Vu la procédure suivante :
La commune de Puget-Ville a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société Idex Energies à lui verser des provisions, d'un montant respectif toutes taxes comprises de 49 569 euros, 30 921 euros et 437 075,10 euros au titre des travaux de reprise de l'étanchéité d'un silo, des travaux de remise en marche de la chaudière à bois et de pénalités de retard prévues par le marché public qu'elle avait conclu avec cette société. Par une ordonnance n° 1903796 du 24 août 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 23MA02332 du 13 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la commune de Puget-Ville, annulé cette ordonnance, puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté la demande de la commune ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 novembre et 12 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Puget-Ville demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) statuant en référé, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Idex Energies la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Puget-Ville, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Idex Energies, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la société Edeis et à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la société Qualiconsult ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat conclu le 5 novembre 2012, la commune de Puget-Ville a confié à la société Idex Energies les trois lots d'un marché public de travaux ayant pour objet la construction d'un réseau de chaleur, sous maîtrise d'œuvre de la société Lavalin, devenue Edeis. Les travaux des trois lots ont fait l'objet, le 12 juillet 2013, de décisions de réception prononcées à la fois " sous " réserve de l'exécution de certaines prestations et " avec " réserves. Le 15 octobre 2019, la commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de la société Idex Energies à lui verser, à titre de provision, trois sommes de, respectivement, 49 569 euros, 30 921 euros et 437 075,10 euros, au titre du coût, toutes taxes comprises, des travaux de reprise de l'étanchéité du silo, des travaux de reprise de la chaudière à bois et de pénalités de retard. Ce juge a, par une ordonnance du 24 août 2023, rejeté ces demandes. Sur appel de la commune de Puget-Ville, la cour administrative de Marseille a, par un arrêt du 13 novembre 2023, annulé cette ordonnance et, statuant par la voie de l'évocation, rejeté sa demande. Eu égard aux moyens qu'il soulève, le pourvoi de la commune de Puget-Ville doit être regardé comme dirigé contre cet arrêt en tant seulement qu'il a rejeté sa demande de première instance et le surplus de ses conclusions d'appel.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. D'une part, aux termes des articles 41.3 à 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 visé ci-dessus, auquel renvoie l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 41.3. Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / (...) 41.4. Dans le cas où certaines épreuves doivent, conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché, être exécutées après une durée déterminée de service des ouvrages ou certaines périodes de l'année, la réception ne peut être prononcée que sous réserve de l'exécution concluante de ces épreuves. Si de telles épreuves, exécutées pendant le délai de garantie défini à l'article 44.1, ne sont pas concluantes, la réception est rapportée. / 41.5. S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41.2. / 41.6. Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44.1. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse. "
3. D'autre part, aux termes de l'article 44.1 du même cahier : " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41.4, le titulaire est tenu à une obligation dite obligation de parfait achèvement, au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; / c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs, dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché ; / d) Remettre au maître d'œuvre les plans des ouvrages conformes à l'exécution dans les conditions précisées à l'article 40. Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. / L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. / A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. / (...) ".
4. La garantie de parfait achèvement s'étend à la reprise d'une part des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception, d'autre part de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception.
5. Il résulte de ce qui est dit aux points 2 à 4 que, sauf stipulations contraires du contrat, la réception des travaux, même lorsqu'elle est prononcée avec réserves en application des stipulations de l'article 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux ou sous réserve de l'exécution concluante d'épreuves ou de l'exécution de prestations en application des stipulations des articles 41.4 ou 41.5 du même cahier, fait courir le délai de garantie de parfait achèvement à compter de la date d'effet de cette réception telle que prévue par l'article 41.3 du même cahier.
Sur le pourvoi :
6. En premier lieu, il résulte, de ce qui est dit au point 5 que la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le délai de garantie de parfait achèvement avait commencé à courir à compter de la date d'effet de la réception, alors même que celle-ci avait été, d'une part, assortie de réserves et, d'autre part, prononcée sous réserve de l'exécution concluante d'épreuves et de l'exécution d'autres prestations.
7. Il en résulte également qu'après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le désordre affectant l'étanchéité du silo n'avait été ni réservé au moment de la réception, ni signalé dans le délai d'un an de la garantie de parfait achèvement, la cour a pu juger sans erreur de droit que l'obligation dont se prévalait la commune au titre des travaux de reprise liés à ce désordre ne pouvait être regardée comme non sérieusement contestable, la circonstance que le solde du décompte définitif n'avait pas encore été établi étant dépourvue d'incidence à cet égard.
8. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la commune de Puget-Ville, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en ne recherchant pas d'office si les désordres qu'elle avait invoqués entraient dans le champ d'application de la garantie décennale des constructeurs.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 visé ci-dessus, auquel renvoie l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 20.1. En cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, qu'il s'agisse de l'ensemble du marché ou d'une tranche pour laquelle un délai d'exécution partiel ou une date limite a été fixé, il est appliqué une pénalité journalière de 1/3 000 du montant hors taxes de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande. Ce montant est celui qui résulte des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus ; il est évalué à partir des prix initiaux du marché hors TVA définis à l'article 13.1.1. / 20.1.1. Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. (...) ". Aux termes de l'article 4.3.1 du cahier des clauses administratives particulières commun aux trois lots du marché en litige, relatif aux pénalités de retard dans l'exécution des travaux : " Les stipulations de l'article 20.1 du CCAG sont seules applicables. / (...) En plus des pénalités journalières définies ci-dessus, le titulaire subit une pénalité forfaitaire de 1 / 250e du montant en prix de base du marché, en cas de non-respect de la date limite d'achèvement ou du délai d'exécution des travaux ".
10. Sauf stipulation contraire du contrat, les pénalités prévues par les stipulations de l'article 20.1 du cahier des clauses administratives générales citées au point 9, qui ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus, ne peuvent être mises à la charge du titulaire pour un retard pris dans la levée des réserves, lequel intervient nécessairement après la date fixée pour l'achèvement des travaux par la décision de réception en application de l'article 41.3 du même cahier. Ce motif, qui répond aux moyens invoqués devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait nouvelle, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué pour rejeter la demande de provision de la commune de Puget-Ville au titre des pénalités de réclamées au titre du retard dans la levée des réserves.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Puget-Ville la somme de 3 000 euros à verser à la société Idex Energies au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Puget-Ville au même titre, ainsi qu'à celles des sociétés Edeis et Qualiconsult qui n'ont pas la qualité de partie dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Puget-Ville est rejeté.
Article 2 : La commune de Puget-Ville versera à la société Idex Energies une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par les sociétés Edeis et Qualiconsult au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Puget-Ville et à la société Idex Energies.
Copie en sera adressée à la société Edeis et à la société Qualiconsult.