Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 474682, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin 2023 et 1er mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des Milieux Aquatiques (DMA) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner à l'administration de produire les éléments justifiant, pour chaque Unité de Gestion de l'Anguille (UGA), les modifications des périodes de pêche ainsi que les données de captures mensuelles, par UGA, des 20 dernières années ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique, en tant qu'il prévoit les nouvelles périodes de pêche de l'anguille jaune dans toutes les UGA sauf celle de Bretagne - au nord du 48ème parallèle ;
3°) d'enjoindre à l'administration de définir, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, de nouvelles dates de pêche de l'anguille jaune dans toutes les UGA sauf celle de Bretagne - au nord du 48ème parallèle, conformément aux dispositions du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023, c'est-à-dire en prévoyant une diminution manifeste des captures par suppression nette de périodes de pêche sans addition d'autres périodes.
II. Sous le n° 488269, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 septembre 2023 et 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des Milieux Aquatiques (DMA) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner à l'administration de produire les éléments justifiant, pour chaque Unité de Gestion de l'Anguille (UGA), les modifications des périodes de pêche ainsi que les données de captures mensuelles, par UGA, des 20 dernières années ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 juin 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique, en tant qu'il prévoit les nouvelles périodes de pêche de l'anguille jaune dans toutes les UGA à l'exception de l'UGA Bretagne et dans le bassin d'Arcachon ;
3°) d'enjoindre à l'administration de déterminer, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, de nouvelles dates de pêche de l'anguille jaune dans toutes les UGA, à l'exception de l'UGA Bretagne et dans le bassin d'Arcachon, conformément aux dispositions du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
- le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 14 avril 2023 modifiant l'arrêté du 7 avril 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 7 avril 2023, abrogé et remplacé par un arrêté du 19 juin suivant, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, ont, pour la mise en œuvre du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 relatif aux possibilités de pêche, défini de nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association requérante demande l'annulation de ces arrêtés en tant qu'ils prévoient les nouvelles périodes de pêche de l'anguille jaune dans toutes les unités de gestion de l'anguille (UGA), à l'exception, pour le premier, de celle de Bretagne - au nord du 48ème parallèle et, pour le second, de celle de Bretagne et du bassin d'Arcachon, et qu'il soit enjoint à l'administration de définir de nouvelles dates prévoyant une diminution manifeste des captures par suppression nette de périodes de pêche sans addition d'autres périodes.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, (...) applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable, (...) met en œuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum (...) ".
3. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable de cette espèce migratrice catadrome, se reproduisant dans la mer des Sargasses et grandissant dans les eaux douces européennes où elle passe en une dizaine d'années par trois stades de développement (anguille de moins de 12 centimètres également appelée civelle, anguille jaune et anguille argentée). Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) / 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) / 8. Le plan de gestion de l'anguille comprend, de manière non limitative, les mesures suivantes : / (...) / - la réduction de l'activité de pêche commerciale. / (...) / 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en œuvre du plan de gestion (...) " et aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en œuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, lequel énonce plusieurs objectifs intermédiaires (dits " de gestion ") dont, en ce qui concerne l'anguille jaune, pour les années 2015 et suivantes, une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.
4. Le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de pêche de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union, et établissant, pour 2023 et 2024, de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d'eau profonde, prévoit, en son article 13, l'interdiction des activités de pêche commerciales de l'anguille d'Europe (Anguilla anguilla), en tant qu'espèce cible ou en tant que prise accessoire, à tous les stades de développement, pendant une période d'au moins six mois et précise, à ses paragraphes 2., 3. et 4., les règles selon lesquelles les Etats membres déterminent une ou plusieurs périodes de fermeture. En particulier, il dispose au a) du 2. que cette ou ces périodes de fermeture " peuvent varier au sein d'un État membre d'une zone de pêche à l'autre afin de tenir compte du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille à ses différents stades de développement " et au d) de ce même 2. qu'elles doivent être " cohérentes avec les objectifs de conservation fixés par le règlement (CE) n° 1100/2007, les plans nationaux de gestion existants et les schémas de migration temporelle de l'anguille d'Europe au stade de développement respectif dans l'État membre concerné ". Ainsi qu'il ressort des 16ème et 17ème considérants du règlement, cette période de fermeture prolongée est prescrite dans l'objectif de permettre, tout en poursuivant les mesures de repeuplement, de contribuer à la reconstitution du stock d'anguilles, et l'établissement de périodes de fermeture différentes, notamment pour les différentes zones de pêche d'un État membre et pour différentes pêcheries au sein de ces zones de pêche, doit permettre de tenir compte notamment de facteurs environnementaux et biologiques de nature à influencer la période de migration de l'anguille.
5. Au titre des mesures prises pour l'application des règlements précités et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, ont été adoptées des dispositions réglementaires, codifiées aux articles R. 436-65-1 à R. 436-65-9 du code de l'environnement et R. 922-45 à R. 922-50 du code rural et de la pêche maritime, applicables respectivement à la pêche de l'anguille en amont et en aval des limites transversales de la mer, qui interdisent la pêche de l'anguille en dehors des UGA et limitent cette pêche, à chacun des stades de développement de l'anguille, à certaines UGA et pendant des périodes fixées, pour chacune d'elles, par arrêté ministériel.
6. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent qu'il appartient aux ministres compétents, lorsqu'ils définissent les périodes de pêche de l'anguille, de définir pour chaque stade de développement et chaque UGA concernée une ou des périodes qui soient de nature, compte tenu de l'ensemble des mesures concourant à la protection de l'espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en œuvre le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises, à permettre d'atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche. Si les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation quant à la combinaison des mesures à retenir pour atteindre ces objectifs, il résulte du règlement du 30 janvier 2023 qu'en ce qui concerne la fixation des périodes de pêche, ils n'exercent cette marge d'appréciation que dans les limites prescrites par l'article 13 de ce règlement et doivent, afin de ne pas priver d'effet utile la période de fermeture prolongée prévue à cet article, tenir compte dans une perspective de reconstitution des stocks du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille à ses différents stades de développement.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
7. L'association DMA, qui ne conteste pas que les dates d'ouverture de pêche fixées par les arrêtés attaqués respectent la période de fermeture de six mois mentionnée au 2. de l'article 13 du règlement du 30 janvier 2023 et les périodes de fermeture imposées par les points ii) et iii) du a) du 4 de cet article pour les UGA concernées, soutient que, dans la mesure où les nouvelles dates en cause sont soit identiques à celles fixées jusqu'en mars 2023 par un arrêté du 5 février 2016, soit plus tardives dans l'année et incluant ainsi davantage de périodes de pics de captures, il n'en résulterait pas une réduction certaine et effective des captures, mais au contraire un risque d'augmentation et, de ce fait, une méconnaissance de l'objectif de meilleure protection de l'anguille poursuivi par le règlement du 30 janvier 2023, comme des objectifs de conservation fixés par le règlement du 18 septembre 2007 ainsi que du plan national de gestion français.
8. Il ressort des pièces des dossiers que par un avis du 30 mai 2022, auquel le 14ème considérant du règlement du 30 janvier 2023 se réfère pour motiver la période de fermeture prolongée, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) a relevé que, malgré les efforts déployés par les États membres, aucun progrès global n'avait été accompli pour atteindre l'objectif de 40 % d'échappement de la biomasse d'anguilles argentées dans l'ensemble de l'Union, comme l'exige l'article 2, paragraphe 4, du règlement du 18 septembre 2007, et qu'aucune tendance claire n'avait été observée en ce qui concerne la mortalité.
9. Toutefois, l'objectif énoncé dans le règlement du 18 septembre 2007 constitue un objectif de long terme, dont l'atteinte dépend d'un ensemble de mesures qui ne se limite pas à la définition des zones et périodes de pêche professionnelle de l'anguille jaune en aval de la limite de salure des eaux, et inclut également la réglementation de la pêche de loisir, en eau douce ainsi qu'aux autres stades de développement, la fixation de quotas pour la pêche professionnelle de la civelle et diverses mesures destinées à réduire les autres facteurs de mortalité anthropique de l'anguille ainsi qu'à favoriser le repeuplement.
10. En ce qui concerne spécifiquement la contribution de la réglementation de la pêche de l'anguille jaune à l'atteinte de l'objectif énoncé dans le règlement, le plan de gestion de l'anguille en France fixe, ainsi qu'il a été dit plus haut, un objectif intermédiaire (dit " de gestion ") pour la mortalité par pêche de ces anguilles, à savoir à compter de 2015 une réduction de 60 % de leur taux d'exploitation, correspondant au rapport entre volume des captures et indice de recrutement, par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.
11. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'association requérante, la seule circonstance que la modification des dates d'ouverture de la pêche résultant de l'arrêté en litige n'entraînerait pas de réduction des captures ne suffit pas à faire regarder cette modification comme de nature, par elle-même, à empêcher l'atteinte des objectifs énoncés aux points précédents, à laquelle contribue l'ensemble des mesures de protection mentionnées au point 9.
12. En second lieu, pour soutenir que les nouvelles périodes de pêche définies par l'arrêté attaqué coïncideraient avec les périodes de migration de l'anguille jaune, l'association DMA se prévaut d'un rapport d'un groupe de travail du CIEM qui identifie plusieurs pics saisonniers d'activité et de mouvement des anguilles jaunes, qu'il dénomme " clusters ". Toutefois, les observations de ce rapport, qui fait lui-même état de ce que les données disponibles sont limitées et appellent des précautions d'usage, ne font pas apparaître de recoupement systématique, pour chaque UGA et secteur, entre ces pics d'activité et les nouvelles périodes de pêche. En outre, le CIEM, dans un avis du 27 mars 2020, se démarque des conclusions de ce groupe de travail en relevant, s'agissant de l'anguille jaune, l'absence de " migrations spécifiques ", et en préférant qualifier les pics d'activité de " redistributions saisonnières " dans certaines eaux " sans schémas latitudinaux évidents ".
13. Dans ces conditions, en l'état des données disponibles, dont il ne ressort pas non plus qu'une insuffisance des autres mesures de protection mentionnées au point 9 rendrait impossible l'atteinte des objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007, il n'est pas établi qu'en adoptant successivement les arrêtés contestés, les ministres auraient fixé des dates d'ouverture de la pêche professionnelle de l'anguille jaune qui ne seraient pas de nature à permettre l'atteinte de ces objectifs. L'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les arrêtés attaqués méconnaîtraient tant le plan de gestion de l'anguille français que les objectifs de conservation fixés par le règlement du 18 septembre 2007, et par suite les dispositions du d) du 2. de l'article 13 du règlement du 30 janvier 2023.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées, que les requêtes de l'association requérante doivent être rejetée, y compris leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association DMA sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Défense des Milieux Aquatiques (DMA), à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM).
Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin