Vu la procédure suivante :
M. C... A... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ainsi que des pénalités et intérêts de retards correspondants, auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2012. Par un jugement n° 1925781 du 30 juin 2021, ce tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n°21PA04416 du 22 septembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, accordé à M. et Mme A... la décharge de l'intégralité des impositions en litige et condamné l'Etat à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un pourvoi enregistré le 8 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Londres le 19 juin 2008 ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... A..., père de M. C... A..., s'était vu attribuer entre le 2 janvier 2002 et le 3 janvier 2011, des options sur titres de la société américaine Otis United Technologies Corporation, société mère de la société Otis France dont il était le président directeur général. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a, notamment, estimé que la quote-part revenant à M. B... A... du gain résultant de la levée de ces options postérieurement au décès de son père, survenu le 11 novembre 2011, suivi de leur cession, aurait dû être incluse dans les revenus déclarés par le foyer fiscal qu'il formait avec son épouse au titre de l'année 2012, au cours de laquelle il était résident du Royaume-Uni. Les intéressés ont en conséquence été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 septembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du 30 juin 2021 du tribunal administratif de Paris, a accordé à M. et Mme A... la décharge de l'intégralité des impositions, majorations et intérêts de retard en litige.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 225-183 du code de commerce, relatif aux options de souscription ou d'achat d'actions : " En cas de décès du bénéficiaire, ses héritiers peuvent exercer l'option dans un délai de six mois à compter du décès ". Il résulte de ces dispositions que les héritiers du bénéficiaire des options de souscription ou d'achat d'actions sont présumés, lorsque l'option a été exercée postérieurement au décès de celui-ci, avoir appréhendé, à concurrence de leurs droits dans la succession, l'avantage né de l'exercice de ces options ainsi que, le cas échéant, le gain de cession des titres, et que ces revenus sont taxables entre leurs mains selon les règles qui auraient été applicables à ce bénéficiaire.
3. En deuxième lieu, en application de l'article 80 bis du code général des impôts, l'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue, pour le bénéficiaire, un complément de salaire, imposable selon les dispositions combinées des articles 163 bis C et 200 A du code général des impôts.
4. En troisième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 de de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 susvisée : " Pour l'application de la présente Convention à un moment donné par un Etat contractant, tout terme ou expression qui n'y est pas défini a, sauf si le contexte exige une interprétation différente, le sens que lui attribue, à ce moment, le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la présente Convention, le sens attribué à ce terme ou expression par le droit fiscal de cet Etat prévalant sur le sens que lui attribuent les autres branches du droit de cet Etat ". Aux termes de son article 15 : " 1.... Les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans le premier Etat si : / a) le bénéficiaire séjourne dans l'autre Etat pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de toute période de douze mois consécutifs ; et / b) les rémunérations sont payées par un employeur, ou pour le compte d'un employeur, qui n'est pas un résident de l'autre Etat ; et / c) la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable que l'employeur a dans l'autre Etat ".
5. Le gain résultant de la levée d'option exercée, dans les conditions prévues à l'article L. 225-183 du code de commerce, par l'héritier du bénéficiaire en cas de décès de celui-ci étant, en application des règles rappelées aux points 2 et 3 ci-dessus, qualifié par la loi fiscale française de complément de salaire, ce gain revêt cette même qualification au regard de la convention fiscale franco-britannique, dans le silence de celle-ci, par l'effet des principes d'interprétation énoncés à son article 3. Il résulte en outre des stipulations citées ci-dessus du 1 de l'article 15 de cette convention qu'un tel gain, perçu par un héritier résident fiscal du Royaume-Uni, est imposable en France lorsque les options ont été attribuées à leur bénéficiaire en rémunération d'une activité exercée sur le territoire français, sauf à ce que soient réunies les trois conditions mentionnées au 2 du même article.
6. Pour juger que les gains de levée d'option perçus par M. C... A... dans le cadre de la succession de son père n'étaient taxables qu'au Royaume-Uni, la cour administrative d'appel de Paris s'est fondée sur le motif qu'ils constituaient soit un gain en capital, imposable au Royaume-Uni en application de l'article 14 de la convention, soit un élément de salaire perçu par un résident britannique, et donc également imposable dans ce pays en application de l'article 15 de la même convention. En statuant ainsi, sans rechercher si les gains de levée d'options en cause, qui ne sauraient se confondre avec le gain né de la cession des titres ainsi acquis, seul susceptible de relever de l'article 14 de la convention, rémunéraient une activité exercée sur le territoire français par M. B... A..., père de M. C... A..., et avaient donc le caractère d'un complément de salaire imposable en France, la cour a commis une erreur de droit. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'arrêt de la cour doit donc être annulé.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. En premier lieu, si M. C... A... soutient que la procédure d'imposition aurait été conduite en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales faute pour l'administration de lui avoir notifié la proposition de rectification à son adresse, ce moyen doit être écarté par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris aux points 3 et 4 de son jugement.
9. En deuxième lieu, si M. C... A... soutient que l'administration ne dispose pas d'éléments permettant de lui attribuer nominativement une partie du gain de levée des options dont son père avait bénéficié, il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 2 que celui-ci est présumé avoir appréhendé, à concurrence de ses droits dans la succession de son père, l'avantage né de l'exercice de ces options.
10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les options en litige ont été attribuées à M. B... A..., résident fiscal français, en rémunération de ses fonctions de président directeur général de la société Otis France, filiale de la société américaine Otis United Technologies Corporation, et qu'elles rémunéraient ainsi une activité exercée en France. Si M. C... A... et Mme D... A... font valoir que M. B... A... était membre du Comité exécutif monde du groupe Otis, qu'il avait la charge d'un périmètre d'activité s'étendant à l'Europe du Nord, l'Europe de l'Est et l'Afrique, et qu'il effectuait à ce titre de nombreux déplacements dans ces zones et en Amérique du Nord, cette circonstance ne saurait conduire, à elle seule, à considérer que l'activité de M. B... A... n'était pas exercée en France. Il ne résulte en outre pas de l'instruction, ni n'est au demeurant allégué, que les trois conditions prévues au 2 de l'article 15 de la convention fiscale franco-britannique seraient réunies. Par suite, en application des règles énoncées au point 5, les gains de levée d'options réalisés par M. C... A..., alors résident fiscal du Royaume-Uni, en qualité d'héritier de M. B... A... constituaient pour lui un complément de salaire, imposable en France selon les dispositions combinées des articles 163 bis C et 200 A du code général des impôts.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... A... et Mme D... A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions en litige.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à leur titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 22 septembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'appel de M. et Mme A... et leurs conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, et à M. C... A... et Mme D... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 6 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle