Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 20 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 1er octobre 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice portant nomination en qualité de stagiaire des candidats admis à l'issue du concours de recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire au titre de la session 2024 en tant que son nom n'y figure pas et, à titre subsidiaire, dans son intégralité ;
2°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 juillet 2024 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à poursuivre sa participation aux épreuves du concours de recrutement de magistrats du second grade prévu par l'article 21-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de la nommer provisoirement en qualité de stagiaire de l'Ecole nationale de la magistrature dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée, d'une part, l'empêche de se prévaloir de la réussite du concours complémentaire de l'Ecole nationale de la magistrature auquel elle a été admise et préjudicie ainsi gravement et immédiatement à ses intérêts compte tenu du fort investissement et des sacrifices consentis pour le réussir, d'autre part, revêt un caractère définitif au regard de son motif et de la suppression du concours complémentaire, l'obligeant à renoncer à exercer la profession de magistrat de l'ordre judiciaire, et, enfin, la prive de la possibilité de participer à la formation probatoire débutant le 13 janvier 2025, qui ne pourra être accomplie ultérieurement sans difficultés pratiques importantes ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision du 4 juillet 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice portant refus de concourir est recevable et opérant dès lors que celle-ci s'inscrit dans le cadre d'une opération complexe de recrutement participant à l'édiction de l'arrêté du 1er octobre 2024 portant nomination en qualité de stagiaire des candidats admis à l'issue du concours et fonde le refus de faire figurer son nom dans cet arrêté ;
- cette décision du 4 juillet 2024 est entachée d'incompétence faute pour son signataire de justifier d'une délégation de signature ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que, d'une part, la consultation des fichiers d'antécédents judiciaires dans le cadre de l'enquête administrative réalisée par les renseignements territoriaux du Vaucluse a été effectuée par un agent qui n'est pas identifié et pour lequel il n'est donc pas possible de démontrer qu'il a été régulièrement désigné et habilité dans les conditions prévues par l'article R. 40-29 du code de procédure pénale et, d'autre part, cette consultation a porté sur les données personnelles concernant un tiers, non averti ;
- elle est entachée d'une rétroactivité illégale ;
- elle est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors que le garde des sceaux, ministre de la justice ne pouvait pas légalement la motiver par des actes commis par son compagnon sans méconnaître le caractère personnel de la condition de " bonne moralité " et que la mise en cause de sa posture par rapport à ces faits n'est pas fondée et, en tout état de cause, pas suffisante pour caractériser une moralité insuffisante pour être magistrate ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté du 1er octobre est entaché d'une erreur de droit du fait de l'illégalité de la décision du 4 juillet 2024 et de l'impossibilité de se fonder sur cette décision qui doit être regardée comme ayant été implicitement mais nécessairement retirée par la décision du 9 juillet 2024 du garde des sceau, ministre de la justice publiant la liste des candidats admis au concours et comportant son nom.
Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 18, 19 et 20 novembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 4 juillet 2024 sont tardives et que celles dirigées contre l'arrêté du 1er octobre 2024 en tant que le nom de la requérante n'y figure pas sont irrecevables dès lors que cet arrêté présente un caractère indivisible, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 novembre 2024, à 10 heures 30 :
- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;
- Mme A... ;
- la représentante de Mme A... ;
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 22 novembre à 12 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 2001-1099 du 22 novembre 2001 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'arrêté du 22 novembre 2001 relatif aux concours de recrutement de magistrats prévus par l'article 21-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa version applicable : " Deux concours sont ouverts pour le recrutement de magistrats du second et du premier grade de la hiérarchie judiciaire. / Les candidats doivent remplir les conditions prévues à l'article 16 ", ce dernier prévoyant notamment, en son 3°, que les candidats doivent " être de bonne moralité ". En vertu de l'article 1er du décret du 22 novembre 2001 pris pour l'application de l'article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, alors en vigueur : " Le programme des épreuves, les modalités d'organisation et la discipline des concours ainsi que les conditions d'inscription et les listes des candidats admis à prendre part aux épreuves sont fixés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 22 novembre 2001 pris à cet effet, dans sa version applicable au litige : " Le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature s'assure que les dossiers de candidature sont régulièrement constitués. / Il transmet alors les dossiers en état au garde des sceaux, ministre de la justice, qui fixe par arrêté, après avis du directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, la liste des candidats admis à prendre part respectivement à chacun des concours. La vérification des conditions exigées par l'article 16 (3°) de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée est toutefois effectuée dans les conditions prévues à l'article 7 (...) ". L'article 7 du même arrêté dispose que : " Dès que le jury de chaque concours a arrêté la liste des candidats déclarés admissibles, le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature communique aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance, par l'intermédiaire des procureurs généraux près les cours d'appel et des procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d'appel, l'identité de ceux résidant dans leur ressort. / Le procureur de la République recueille, pour chaque candidat, les pièces suivantes : / 1° Bulletin n° 2 du casier judiciaire ; / 2° Avis de l'autorité administrative, assorti du rapport établi par les services chargés de l'enquête. / Le procureur de la République, après avoir recueilli, le cas échéant, tous renseignements complémentaires utiles, transmet ces éléments au procureur général ou au procureur près le tribunal supérieur d'appel qui les adresse au directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, dans le délai prescrit par ce dernier, avec un rapport contenant son avis motivé. (...) ". L'article 7-1 de cet arrêté précise que : " Dès réception des éléments relatifs à la moralité du candidat, le directeur de l'école les transmet avec son avis au garde des sceaux, ministre de la justice. / (...) Les candidats qui ne satisfont pas aux conditions requises pour concourir reçoivent notification de la décision prise à leur égard par le garde des sceaux, ministre de la justice ".
3. Par une décision du 4 juillet 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice a estimé que Mme A... ne remplissait pas la condition de " bonne moralité " exigée par le 3° de l'article 16 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et ne l'a pas autorisée à poursuivre sa participation aux épreuves du concours de recrutement de magistrats du second grade prévu par l'article 21-1 de cette ordonnance, ouvert pour la session 2024 par un arrêté du 26 juillet 2023, auquel elle avait été admise à concourir le 2 janvier 2024 et déclarée admissible le 23 avril 2024. Puis, par un arrêté du 1er octobre 2024, pris sur le fondement de l'article 5 du décret du 22 novembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice a nommé en qualité de stagiaire, à compter du 13 janvier 2025, les candidats déclarés admis à l'issue de ce concours complémentaire. Mme A..., dont le nom figurait sur la liste des candidats déclarés admis établie par le jury le 26 juin 2024 et publiée au Journal officiel de la République française le 9 juillet suivant, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté en tant que son nom n'y figure pas, ainsi que de la décision du 4 juillet 2024.
4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.
5. Si, pour justifier de l'urgence de la suspension demandée, Mme A... fait valoir le fort investissement et les sacrifices consentis pour réussir le concours complémentaire de l'Ecole nationale de la magistrature, ces seules circonstances ne sont pas de nature à caractériser une urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que l'intéressée, attachée principale en fonction au sein d'un tribunal judiciaire, peut poursuivre son activité professionnelle et percevoir la rémunération s'y attachant. Enfin, d'une part, comme confirmé à l'audience, les décisions contestées, qui ne portent que sur la session 2024, ne privent pas Mme A... de la possibilité de présenter sa candidature aux sessions ultérieures de recrutement de magistrats judiciaires. D'autre part, alors que celle-ci n'a pas contesté en temps utile la décision du 4 juillet 2024 portant refus d'autorisation de poursuite de la participation aux épreuves du concours complémentaire pour la session 2024 et l'informant de ce qu'en conséquence, elle ne serait pas nommée en qualité de stagiaire auprès de l'Ecole nationale de la magistrature et que l'existence et le contenu de cette décision lui ont été rappelés par courriel le 23 septembre 2024, elle a encore attendu un mois, après sa publication, pour demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er octobre 2024 nommant en qualité de stagiaire les candidats déclarés admis au concours. Dans ces circonstances particulières et eu égard à l'intérêt public tenant au bon déroulement de la formation probatoire des autres candidats admis au concours et nommés stagiaires par cet arrêté, la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées, la requête de Mme A... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Fait à Paris, le 28 novembre 2024
Signé : Anne Courrèges