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19/12/2024 | FRANCE | N°490157

France | France, Conseil d'État, Section, 19 décembre 2024, 490157


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 14 décembre 2023 et les 13 mars, 12 juillet, 30 septembre et 25 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 novembre 2023 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d'office en application du 2° de l'article 45 de l'ordonna

nce n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 14 décembre 2023 et les 13 mars, 12 juillet, 30 septembre et 25 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 novembre 2023 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d'office en application du 2° de l'article 45 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ;

- la décision n° 2024-1097 QPC du Conseil constitutionnel du 26 juin 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., magistrat du parquet qui a intégré la magistrature en 1994, exerce les fonctions de vice-procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de ... depuis le 17 décembre 2010. Par une décision en date du 30 novembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, après avoir recueilli l'avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet, a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d'office. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette sanction.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

3. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

4. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 2 et 3, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

5. D'autre part, aux termes de l'article 65 de la Constitution : " (...) La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. (...). " Aux termes de l'article 59 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, pris en application de ces dispositions : " Aucune sanction contre un magistrat du parquet ne peut être prononcée sans l'avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (...) ". Aux termes de l'article 63 de cette même ordonnance, applicable aux magistrats du parquet : " Le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des sceaux, ministre de la justice. / Le Conseil supérieur de la magistrature est également saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adressent les procureurs généraux près les cours d'appel ou les procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d'appel. / Copie des pièces est adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui peut demander une enquête à l'inspection générale de la justice. (...) ". Aux termes de l'article 65 de cette ordonnance : " (...) La formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature émet un avis motivé sur la sanction que les faits reprochés lui paraissent entraîner ; cet avis est transmis au garde des sceaux, ministre de la justice ". Il résulte de ces dispositions que les sanctions édictées à l'encontre des magistrats du parquet sont prises par le garde des sceaux, après avis motivé de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet.

6. Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature émet son avis sur la sanction susceptible d'être infligée à un magistrat du parquet dans les conditions prévues par les articles 63-1 à 65-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Aux termes de l'article 63-3 de cette ordonnance : " Dès la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces de l'enquête préliminaire, s'il y a été procédé. / Le président de la formation de discipline désigne, en qualité de rapporteur, un membre de cette formation. / Il le charge, s'il y a lieu, de procéder à une enquête. (...) / L'article 52 est applicable. " Aux termes de l'article 52 de cette ordonnance : " Au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigation utiles et peut procéder à la désignation d'un expert. (...) ". Aux termes de l'article 64 de cette ordonnance : " Lorsqu'une enquête n'a pas été jugée nécessaire ou lorsque l'enquête est complète, le magistrat est cité à comparaître devant la formation compétente du Conseil supérieur. / (...) / Les règles déterminées par les articles 54, 55 et 56 sont applicables à la procédure devant cette formation. " Aux termes de l'article 56 de la même ordonnance : " Au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés (...). "

7. Par une décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans un autre litige, a jugé applicable aux magistrats le principe énoncé au point 2 et, après avoir censuré les dispositions des articles 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, relatives à l'audition du magistrat par le rapporteur et par le Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre de la procédure disciplinaire des magistrats du siège, applicables aux magistrats du parquet, a jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée était invocable dans les instances en cours.

Sur la sanction :

En ce qui concerne la régularité de la procédure disciplinaire :

8. Il ressort des pièces du dossier que, le 28 avril 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, a adressé au Conseil supérieur de la magistrature la dénonciation des faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. B.... Le même jour, le garde des sceaux, ministre de la justice, a également saisi l'Inspection générale de la justice (IGJ) d'une enquête administrative relative au comportement de l'intéressé, qui a donné lieu à un rapport, rendu le 4 novembre 2022 et transmis au Conseil supérieur de la magistrature. Par un acte du 3 janvier 2023 adressé au Conseil supérieur de la magistrature, le garde des sceaux, ministre de la justice, a abandonné certains manquements envisagés et saisi le Conseil de nouveaux manquements au devoir de probité, de délicatesse et de loyauté. Le 21 février 2023, le président de la formation du Conseil compétente pour la discipline des magistrats du parquet a désigné un rapporteur, en application de l'article 63-3 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958. Le rapporteur a procédé, le 21 avril 2023, à l'audition de M. B..., qui était assisté de son conseil et du secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats. Lors de l'audience publique du 3 octobre 2023, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet a de nouveau entendu, après la lecture du rapport du rapporteur, puis l'intervention de la direction des services judiciaires, M. B..., assisté de son conseil et du secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats. Par un avis motivé du 26 octobre 2023, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature a proposé que soit prononcée à l'encontre de l'intéressé la sanction de déplacement d'office, en application du 2° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée.

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été entendu par l'IGJ les 14, 15 et 16 septembre 2022, soit postérieurement à l'engagement de poursuites disciplinaires par le garde des sceaux à son encontre, sur les faits faisant l'objet de la procédure disciplinaire le concernant, sans qu'il ait été informé qu'il avait le droit de se taire. Toutefois, il ressort des éléments factuels et des témoignages de tiers mentionnés dans le dossier, non contestés par l'intéressé, que la sanction prononcée à l'encontre de M. B... ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu'il a tenus dans le cadre de cette enquête de l'IGJ. Dans ces conditions, et eu égard au principe énoncé au point 4, le moyen tiré de ce que l'absence de notification à M. B... du droit qu'il avait de se taire lors de l'enquête administrative menée par l'IGJ entacherait d'illégalité la sanction litigieuse doit être écarté.

10. D'autre part, il ressort du procès-verbal de son audition par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature que M. B... a été informé, à titre liminaire, qu'au regard des questions prioritaires de constitutionnalité en attente de jugement portant sur la notification du droit de se taire au magistrat mis en cause à titre disciplinaire, tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l'audience au fond, il pouvait faire des observations, répondre aux questions, ou se taire. Compte tenu de l'information ainsi donnée, la circonstance que M. B... n'ait pas été à nouveau informé de la possibilité qu'il avait de se taire lors de sa comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature n'a pas entaché d'irrégularité la procédure ayant conduit à l'avis émis sur la sanction contestée.

11. Enfin, si M. B... soutient que le garde des sceaux aurait dû lui notifier son droit de se taire préalablement à l'édiction de la sanction qui lui a été infligée, il ne ressort pas des dispositions applicables citées au point 5 que le garde des sceaux, ministre de la justice, devrait entendre le magistrat du parquet avant de prononcer une sanction à son encontre, et il n'est d'ailleurs pas soutenu que tel aurait été le cas. Le moyen tiré de ce que M. B... aurait dû être informé par le garde des sceaux, ministre de la justice, de son droit de se taire avant l'édiction de la décision attaquée ne peut dès lors et en tout état de cause qu'être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :

12. Aux termes de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 : " Tout manquement par un magistrat à l'indépendance, à l'impartialité, à l'intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l'honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état constitue une faute disciplinaire. (...) La faute s'apprécie pour un membre du parquet (...) compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. "

13. Aux termes de l'article 45 de la même ordonnance : " Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : 1° Le blâme avec inscription au dossier ; 2° Le déplacement d'office ; 3° Le retrait de certaines fonctions, dans lesquelles le magistrat ne peut être nommé pour une durée maximale de cinq ans ; 3° bis L'interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée maximale de dix ans ; 4° L'abaissement d'un ou de plusieurs échelons ; 4° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de deux ans, avec privation totale ou partielle du traitement ; 5° La rétrogradation ; 6° La mise à la retraite d'office ou l'admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n'a pas le droit à une pension de retraite ; 7° La révocation. "

14. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que, pour prononcer à l'encontre de M. B... la sanction de déplacement d'office, le garde des sceaux, ministre de la justice, s'est fondé, d'une part, sur le fait que l'intéressé avait, sans en avoir à aucun moment informé sa hiérarchie, ouvert, puis mené pendant plusieurs mois, une enquête pénale pour des faits dont la victime était le père d'une personne qu'il connaissait à titre professionnel et privé, alors qu'il n'était pas chargé de connaître de ce type d'infraction, manquant ainsi à ses devoirs de loyauté, d'impartialité et de probité, et d'autre part, sur la circonstance qu'il avait, par certaines insuffisances professionnelles, manqué à son devoir de délicatesse.

15. Il est établi par les pièces du dossier, hors les propos tenus par l'intéressé lors de l'enquête de l'IGJ, que M. B... a conduit une enquête pénale en dehors de ses attributions et sans en informer sa hiérarchie, après que la fille de la victime présumée l'a informé des faits en cause, et alors qu'il entretenait des rapports professionnels et privés avec cette dernière, ancienne bâtonnière du barreau de ..., son épouse ayant été son employée en tant qu'avocate collaboratrice. Cette enquête, qui s'est poursuivie pendant plusieurs mois, a notamment donné lieu à deux interpellations, suivies de gardes à vue, ainsi qu'à la saisine de deux véhicules.

16. Par ailleurs, M. B... a, de manière répétée, fait preuve d'une attitude professionnelle désinvolte, en ne s'inscrivant pas dans la collectivité de travail du parquet, en étant difficilement joignable lors de sa permanence, peu présent au sein du tribunal et au sein de son service, en manquant de rigueur et d'attention dans ses relations avec ses collègues, lesquels devaient régulièrement le remplacer dans l'urgence en raison de ses nombreuses absences, et en ne se remettant pas en question, malgré diverses mises en garde qui lui avaient été adressées.

17. L'ensemble de ces faits, qui ont perturbé le bon fonctionnement des services du parquet du tribunal judiciaire de ... et porté atteinte à l'image de l'institution judiciaire, constituent, quand bien même M. B... n'aurait tiré aucun profit matériel de l'enquête litigieuse, un abus de fonction et de graves manquements aux devoirs de loyauté, d'impartialité et de probité et au devoir de délicatesse au sens de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Ils sont, par suite, constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire, sans que les difficultés personnelles et familiales et l'état de santé du requérant, lesquels sont établis par les certificats médicaux et courriers produits au dossier et ne sont pas contestés, soient de nature à faire obstacle au prononcé d'une sanction.

18. Eu égard à la gravité des manquements commis par l'intéressé, et à leur nature, qui rendent impossible son maintien en fonctions au tribunal judiciaire de ..., le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas, en infligeant à M. B... la sanction de déplacement d'office, qui constitue l'une des sanctions disciplinaires les moins élevées prévues par l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, et traduit ainsi la prise en compte de sa situation familiale et personnelle, prononcé une sanction disproportionnée.

19. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du garde des sceaux du 30 novembre 2023 qu'il attaque. Les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, M. Pierre Collin, présidents adjoints de la section du contentieux ; Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, Mme Gaëlle Dumortier, M. Olivier Japiot, M. Jean-Philippe Mochon, Mme Anne Egerszegi, M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre et Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 19 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Vella


Synthèse
Formation : Section
Numéro d'arrêt : 490157
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) [RJ1] – DISCIPLINE DES AGENTS PUBLICS [RJ2] – OBLIGATION D’INFORMER L’AGENT DE CE DROIT – 1) CHAMP – A) INCLUSION – CONDUITE DE LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – B) EXCLUSION – EXERCICE DU POUVOIR HIÉRARCHIQUE – ENQUÊTES ET INSPECTIONS DILIGENTÉES HORS DU CADRE D’UNE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – 2) CONSÉQUENCES DE L’ABSENCE D’INFORMATION PRÉALABLE – VICE ENTACHANT D’IRRÉGULARITÉ LA SANCTION – CONDITION – SANCTION REPOSANT DE MANIÈRE DÉTERMINANTE SUR DES PROPOS TENUS PAR L’INTÉRESSÉ ALORS QU’IL N’AVAIT PAS ÉTÉ INFORMÉ DE CE DROIT [RJ3] – 3) ESPÈCE – SANCTION D’UN MAGISTRAT DU PARQUET [RJ4] – LÉGALITÉ – EXISTENCE.

01-03-01 De l’article 9 de la Déclaration de 1789 résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ...De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire....1) a) A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire....b) En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent....2) Dans le cas où un agent sanctionné n’a pas été informé du droit qu’il a de se taire alors que cette information était requise en vertu de ces principes, cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit....2) Magistrat du parquet ayant été entendu par l’inspection générale de la justice (IGJ) postérieurement à l’engagement de poursuites disciplinaires par le garde des sceaux à son encontre et sur les faits faisant l’objet de la procédure disciplinaire le concernant, sans qu’il ait été informé qu’il avait le droit de se taire....Magistrat ayant ensuite été entendu par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui l’a informé, à titre liminaire, que, tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l’audience au fond, il pouvait faire des observations, répondre aux questions, ou se taire. ...Magistrat ayant été sanctionné par le garde des sceaux, après avoir recueilli l’avis de la formation compétente du CSM....D’une part, dès lors que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu’il a tenus dans le cadre de l’enquête de l’IGJ, l’absence de notification du droit qu’il avait de se taire n’entache pas d’illégalité la sanction prononcée. D’autre part, la circonstance que le magistrat n’ait pas été de nouveau informé de la possibilité qu’il avait de se taire lors de sa comparution devant le CSM, compte tenu de l’information donnée par son rapporteur lors de son audition, n’entache pas davantage d’irrégularité la procédure ayant conduit à l’avis émis sur la sanction contestée.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - DISCIPLINE - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) [RJ1] – OBLIGATION D’INFORMER L’AGENT DE CE DROIT [RJ2] – 1) CHAMP – A) INCLUSION – CONDUITE DE LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – B) EXCLUSION – EXERCICE DU POUVOIR HIÉRARCHIQUE – ENQUÊTES ET INSPECTIONS DILIGENTÉES HORS DU CADRE D’UNE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – 2) CONSÉQUENCES DE L’ABSENCE D’INFORMATION PRÉALABLE – VICE ENTACHANT D’IRRÉGULARITÉ LA SANCTION – CONDITION – SANCTION REPOSANT DE MANIÈRE DÉTERMINANTE SUR DES PROPOS TENUS PAR L’INTÉRESSÉ ALORS QU’IL N’AVAIT PAS ÉTÉ INFORMÉ DE CE DROIT [RJ3] – 3) ESPÈCE – SANCTION D’UN MAGISTRAT DU PARQUET [RJ4] – LÉGALITÉ – EXISTENCE.

36-09 De l’article 9 de la Déclaration de 1789 résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ...De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire....1) a) A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire....b) En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent....2) Dans le cas où un agent sanctionné n’a pas été informé du droit qu’il a de se taire alors que cette information était requise en vertu de ces principes, cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit....2) Magistrat du parquet ayant été entendu par l’inspection générale de la justice (IGJ) postérieurement à l’engagement de poursuites disciplinaires par le garde des sceaux à son encontre et sur les faits faisant l’objet de la procédure disciplinaire le concernant, sans qu’il ait été informé qu’il avait le droit de se taire....Magistrat ayant ensuite été entendu par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui l’a informé, à titre liminaire, que, tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l’audience au fond, il pouvait faire des observations, répondre aux questions, ou se taire. ...Magistrat ayant été sanctionné par le garde des sceaux, après avoir recueilli l’avis de la formation compétente du CSM....D’une part, dès lors que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu’il a tenus dans le cadre de l’enquête de l’IGJ, l’absence de notification du droit qu’il avait de se taire n’entache pas d’illégalité la sanction prononcée. D’autre part, la circonstance que le magistrat n’ait pas été de nouveau informé de la possibilité qu’il avait de se taire lors de sa comparution devant le CSM, compte tenu de l’information donnée par son rapporteur lors de son audition, n’entache pas davantage d’irrégularité la procédure ayant conduit à l’avis émis sur la sanction contestée.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - MAGISTRATS ET AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE - DISCIPLINE - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) – OBLIGATION D’INFORMER LE MAGISTRAT DE CE DROIT – 1) – ESPÈCE – SANCTION D’UN MAGISTRAT DU PARQUET [RJ4] – LÉGALITÉ – EXISTENCE.

37-04-02-02 Magistrat du parquet ayant été entendu par l’inspection générale de la justice (IGJ) postérieurement à l’engagement de poursuites disciplinaires par le garde des sceaux à son encontre et sur les faits faisant l’objet de la procédure disciplinaire le concernant, sans qu’il ait été informé qu’il avait le droit de se taire....Magistrat ayant ensuite été entendu par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui l’a informé, à titre liminaire, que, tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l’audience au fond, il pouvait faire des observations, répondre aux questions, ou se taire. ...Magistrat ayant été sanctionné par le garde des sceaux, après avoir recueilli l’avis de la formation compétente du CSM....D’une part, dès lors que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu’il a tenus dans le cadre de l’enquête de l’IGJ, l’absence de notification du droit qu’il avait de se taire n’entache pas d’illégalité la sanction prononcée. D’autre part, la circonstance que le magistrat n’ait pas été de nouveau informé de la possibilité qu’il avait de se taire lors de sa comparution devant le CSM, compte tenu de l’information donnée par son rapporteur lors de son audition, n’entache pas davantage d’irrégularité la procédure ayant conduit à l’avis émis sur la sanction contestée.

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE - RÉGIME DE LA SANCTION ADMINISTRATIVE - RÉGULARITÉ - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) [RJ1] – DISCIPLINE DES AGENTS PUBLICS [RJ2] – OBLIGATION D’INFORMER L’AGENT DE CE DROIT – 1) CHAMP – A) INCLUSION – CONDUITE DE LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – B) EXCLUSION – EXERCICE DU POUVOIR HIÉRARCHIQUE – ENQUÊTES ET INSPECTIONS DILIGENTÉES HORS DU CADRE D’UNE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE – 2) CONSÉQUENCES DE L’ABSENCE D’INFORMATION PRÉALABLE – VICE ENTACHANT D’IRRÉGULARITÉ LA SANCTION – CONDITION – SANCTION REPOSANT DE MANIÈRE DÉTERMINANTE SUR DES PROPOS TENUS PAR L’INTÉRESSÉ ALORS QU’IL N’AVAIT PAS ÉTÉ INFORMÉ DE CE DROIT [RJ3] – 3) ESPÈCE – SANCTION D’UN MAGISTRAT DU PARQUET [RJ4] – LÉGALITÉ – EXISTENCE.

59-02-02-02 De l’article 9 de la Déclaration de 1789 résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ...De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire....1) a) A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire....b) En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent....2) Dans le cas où un agent sanctionné n’a pas été informé du droit qu’il a de se taire alors que cette information était requise en vertu de ces principes, cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit....2) Magistrat du parquet ayant été entendu par l’inspection générale de la justice (IGJ) postérieurement à l’engagement de poursuites disciplinaires par le garde des sceaux à son encontre et sur les faits faisant l’objet de la procédure disciplinaire le concernant, sans qu’il ait été informé qu’il avait le droit de se taire....Magistrat ayant ensuite été entendu par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui l’a informé, à titre liminaire, que, tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l’audience au fond, il pouvait faire des observations, répondre aux questions, ou se taire. ...Magistrat ayant été sanctionné par le garde des sceaux, après avoir recueilli l’avis de la formation compétente du CSM....D’une part, dès lors que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu’il a tenus dans le cadre de l’enquête de l’IGJ, l’absence de notification du droit qu’il avait de se taire n’entache pas d’illégalité la sanction prononcée. D’autre part, la circonstance que le magistrat n’ait pas été de nouveau informé de la possibilité qu’il avait de se taire lors de sa comparution devant le CSM, compte tenu de l’information donnée par son rapporteur lors de son audition, n’entache pas davantage d’irrégularité la procédure ayant conduit à l’avis émis sur la sanction contestée.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2024, n° 490157
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490157.20241219
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