Vu la procédure suivante :
La société Eolienne des Tulipes, à l'appui de sa demande tendant à faire condamner l'Etat, solidairement avec la société Electricité de France, à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'application à son égard des dispositions de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 puis de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, a produit un mémoire, enregistré le 5 août 2024 au greffe du tribunal administratif d'Amiens, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2304456 du 12 septembre 2024, enregistrée le 17 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la
3ème chambre de ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Eolienne des Tulipes, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du
7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du
29 décembre 2023 de finances pour 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 ;
- la décision du Conseil d'Etat n° 495164 du 23 octobre 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Eolienne des Tulipes et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Electricité de France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 230 de la loi de finances pour 2024 : " Le présent article s'applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l'énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative. / A compter du 1er janvier 2022, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite ".
3. Par ces dispositions applicables à compter du 1er janvier 2022, le législateur a modifié les contrats en cours conclus par les producteurs d'énergie de source renouvelable et Electricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, en application de l'article L. 311-12 du code de l'énergie, soit sur demande, en application de l'article L. 314-18 du même code, et prévoyant le versement par Electricité de France d'un complément de rémunération lorsque le prix du marché auquel les producteurs vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé, selon le cas, soit par le contrat soit par arrêté, et, à l'inverse, le reversement par les producteurs, lorsque ce tarif de référence est inférieur au prix du marché, du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, dans la limite du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération. Désormais, en application des dispositions contestées, le reversement dû par les producteurs à Electricité de France à raison d'un prix de marché supérieur au tarif de référence est intégral et n'est plus limité au montant total des aides perçues depuis le début du contrat.
4. Les dispositions de l'article 230 de la loi de finances pour 2024 sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, au droit de propriété garanti par ses articles 2 et 17, ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi, garanti par son article 6, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question mettant en cause la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Eolienne des Tulipes, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la société Electricité de France.
Copie en sera adressée au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif d'Amiens.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2024 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 6 décembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :