Vu la procédure suivante :
Le préfet de la Corse-du-Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de liquider l'astreinte prononcée à l'encontre de Mme A... B..., épouse C..., par un jugement n° 1300742 du 14 avril 2016. Par un jugement n° 2100524 du 13 décembre 2021, le président de ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22MA00517 du 8 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, annulé ce jugement, condamné Mme B... à verser à l'Etat la somme de 124 960 euros au titre de l'astreinte due pour la période du 28 août 2017 au 6 décembre 2021 et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 février, 7 mai et 20 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 20 décembre 2004 fixant la liste des animaux de la faune marine protégés sur l'ensemble du territoire ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement avant dire droit du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Bastia a condamné Mme B... à payer une amende de 1 500 euros pour l'occupation sans titre du domaine public maritime à raison de l'implantation, sur le territoire de la commune de Coti-Chiavari (Corse-du-Sud), d'une structure en pierres maçonnées composée d'un quai, d'une dalle, de bittes d'amarrage, d'une échelle d'accès à la mer, d'installations électriques et d'un tuyau d'eau sur une superficie de 198 mètres carrés, a ordonné une expertise à fin de délimitation du domaine public maritime le long de la côte bordant la propriété de Mme B... et a sursis à statuer sur les conclusions du préfet de la Corse-du-Sud relatives à la remise en état des lieux. Puis, par un jugement du 14 avril 2016, ce même tribunal a enjoint à Mme B... de remettre les lieux en leur état initial, à l'exception d'une partie d'un escalier, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de sa notification, et décidé qu'en cas d'inexécution, l'administration pourrait procéder d'office à la démolition des installations litigieuses aux frais de Mme B.... Le 12 mai 2021, le préfet de la Corse-du-Sud a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la liquidation de cette astreinte. Par un jugement du 13 décembre 2021, le président de ce tribunal a rejeté cette demande. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, annulé ce jugement et l'a condamnée à verser à l'Etat la somme de 124 960 euros au titre de l'astreinte due pour la période du 28 août 2017 au 6 décembre 2021, soit 80 euros par jour de retard.
2. Lorsqu'il a assorti l'injonction de remettre en état le domaine public maritime d'une astreinte dont il a fixé le point de départ, le juge administratif doit procéder à sa liquidation en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive de l'injonction. Il peut toutefois modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle, compte tenu notamment des difficultés rencontrées dans l'exécution de la chose jugée par les parties tenues de procéder à cette exécution, des diligences déjà accomplies par elles et de celles qui sont encore susceptibles de l'être.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... s'est prévalue devant le tribunal puis devant la cour, au soutien de ses conclusions en défense tendant à ce que l'astreinte provisoire qui avait été prononcée à son encontre ne soit pas liquidée, de ce qu'un rapport de constat amiable, réalisé en septembre 2020 à sa demande aux fins de rechercher la présence d'espèces marines protégées dans l'emprise de la zone des travaux destinés à détruire le quai en béton, avait révélé, postérieurement au jugement du 14 avril 2016 ayant ordonné la démolition de cette installation, la présence sur les lieux d'une colonie de dattes de mer (Litophaga lithophaga), alors que cette espèce est protégée sur le fondement du point a) de l'annexe IV de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats ", et que la destruction, l'altération ou la dégradation de son milieu particulier ainsi que la destruction, la capture, l'enlèvement et la perturbation intentionnelle d'individus de cette espèce sont prohibés par un arrêté interministériel du 20 décembre 2004 fixant la liste des animaux de la faune marine protégés sur l'ensemble du territoire en application des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement. Pour s'opposer à la liquidation de l'astreinte provisoire, Mme B... avait notamment fait valoir la difficulté d'exécution qu'elle avait rencontrée dans la démolition du quai qu'elle était tenue d'effectuer, en arguant de ce que cette démolition ne pouvait, en l'état, être mise en œuvre sans compromettre la préservation de cette espèce protégée dont la présence avait été constatée postérieurement à l'injonction prononcée, et dont le rapport qu'elle produisait soulignait l'absence de méthode de déplacement vers un autre habitat. En regardant comme inopérant, dans le cadre du litige portant sur la liquidation de l'astreinte dont elle était saisie, le moyen tiré de ce que l'exécution du jugement du 14 avril 2016 serait susceptible de menacer la datte de mer, espèce protégée, alors qu'il lui revenait d'apprécier la réalité de la difficulté d'exécution ainsi invoquée et, le cas échéant, de préciser les conditions d'exécution de la démolition ordonnée et les diligences pouvant être accomplies à cette fin par les parties, en évaluant la possibilité éventuelle pour l'autorité administrative d'accorder une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 8 décembre 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., épouse C..., et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.
Rendu le 19 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle