Vu la procédure suivante :
Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, venant aux droits du centre hospitalier de Montereau, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la société Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, ainsi que leurs assureurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de cette demande et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'arrêt du chantier de rénovation et d'extension de la maison de retraite du Châtelet-en-Brie. Par un jugement n° 1504804 du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Melun a, notamment, condamné solidairement les sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la somme de 6 000 euros hors taxes (HT) majorée de la taxe sur la valeur ajoutée, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2015 ainsi que de la capitalisation des intérêts échus à la date du 21 juin 2016, condamné la société Bical-Courcier-Martinelli à garantir la société Alto Ingénierie à hauteur de 50 % de cette condamnation et mis les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 34 166,14 euros à la charge définitive du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne pour un montant de 27 333,31 euros et à la charge solidaire des sociétés Alto Ingénierie et Bical-Courcier-Martinelli pour un montant de 6 833,33 euros.
Par un arrêt n° 21PA03046 du 17 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et des sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie, partiellement annulé ce jugement en tant qu'il condamne ces dernières à verser la somme de 6 000 euros HT majorée de la taxe sur la valeur ajoutée au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et qu'il met à leur charge les frais d'expertise, puis a mis la totalité de ces frais à la charge définitive du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 septembre et 18 décembre 2023 et les 30 mai et 19 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Galy Isabelle, avocat du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la société Bet alto ingénierie et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Bical et Courcier architectes (BMC2) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie (Seine-et-Marne) a lancé en 1998 un programme d'agrandissement et de rénovation de ses locaux comprenant la construction de deux nouveaux bâtiments attenants aux bâtiments existants. La conduite de l'opération a été confiée à la direction départementale de l'équipement de Seine-et-Marne, devenue la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne. Par un acte d'engagement signé le 5 mai 2000, la maîtrise d'œuvre de ce projet a été confiée à un groupement d'entreprises composé, notamment, de la société Bical-Courcier-Martinelli en qualité d'architecte mandataire et de la société BET Alto Ingénierie en qualité de bureau d'études techniques " fluides ". Par décision du 2 février 2007, la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie a décidé l'ajournement des travaux puis a, par décision du 30 avril 2009, prononcé la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre aux frais et risques de son titulaire. Par une ordonnance du 16 mars 2007, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, sur demande de la Maison de retraite, désigné un expert aux fins de lui fournir tous éléments relatifs aux préjudices subis et aux responsabilités encourues, qui a déposé son rapport le 12 avril 2014. Le centre hospitalier de Montereau, venu aux droits de la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie, a alors, par une requête enregistrée le 21 juin 2015, demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la société Bical-Courvier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, ainsi que leurs assureurs, à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros. Par un jugement du 7 avril 2021, ce tribunal a condamné solidairement les sociétés Bical-Courcier-Martinelli et BET Alto Ingénierie à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, venu aux droits du centre hospitalier de Montereau, la somme de 6 000 euros et mis à la charge solidaire de ces sociétés la somme de 6 833,33 euros au titre des frais d'expertise taxés et liquidés à la somme globale de 34 166,14 euros TTC. Par un arrêt du 17 juillet 2023, contre lequel le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a partiellement annulé ce jugement, mis la totalité des frais d'expertise à la charge définitive du centre hospitalier et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. Aux termes de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ". Selon l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 1792-4-3 du même code : " En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ". Le II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile dispose que : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ".
Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne dirigée contre l'Etat :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour ne s'est pas, contrairement à ce qui est soutenu, méprise sur la portée des écritures d'appel du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en retenant que celui-ci, en renvoyant aux écritures de première instance du préfet de Seine-et-Marne, devait être regardé comme opposant en appel la prescription de l'action contractuelle du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne prévue par les dispositions des articles 2262 et 2224 du code civil.
5. En second lieu, en revanche, en faisant application de la règle de prescription prévue à l'article 2224 du code civil à la créance que le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne soutenait détenir sur l'Etat, alors que cette créance était soumise à la prescription quadriennale instituée par la loi du 31 décembre 1968, la cour a méconnu le champ d'application de la loi.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne dirigée contre l'Etat.
Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne dirigée contre les autres constructeurs :
7. D'une part, avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'action du maître d'ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des constructeurs se prescrivait, en application de l'article 2262 du code civil, par trente ans. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, cette action n'est, en l'absence de réception des travaux, pas régie par les dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil mais soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 de ce code. Lorsque la prescription de trente ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne pouvait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de trente ans résultant des dispositions antérieures.
8. D'autre part, la prescription instituée par les dispositions des articles 2262 et 2224 du code civil court à compter de la date à laquelle le maitre d'ouvrage a ou aurait dû avoir une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage. Les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription.
9. Il résulte de ce qui est dit aux points 7 et 8 qu'en jugeant, après avoir relevé par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la Maison de retraite publique du canton de Châtelet-en-Brie, aux droit de laquelle est venu le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, devait être regardée comme ayant eu connaissance des faits lui ayant permis d'exercer son action au plus tard le 2 février 2007, date à laquelle elle a décidé l'ajournement des travaux sur l'ensemble des lots du chantier, que la prescription de l'action en responsabilité contractuelle engagée par celle-ci avait commencé à courir à compter de cette date et que cette action était soumise à la prescription trentenaire puis, à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, à la prescription quinquennale et que, par suite, à la date de la saisine du tribunal administratif de Melun par le centre hospitalier, le 21 juin 2015, le délai de prescription de cinq ans était expiré, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en ne se fondant pas sur la date d'apparition de chacun des préjudices invoqués par le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, dont il n'est pas soutenu qu'ils ne correspondaient pas aux conséquences raisonnablement prévisibles des désordres apparus à la date retenue par la cour comme point de départ du délai de prescription.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que cet arrêt statue sur ses conclusions dirigées contre l'Etat.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme 3 000 euros à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, de la société Arnaud Bical et Laurent Courcier architectes (BMC2) et de la société BET Alto Ingénierie qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 17 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue sur l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne dirigée contre l'Etat.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par la société Arnaud Bical et Laurent Courcier architectes (BMC2) sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, à la société Arnaud Bical et Laurent Courcier architectes (BMC2), à la société BET Alto Ingénierie et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie des finances et de l'industrie.