Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 25 novembre 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a interdit pour la durée de six mois de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte sportive où se déroule une manifestation sportive des équipes amateurs et professionnelles du Football Club de Rouen (FCR) et à toutes les rencontres de football se déroulant au stade Robert Diochon du Petit-Quevilly. Par une ordonnance n° 2404936 du 6 décembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 13 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 25 novembre 2024 du préfet de la Seine-Maritime le concernant ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la mesure d'interdiction est privative de liberté, qu'elle lui interdit de se rendre quand il le souhaite au stade et porte ainsi atteinte à sa liberté de circuler, qu'elle va prolonger ses effets à chaque match même si l'interdiction est temporaire dès lors que pendant cette période des matchs auxquels il se rend habituellement par passion sont joués au stade presque toutes les semaines ;
- en tout état de cause, il est demandé au juge des référés de consacrer en la matière une présomption d'urgence conformément à la recommandation d'un rapport d'information de l'Assemblée nationale du 22 mai 2020 ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir ;
- il ne peut lui être demandé, en inversant la charge de la preuve, de prouver le fait de n'avoir pas participé à un incident entre supporters alors qu'il appartient au préfet, auteur de la mesure, de prouver les faits qu'il invoque ;
- s'il n'avait pas fourni de témoignages en première instance en estimant qu'il appartenait au préfet d'établir les faits, il en produit deux en appel qui attestent, contrairement aux allégations du préfet, qu'il n'a participé à aucune action violente à la fin du match en question ;
- le préfet, qui n'invoque pas d'agissements répétés, ne justifie pas qu'il a commis un acte grave à l'occasion de la manifestation sportive, en application de l'article L. 332-16 du code du sport dès lors qu'il n'a pas été interpellé et n'a pas fait l'objet de poursuites correctionnelles alors même que le préfet prétend qu'il a été identifié par un système de vidéoprotection sans que l'on sache d'ailleurs dans quelles circonstances la consultation de l'enregistrement a été effectuée ;
- faute de pièce ayant le caractère de force probante " jusqu'à preuve du contraire ", son identification " formelle " ne peut être tenue pour établie ;
- la mesure administrative n'a pas vocation à se substituer à la sanction pénale ;
- la juge des référés du tribunal aurait dû suspendre la mesure après avoir constaté que la durée de l'interdiction de stade était manifestement disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 décembre 2024, à 15 heures :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- le représentant de M. B... ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue du match opposant le Football club de Rouen (FCR) au FC Sochaux-Montbéliard qui s'est déroulé le 23 octobre 2024 au stade Robert Diochon sur le territoire de la commune du Petit-Quevilly, un groupe de 80 supporters des " Rouen Fans " a forcé l'entrée du site de parcage destiné aux " visiteurs " afin d'affronter les supporters sochaliens. Cette intrusion a nécessité l'intervention des forces de l'ordre qui ont dû faire usage de moyens lacrymogènes pour disperser le groupe rouennais. Une vitre d'un minibus affrété par les supporters du FC Sochaux-Montbéliard a été brisée. Si aucune interpellation n'a pu être réalisée sur le champ, neuf supporters rouennais ont été identifiés lors d'un visionnage de l'enregistrement de l'évènement par le système de vidéoprotection installé en vertu d'un arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 23 décembre 2022 d'autorisation d'exploitation dans le périmètre du stade. M. A... B..., né le 19 mars 2000, ayant été " formellement identifié par les forces de l'ordre " selon les termes de la décision en litige, le préfet de la Seine-Maritime a, sur le fondement de l'article L. 332-16 du code du sport, prononcé à son encontre une interdiction d'une durée de six mois à compter de la notification de son arrêté du 25 novembre 2024, intervenue le 26 novembre 2024, de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte sportive où se déroule une manifestation sportive des équipes amateurs et professionnelles du FCR. Il a étendu cette interdiction à toutes les rencontres de football qui se déroulent dans l'enceinte du stade Robert Diochon au Petit Quevilly. En revanche, cet arrêté ne comporte pas d'obligation de répondre, au moment des manifestations sportives objet de l'interdiction, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée désignée par la mesure de police administrative. M. B... relève appel de l'ordonnance du 6 décembre 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Rouen, saisie sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, rejeté la demande de suspension de cette mesure administrative d'interdiction de stade au motif qu'elle n'avait pas porté une atteinte suffisamment grave à sa liberté d'aller et venir justifiant sa suspension dans un délai de 48 heures.
3. Aux termes de l'article L. 3332-16 du code du sport : " Lorsque, par ses agissements répétés portant atteinte à la sécurité des personnes ou des biens à l'occasion de manifestations sportives, par la commission d'un acte grave à l'occasion de l'une de ces manifestations, du fait de son appartenance à une association ou un groupement de fait ayant fait l'objet d'une dissolution en application de l'article L. 332-18 ou du fait de sa participation aux activités qu'une association ayant fait l'objet d'une suspension d'activité s'est vue interdire en application du même article, une personne constitue une menace grave pour l'ordre public, le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public. / L'arrêté, valable sur le territoire national, fixe le type de manifestations sportives concernées. Il ne peut excéder une durée de douze mois. Toutefois, cette durée peut être portée à vingt-quatre mois si, dans les trois années précédentes, cette personne a fait l'objet d'une mesure d'interdiction. / Lorsqu'une personne à l'encontre de laquelle cette mesure est prononcée a été définitivement condamnée à la peine complémentaire prévue à l'article L. 332-11 en raison des mêmes faits, elle en informe l'autorité administrative, qui met alors immédiatement fin à sa mesure au profit de cette peine complémentaire. Il en est de même lorsque la personne a bénéficié d'une décision de relaxe en raison de ces mêmes faits par une décision pénale devenue définitive au motif que les faits ne sont pas établis ou ne lui sont pas imputables. / Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent également imposer, par le même arrêté, à la personne faisant l'objet de cette mesure l'obligation de répondre, au moment des manifestations sportives objet de l'interdiction, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée qu'il désigne. Le même arrêté peut aussi prévoir que l'obligation de répondre à ces convocations s'applique au moment de certaines manifestations sportives, qu'il désigne, se déroulant sur le territoire d'un Etat étranger. Cette obligation doit être proportionnée au regard du comportement de la personne. / L'obligation prévue au troisième alinéa du présent article ne peut être imposée que s'il apparaît manifestement que son destinataire entend se soustraire à la mesure d'interdiction prévue au premier alinéa. / Le fait, pour la personne, de ne pas se conformer à l'un ou à l'autre des arrêtés pris en application des alinéas précédents est puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. / Le préfet du département et, à Paris, le préfet de police communique aux associations et sociétés sportives, ainsi qu'aux fédérations sportives agréées l'identité et la photographie des personnes faisant l'objet de la mesure d'interdiction mentionnée au premier alinéa. En outre, il peut les communiquer aux associations de supporters mentionnées à l'article L. 332-17. / L'identité des personnes mentionnées au premier alinéa peut également être communiquée aux autorités d'un pays étranger lorsque celui-ci accueille une manifestation sportive à laquelle participe une équipe française, ainsi qu'aux organismes sportifs internationaux lorsqu'ils organisent une manifestation sportive à laquelle participe une équipe française. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article ".
4. L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative citées au point 1 est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention à très brève échéance d'une mesure de sauvegarde.
5. M. B..., qui entend se placer sur le terrain de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne peut, en tout état de cause, se prévaloir d'une présomption d'urgence. La mesure en litige n'étant pas privative de liberté, il ne peut davantage utilement soutenir qu'il y aurait nécessairement urgence à suspendre l'exécution d'une telle mesure. S'il fait encore valoir, d'une part, dans ses écritures, qu'il ne pourra se rendre aux matchs de football qui se déroulent presque toutes les semaines et, d'autre part, à l'audience, qu'il ne pourra assister en tribunes au match qui opposera vendredi 20 décembre prochain le FCR au club de ligue 1 Lille OSC, dans le cadre des 32èmes de finale de la coupe de France 2024 - 2025, et qui revêt une importance certaine aux yeux d'un supporter d'un club comme le FCR, ces circonstances qui sont la conséquence nécessaire de la mesure critiquée, prise dans un but préventif et dans un contexte d'aggravation des tensions entre supporters de clubs rivaux, n'emportent pas, par elle-même, des conséquences qui placeraient l'intéressé dans une situation d'urgence caractérisée justifiant la suspension immédiate de l'exécution de l'arrêté du 25 novembre 2024 dont la durée a été fixée à six mois. M. B... ne fait enfin état d'aucune circonstance particulière qui ferait apparaître que la décision, d'ailleurs dépourvue d'obligation de pointages, provoquerait d'autres effets particulièrement contraignants sur sa situation personnelle. Il s'ensuit que la condition d'urgence ne peut être regardée comme satisfaite. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, qui n'est pas, contrairement à ce qui est allégué, entachée de contradiction entre ses motifs et son dispositif, la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tirée de ce que l'arrêté préfectoral aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir, que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 18 décembre 2024
Signé : Olivier Yeznikian