïti.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 24 décembre 2024
Signé : Maud Vialettes