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18/12/2024 | FRANCE | N°472199

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 18 décembre 2024, 472199


Vu les procédures suivantes :



I. Sous le n° 472199, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 mars et 14 avril 2023 et le 23 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze cen

timètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime.






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Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 472199, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 mars et 14 avril 2023 et le 23 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime.

II. Sous le n° 472285, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars et 16 avril 2023 et le 7 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA) demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime, d'une part, en tant que son article 1er prévoit des périodes de pêche de l'anguille jaune pour les unités de gestion de l'anguille (UGA) " Artois-Picardie ", " Seine-Normandie ", " Bretagne ", " Garonne-Dordogne-Charente-Gironde " et " Adour-cours d'eau côtiers ", ainsi que pour la région Provence, Alpes, Côte d'Azur et les prud'homies de Saint-Cyprien, Port-la-Nouvelle, Gruissan, Valras, Palavas et Le Grau-du-Roi, d'autre part, en tant que son article 2 prévoit des périodes de pêche de l'anguille argentée majorées d'un mois et en pleine période de migration et, enfin, en tant que son article 3 fixe les périodes de pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres pour les UGA " Artois-Picardie ", " Seine-Normandie ", " Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise " et " Garonne-Dordogne-Gironde " ;

2°) d'enjoindre à l'administration de définir de nouvelles dates de pêche de l'anguille, conformément aux dispositions du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023, c'est-à-dire notamment en dehors des périodes de pics migratoires.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;

- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2022-1058 du 29 juillet 2022 ;

- l'arrêté du 28 octobre 2013 relatif aux dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres ;

- l'arrêté du 5 février 2016 relatif aux périodes de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille jaune et d'anguille argentée ;

- l'arrêté du 7 avril 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime ;

- l'arrêté du 7 avril 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique ;

- l'arrêté du 19 juin 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 mars 2023, le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, a, pour la mise en œuvre du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 relatif aux possibilités de pêche, défini de nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) et l'association Défense des milieux aquatiques (DMA) demandent l'annulation, en tout ou partie, de cet arrêté et, pour la seconde, qu'il soit enjoint à l'administration de définir de nouvelles dates de pêche en dehors des périodes de pics migratoires.

Sur l'étendue du litige :

2. Les dispositions de l'article 1er de l'arrêté attaqué fixant les dates de pêche de l'anguille jaune pour l'unité de gestion de l'anguille (UGA) " Bretagne " ont été suspendues le 7 avril 2023 par le juge des référés du Conseil d'Etat, soit avant la date d'ouverture de la pêche qu'elles prévoyaient, puis remplacées, le jour même, par les dispositions différentes d'un arrêté du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d'anguille jaune en domaine maritime en Atlantique, devenu définitif du fait du rejet, par la décision de ce jour du Conseil d'Etat, statuant au contentieux n° 474682, des conclusions de l'association DMA tendant à l'annulation de cet arrêté. Par suite, les dispositions de l'arrêté ici en litige relatives à la pêche de l'anguille jaune dans l'UGA " Bretagne " ayant été abrogées avant d'avoir produit d'effet, les conclusions tendant à leur annulation sont devenues sans objet et il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur le cadre juridique applicable :

3. Aux termes l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, (...) applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable, (...) met en œuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum (...) ".

4. D'une part, le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable de cette espèce migratrice catadrome, se reproduisant dans la mer des Sargasses et grandissant dans les eaux douces européennes où elle passe en une dizaine d'années par trois stades de développement (anguille de moins de 12 centimètres également appelée civelle, anguille jaune et anguille argentée). Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) / 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) / 8. Le plan de gestion de l'anguille comprend, de manière non limitative, les mesures suivantes : / (...) / - la réduction de l'activité de pêche commerciale. / (...) / 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en œuvre du plan de gestion (...) " et aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en œuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, lequel énonce plusieurs objectifs intermédiaires (dits " de gestion ") dont, en ce qui concerne les trois stades d'évolution de l'anguille, pour les années 2015 et suivantes, une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.

5. D'autre part, le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de pêche de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union, et établissant, pour 2023 et 2024, de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d'eau profonde, prévoit, en son article 13, l'interdiction des activités de pêche commerciales de l'anguille d'Europe (Anguilla anguilla), en tant qu'espèce cible ou en tant que prise accessoire, à tous les stades de développement, pendant une période d'au moins six mois et précise, à ses paragraphes 2., 3. et 4., les règles selon lesquelles les Etats membres déterminent une ou plusieurs périodes de fermeture. En particulier, il dispose au a) du 2. que cette ou ces périodes de fermeture " peuvent varier au sein d'un État membre d'une zone de pêche à l'autre afin de tenir compte du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille à ses différents stades de développement " et au d) de ce même 2. qu'elles doivent être " cohérentes avec les objectifs de conservation fixés par le règlement (CE) n° 1100/2007, les plans nationaux de gestion existants et les schémas de migration temporelle de l'anguille d'Europe au stade de développement respectif dans l'État membre concerné ". Ainsi qu'il ressort des 16ème et 17ème considérants du règlement, cette période de fermeture prolongée est prescrite dans l'objectif de permettre, tout en poursuivant les mesures de repeuplement, de contribuer à la reconstitution du stock d'anguilles, et l'établissement de périodes de fermeture différentes, notamment pour les différentes zones de pêche d'un État membre et pour différentes pêcheries au sein de ces zones de pêche, doit permettre de tenir compte notamment de facteurs environnementaux et biologiques de nature à influencer la période de migration de l'anguille.

6. Au titre des mesures prises pour l'application des règlements précités et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, ont été adoptées des dispositions réglementaires, codifiées aux articles R. 436-65-1 à R. 436-65-9 du code de l'environnement et R. 922-45 à R. 922-50 du code rural et de la pêche maritime, applicables respectivement à la pêche de l'anguille en amont et en aval des limites transversales de la mer, qui interdisent la pêche de l'anguille en dehors des UGA et limitent cette pêche, à chacun des stades de développement de l'anguille, à certaines UGA et pendant des périodes fixées, pour chacune d'elles, par arrêté ministériel.

7. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent qu'il appartient aux ministres compétents, lorsqu'ils définissent les périodes de pêche de l'anguille, de définir pour chaque stade de développement et chaque UGA concernée une ou des périodes qui soient de nature, compte tenu de l'ensemble des mesures concourant à la protection de l'espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en œuvre le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises, à permettre d'atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche. Si les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation quant à la combinaison des mesures à retenir pour atteindre ces objectifs, il résulte du règlement du 30 janvier 2023 qu'en ce qui concerne la fixation des périodes de pêche, ils n'exercent cette marge d'appréciation que dans les limites prescrites par l'article 13 de ce règlement et doivent, afin de ne pas priver d'effet utile la période de fermeture prolongée prévue à cet article, tenir compte, dans une perspective de reconstitution des stocks, du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille à ses différents stades de développement.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

8. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers que le projet d'arrêté, mis à disposition par voie électronique, a fait l'objet d'une consultation publique qui a été ouverte du 13 février au 5 mars 2023 inclus, soit 21 jours. Par suite, l'AFEPP n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué n'aurait pas été soumis à la participation du public pendant l'entier délai exigé par les dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

9. En second lieu, l'AFEPP soutient que l'arrêté contesté est entaché d'incompétence, faute d'avoir également été signé par le ministre chargé de la pêche en eau douce.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 6, les dispositions des articles R. 436-65-1 à R. 436-65-9 du code de l'environnement et celles des articles R. 922-45 à R. 922-50 du code rural et de la pêche maritime régissent la pêche de l'anguille, respectivement, en amont et en aval des limites transversales de la mer. Les dispositions des articles R. 436-65-3, R. 436-65-4 et R. 436-65-5 du code de l'environnement prévoient que, lorsque sont concernées les eaux comprises entre la limite de salure des eaux et les limites transversales de la mer, les périodes de pêches de l'anguille, pour chacun de ses stades de développement, sont fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de la pêche en eau douce et du ministre chargé de la pêche maritime. Lorsque sont concernées les eaux situées en aval des limites transversales de la mer, les articles R. 922-48 et R. 922-50 du code rural et de la pêche maritime prévoient que les périodes de pêche de l'anguille de moins de 12 centimètre et de l'anguille argentée sont fixées par arrêté du seul ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine, tandis que l'article R. 922-49 du même code renvoie, pour la fixation des périodes de pêche de l'anguille jaune, à un arrêté conjoint du ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine et du ministre chargé de la pêche en eau douce.

11. L'AFEPP est dès lors fondée à soutenir que le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, dont les attributions définies par le décret du 29 juillet 2022 n'incluaient pas la pêche en eau douce, n'était pas compétent pour déterminer seul, d'une part, à l'article 1er de l'arrêté attaqué, les dates d'ouverture de la pêche de l'anguille jaune, pour les différentes UGA, en aval de la limite de salure des eaux et, d'autre part, aux articles 2 et 3 du même arrêté, les dates de pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres et de l'anguille argentée, pour les différentes UGA, dans les eaux comprises entre la limite de salure des eaux et les limites transversales de la mer. Le moyen tiré de l'incompétence de ce secrétaire d'Etat doit en revanche être écarté en ce qui concerne les dates de pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres et de l'anguille argentée en aval des limites transversales de la mer, dans les aires maritimes des UGA, la seule circonstance que l'anguille est un poisson amphihalin ne suffisant pas à imposer que l'arrêté soit également signé par le ministre chargé de la pêche en eau douce.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la conformité au droit de l'Union européenne :

12. En premier lieu, le 2. de l'article 13 du règlement du 30 janvier 2023, mentionné au point 5, impose à chaque Etat membre de fixer des périodes de fermeture de la pêche commerciale de l'anguille d'Europe d'au moins six mois, consécutifs ou non consécutifs, respectant des prescriptions précisées aux 3. et 4. du même article. Ainsi, dans les sous-zones CIEM 7 et 8, et en ce qui concerne la civelle, le b) du 4. impose notamment une période de fermeture déterminée de trois mois entre le 1er janvier et le 31 mars 2024, à laquelle il ne peut être dérogé que dans la limite d'un mois et à la condition que l'Etat détermine à un autre moment de l'année une période de fermeture supplémentaire d'un mois et, en outre, également dans la limite d'un mois, si la pêche est exclusivement destinée au repeuplement et à la même condition de détermination d'une période de fermeture supplémentaire d'un mois. Dès lors, en tant qu'il autorise, dans les UGA " Artois-Picardie ", " Seine-Normandie ", " Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise " et " Garonne-Dordogne-Charente-Gironde ", la pêche de la civelle au cours de la période du 1er janvier au 31 mars 2024, soit pour une durée de trois mois allant au-delà de ces possibilités de dérogation, l'article 3 de l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article 13 du règlement du 30 janvier 2023.

13. En second lieu, les associations requérantes soutiennent que les périodes de fermeture fixées par l'arrêté contesté, lorsqu'elles ne méconnaissent pas les prescriptions des 3. et 4. de l'article 13 du règlement du 30 janvier 2023, méconnaissent à tout le moins les dispositions des a) et d) du 2. du même article en ce qu'elles ne sont cohérentes ni avec les objectifs de conservation fixés par le règlement du 18 septembre 2007, ni avec le plan national de gestion français, et ne tiennent pas compte du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille, dès lors que, d'une part, ces périodes ne sont pas assez longues et que, d'autre part, s'agissant de l'anguille argentée, l'ajout de nouvelles périodes de pêche pendant ses pics de migration est susceptible d'augmenter significativement les captures.

14. Il ressort des pièces des dossiers que par un avis du 30 mai 2022, auquel le 14ème considérant du règlement du 30 janvier 2023 se réfère pour motiver la période de fermeture prolongée, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) a relevé que, malgré les efforts déployés par les États membres, aucun progrès global n'avait été accompli pour atteindre l'objectif de 40 % d'échappement de la biomasse d'anguilles argentées dans l'ensemble de l'Union, comme l'exige l'article 2, paragraphe 4, du règlement du 18 septembre 2007, et qu'aucune tendance claire n'avait été observée en ce qui concerne la mortalité. Le 3 novembre 2022, le CIEM a réitéré pour 2023 son avis préconisant des captures nulles pour l'anguille dans tous les habitats.

15. Toutefois, l'objectif énoncé dans le règlement du 18 septembre 2007 constitue un objectif de long terme, dont l'atteinte dépend d'un ensemble de mesures qui ne se limite pas à la définition des zones et périodes de pêche professionnelle de l'anguille en aval de la limite de salure des eaux à chacun de ses stades de développement, et inclut également la règlementation de la pêche de loisir et en eau douce, la fixation de quotas pour la pêche professionnelle de la civelle et diverses mesures destinées à réduire les autres facteurs de mortalité anthropique de l'anguille ainsi qu'à favoriser le repeuplement.

16. En ce qui concerne spécifiquement la contribution de la règlementation de la pêche professionnelle de l'anguille à l'atteinte de l'objectif énoncé dans le règlement, le plan de gestion de l'anguille en France fixe, ainsi qu'il a été dit plus haut, un objectif intermédiaire (dit " de gestion ") pour la mortalité par pêche à chacun des trois stades de développement, à savoir à compter de 2015 une réduction de 60 % du taux d'exploitation, correspondant au rapport entre volume des captures et indice de recrutement, par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.

17. D'une part, s'agissant de la pêche de la civelle, les associations requérantes se bornent à faire grief à l'arrêté contesté de fixer la période de fermeture à la durée minimale de six mois prescrite par le règlement du 30 janvier 2023, sans démontrer, ni même soutenir, que retenir une telle durée ne contribuerait pas suffisamment à la réduction de la mortalité ou y ferait obstacle.

18. D'autre part, s'agissant de la pêche de l'anguille argentée, il ne ressort pas des pièces des dossiers que l'allongement des périodes de pêche par rapport à celles que prévoyait l'arrêté du 5 février 2016 relatif aux périodes de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille jaune et d'anguille argentée, consistant en l'ouverture de celle-ci au mois de mars pour l'UGA " Rhône-Méditerranée " (Occitanie et Provence, Alpes Côte d'Azur) et de la mi-février à la fin mars pour l'UGA " Corse ", impliquerait une augmentation des captures de nature à empêcher l'atteinte des objectifs poursuivis, ou aboutirait à faire coïncider les périodes d'ouverture avec les périodes de migration. Les associations requérantes se prévalent certes d'un rapport d'un groupe de travail du CIEM, réuni en février 2020, identifiant des périodes de migration plus intense de l'anguille argentée, qu'il dénomme " clusters ", du mois de novembre au mois de février avec un pic en décembre. Toutefois, outre que ce constat ne procède que d'une étude des captures en Corse, effectuée sur la base de données disponibles qualifiées de " limitées " portant sur les années 2000 à 2019, non corroborée par des données de surveillance du stock (" monitoring "), et que le CIEM avertit que la portée des analyses opérées s'avère limitée compte tenu de l'influence que peut avoir sur le moment de la migration un large éventail de facteurs environnementaux, les nouvelles périodes d'ouverture contestées correspondent, au regard des constats du rapport lui-même, à une période de chute des captures par rapport au pic des " clusters " dans la seconde quinzaine de février puis à une période de très faibles captures au mois de mars. En outre, le ministre fait valoir que la période de fermeture de la pêche au cours du mois de septembre, dont il n'est pas contesté qu'il correspond à une période de migration, a été maintenue par l'arrêté attaqué pour l'UGA " Rhône-Méditerranée " et allongée pour l'UGA " Corse ".

19. Dans ces conditions, en l'état des données disponibles, dont il ne ressort pas non plus qu'une insuffisance des autres mesures de protection mentionnées au point 15 rendrait impossible l'atteinte des objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007, il n'est pas établi que l'arrêté contesté déterminerait des dates de pêche qui ne seraient pas de nature à permettre l'atteinte de ces objectifs, et ne tiendraient pas compte du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille.

En ce qui concerne les autres moyens :

20. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 18, l'article 2 de l'arrêté contesté a pour effet, dans les UGA " Corse " et " Rhône-Méditerranée ", d'allonger d'un mois la durée totale des périodes d'ouverture de la pêche de l'anguille argentée par rapport à celle antérieurement prévue par l'arrêté du 5 février 2016. Cette circonstance n'est toutefois, à elle seule, pas suffisante pour établir qu'il résulterait de l'arrêté attaqué une moindre protection de l'espèce, alors que le ministre fait par ailleurs valoir, sans être contesté, que les périodes d'ouverture de pêche prévues par l'arrêté attaqué sont, prises dans leur ensemble, plus restrictives que celles fixées antérieurement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, dans cette mesure, du principe de non-régression prévu au 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

21. En deuxième lieu, l'AFEPP soutient, de manière plus générale, que l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il autorise la pêche de l'anguille alors que, dans son avis du 3 novembre 2022, le CIEM estime qu'aucune capture d'anguille ne devrait être autorisée en 2023. Toutefois, compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus et dès lors qu'il n'est pas établi que les mesures adoptées seraient insuffisantes pour prévenir le danger d'extinction auquel fait face l'anguille européenne en tant qu'espèce, un tel moyen ne peut qu'être également écarté.

22. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 436-11 du code de l'environnement : " En ce qui concerne les cours d'eau et canaux affluant à la mer, des décrets en Conseil d'Etat règlent, pour la pêche en eau douce et pour la pêche maritime, d'une manière uniforme, les conditions dans lesquelles sont fixées pour les espèces vivant alternativement dans les eaux douces et dans les eaux salées : / 1° Les époques pendant lesquelles la pêche de ces espèces de poissons est interdite ; / (...). ". L'article R. 436-44 du même code prévoit que : " Par exception à l'article L. 431-1 et en application de l'article L. 436-11, la présente section s'applique aux cours d'eau et aux canaux affluant à la mer, tant en amont de la limite de salure des eaux que dans leurs parties comprises entre cette limite et les limites transversales de la mer, à leurs affluents et sous-affluents ainsi qu'aux plans d'eau avec lesquels ils communiquent, dans la mesure où s'y trouvent des poissons migrateurs appartenant aux espèces suivantes : / (...) / 6° Anguille (Anguilla anguilla) ; / (...) ".

23. L'AFEPP fait valoir qu'il résulte de l'intervention de l'arrêté contesté une discordance entre les dates de pêche qu'il fixe en aval de la limite de salure des eaux et celles fixées pour la pêche en eau douce, qui demeurent régies par les arrêtés des 28 octobre 2013, relatif aux dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres, et du 5 février 2016, mentionné au point 18, et par suite une méconnaissance des dispositions des articles L. 436-11 et R. 436-44 du code de l'environnement. Toutefois, si ces dispositions impliquent la définition d'un cadre commun pour la détermination des règles concernant les poissons amphihalins, que ces dernières concernent les eaux salées ou les eaux douces, elles n'imposent pas, par elles-mêmes, que soient définies des dates d'ouverture de la pêche dans les eaux salées identiques à celles de la pêche dans les eaux douces.

24. Il résulte de tout ce qui précède que l'AFEPP et l'association DMA sont seulement fondées à demander l'annulation, en premier lieu, de l'article 1er de l'arrêté qu'elles attaquent, dans la mesure où le litige conserve sur ce point un objet, en deuxième lieu, de ses articles 2 et 3 en tant qu'ils s'appliquent dans les parties des cours d'eau et canaux comprises entre la limite de salure des eaux et les limites transversales de la mer et, en troisième lieu, de son article 3 en tant qu'il autorise, dans les UGA " Artois-Picardie ", " Seine-Normandie ", " Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise " et " Garonne-Dordogne-Charente-Gironde ", la pêche de la civelle au cours de la période du 1er janvier au 31 mars 2024, et ce sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leurs requêtes relatifs à ces dispositions.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

25. Les dates d'ouverture de la pêche de l'anguille jaune en aval de la limite de salure des eaux prévues par l'article 1er de l'arrêté contesté ont été remplacées et modifiées par deux arrêtés du 7 avril 2023 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Les dates d'ouverture de la pêche de la civelle prévues par l'article 3 de l'arrêté contesté ont été remplacées et modifiées par un arrêté du 19 octobre 2023 des mêmes autorités. Enfin, l'article 2 de l'arrêté ne détermine les dates d'ouverture et de fermeture de la pêche à l'anguille argentée que pour la période courant jusqu'au 31 mars 2024. La présente décision n'impliquant dès lors aucune mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction présentées par l'association DMA ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation de l'article 1er de l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, en tant qu'il fixe les dates de pêche de l'anguille jaune dans l'UGA " Bretagne ".

Article 2 : L'article 1er de l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, est annulé en tant qu'il fixe les dates de pêche de l'anguille jaune, à l'exception de celles prévues dans l'UGA " Bretagne ".

Article 3 : Les articles 2 et 3 de l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, sont annulés en tant qu'ils fixent des dates d'ouverture de la pêche pour les parties des cours d'eau et canaux comprises entre la limite de salure des eaux et les limites transversales de la mer.

Article 4 : L'article 3 de l'arrêté du 9 mars 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, est annulé en tant qu'il autorise, dans les UGA " Artois-Picardie ", " Seine-Normandie ", " Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise " et " Garonne-Dordogne-Charente-Gironde ", la pêche de la civelle au cours de la période du 1er janvier au 31 mars 2024.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'Association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP), à l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472199
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2024, n° 472199
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472199.20241218
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