Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 499486, par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Les amis du virage sud et la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 décembre 2024 du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement des supporters du club de football de l'Olympique de Marseille lors de la rencontre du dimanche 8 décembre 2024 à 20 heures 45 avec l'association sportive de Saint-Etienne ;
2°) d'ordonner toute mesure de nature à préserver les libertés fondamentales des supporters visiteurs ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave à la situation des supporters de l'Olympique de Marseille à une échéance très proche du match à intervenir et alors que les intéressés doivent prévoir et réaliser leurs déplacements ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'association ;
- le risque de troubles graves à l'ordre public n'est pas avéré dès lors que, en premier lieu, il n'existe aucune animosité particulière entre les supporters des deux clubs, en deuxième lieu, il n'y a pas d'élément permettant d'attester d'un risque particulier lié au match en cause, en troisième lieu, le contexte de mobilisation des forces de l'ordre n'est pas de nature, par lui-même, à empêcher le recours de la force publique pour sécuriser le déplacement des supporters marseillais et, en dernier lieu, la mesure est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, qui aurait pu être satisfait par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Sous le n° 499510, par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Les amis du virage sud et la société Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à leur demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soulèvent les mêmes moyens que sous le n° 499486, en tant qu'ils se rapportent à l'arrêté préfectoral du 21 novembre 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Les amis du virage sud et autre et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 décembre 2024, à 14 heures 30 :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Les amis du virage sud et de la société Olympique de Marseille ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".
3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.
4. Il résulte de l'instruction que le 8 décembre 2024 à 20h45, l'équipe de football de Saint-Etienne doit recevoir au stade Geoffroy Guichard, à Saint-Etienne, le club de l'Olympique de Marseille. Par un arrêté du 21 novembre 2024, le préfet de la Loire a notamment interdit, à l'occasion de ce match, le stationnement, la circulation sur la voie publique et l'accès au stage Geoffroy Guichard et en centre-ville de Saint-Etienne pour les supporters de l'Olympique de Marseille. Par un arrêté du 4 décembre 2024 publié au Journal officiel le 6 décembre, le ministre de l'intérieur a interdit le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, des mêmes personnes entre les communes du département des Bouches-du-Rhône et la commune de Saint-Etienne, le 8 décembre de zéro heure à minuit.
5. Par une ordonnance du 6 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté le recours de l'Association des amis du virage sud et de la société Olympique de Marseille tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de la Loire. Par une première requête, ces dernières interjettent appel de cette ordonnance. Par une seconde requête, elles demandent, sur le même fondement, au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes qui présentent à juger les mêmes questions.
6. Pour justifier l'interdiction faite, d'une part, par le ministre de l'intérieur à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'Olympique de Marseille ou se comportant comme tel de se déplacer entre les communes du département des Bouches-du-Rhône et la commune de Saint-Etienne, le 8 décembre de zéro heure à minuit, d'autre part, par le préfet de la Loire du 8 décembre à midi au 9 décembre à 6 heures, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du même club ou se comportant comme tel d'accéder au stade Geoffroy Guichard et de circuler ou de stationner sur la voie publique dans un périmètre délimité autour de celui-ci, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que de nombreux événements violents ont eu lieu, au cours des derniers mois, dans et aux abords de ce stade. Il soutient, en outre, qu'une animosité particulière entre les supporters des deux clubs est avérée et que ceux-ci se sont livrés, dans la période récente, à des agissements de nature à troubler l'ordre public, ce qui fait naître un risque réel et sérieux d'affrontements à l'occasion de la rencontre de football devant opposer les deux équipes à Saint-Etienne le 8 décembre 2024, classée au niveau 4 sur 5 par les services de la division nationale de lutte contre le hooliganisme. Enfin, il fait état du contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre dans cette commune, ainsi qu'à Paris et à Lyon.
7. Il résulte de l'instruction, notamment de la note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme versée au dossier par le ministre de l'intérieur, dont les éléments factuels ne sont pas sérieusement contredits par les requérantes, d'une part, que l'animosité entre les supporters des deux clubs en compétition est attestée par plusieurs confrontations violentes entre eux, en 2020, 2021 et 2022. Plus récemment, le ministre fait état d'un grave incident les ayant opposés sur l'autoroute A72 à proximité de Saint-Etienne le 2 mars dernier. Il en résulte, d'autre part, que des supporters de l'Olympique de Marseille ont méconnu, à de nombreuses reprises durant les trois dernières années, les dispositions des arrêtés préfectoraux encadrant les conditions de déroulement de compétitions, n'ont pas respecté les dispositifs de sécurité prévus par les organisateurs des compétitions, ont dégradé des biens et s'en sont pris aux forces de l'ordre ainsi qu'à des supporters des clubs adverses. Ces comportements violents ont en particulier été constatés lors de matches à Montpellier le 20 octobre dernier, à Toulouse le 21 avril 2024 et à Ajaccio le 3 juin 2023. Enfin, il résulte de l'instruction que les forces de l'ordre seront mobilisées en grand nombre le 8 décembre 2024 par la sécurisation de la cérémonie de la réouverture de Notre-Dame de Paris en présence de nombreux chefs d'Etat, par la " fête des Lumières " à Lyon ainsi que, localement, par le marché de Noël de Saint-Etienne.
8. Dans ces conditions, quelque regrettable que soit le caractère tardif de l'édiction et de la publication de l'arrêté ministériel contesté, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que les décisions litigieuses seraient entachées d'une illégalité manifeste justifiant le prononcé des mesures demandées et, en particulier, compte tenu notamment des tensions sur les effectifs de police rappelées au point 7 et de la difficulté avérée à faire respecter par les supporters des deux clubs les mesures d'encadrement édictées à l'occasion de précédentes rencontres, que des mesures moins contraignantes que le juge des référés pourrait, dans le cadre temporel de son office, le cas échéant ordonner seraient, dans les circonstances de l'espèce, suffisantes pour prévenir les troubles graves à l'ordre public que la présence de supporters se revendiquant de l'Olympique de Marseille ou de personnes se comportant comme tel est susceptible d'occasionner.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Les amis du virage sud et autre sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Les amis du virage sud, première requérante dénommée, et au ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 7 décembre 2024
Signé : Olivier JAPIOT