Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui proposer un hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec ses deux enfants mineurs, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2407392 du 4 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de proposer à Mme A... un hébergement d'urgence dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par une requête, enregistrée le 21 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... en première instance.
Elle soutient que :
- malgré une forte augmentation du nombre de places d'hébergement d'urgence dans la région Grand Est et plus particulièrement dans le département du Bas-Rhin entre les années 2017 et 2023, 86 % des demandes d'hébergement présentées le 16 octobre 2024 n'ont pu être satisfaites, de même que 95 % des 61 demandes concernant des personnes accompagnées d'un enfant de moins de 4 ans ;
- alors que Mme A..., dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, n'a pas fait suite, sans justifier d'un motif, à la proposition de chambre d'hôtel mise à sa disposition le 28 août 2024, ni le fait qu'elle soit accompagnée de deux enfants, nés les 8 décembre 2018 et 28 août 2021, ni la pathologie respiratoire dont est atteint l'ainé mais dont la gravité n'est pas établie, ne permettent de caractériser des circonstances exceptionnelles révélant une carence de la part de l'Etat qui serait constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2024, Mme A... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et, d'autre part, Mme A... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 novembre 2024, à 11 heures :
- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) ;
- Me Dianoux, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Mme A..., ressortissante guinéenne, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de lui assurer un hébergement d'urgence pour elle et ses deux enfants mineurs. Par une ordonnance du 4 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de fournir à Mme A... cet hébergement. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) fait appel de cette ordonnance.
3. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse (...) ". L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Enfin aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".
4. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 3, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence. Dès lors, s'agissant des ressortissants étrangers placés dans cette situation particulière, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles.
5. D'une part, il résulte de l'instruction menée en première instance et en appel au cours de laquelle la DIHAL a fourni les chiffres des demandes d'hébergement d'urgence dans le département du Bas-Rhin qui proviennent des appels enregistrés par le 115 et dont la validité n'est pas sérieusement remise en cause par Mme A..., que, malgré une augmentation du parc de logements de 58 % entre 2017 et 2023 et un taux de 5,2 places pour 1 000 habitants qui est supérieur à la moyenne nationale, les capacités de l'hébergement d'urgence dans le département du Bas-Rhin demeurent saturées, notamment en ce qui concerne l'accueil des familles. C'est ainsi que pour la semaine du 29 octobre au 5 novembre 2024, 987 demandes d'hébergement ont été reçues au 115 dont 694 n'ont pu être satisfaites. Au cours de la même période, 87 % des demandes émanant des familles ayant un enfant de moins de quatre ans n'ont pu aboutir.
6. D'autre part, il résulte de l'instruction que, après avoir bénéficié d'un hébergement d'urgence mis à sa disposition par la collectivité européenne d'Alsace jusqu'à ce que son second fils, né le 28 août 2021, ait atteint l'âge de trois ans, Mme A..., dont la demande d'asile a été définitivement rejetée le 14 avril 2021, s'est vue proposer un hébergement d'urgence dans un hôtel le 28 août 2024 afin de bénéficier d'une continuité de son hébergement avec celui qui était pris en charge par la collectivité européenne d'Alsace jusqu'au 30 septembre. Toutefois, elle ne s'y est pas présentée sans justifier des raisons de son absence. Dans ses écritures en appel, elle a admis avoir été informée de cette proposition d'hébergement le 28 août au matin mais ne s'y être rendue que le 30 août. Si à l'audience elle a fait valoir qu'elle n'a pas eu le temps de s'y rendre le jour même, il a été expliqué par les représentants de la DIHAL que Mme A... avait été informée de la mise à disposition de cet hébergement en début de matinée et qu'elle avait jusqu'à 22 H 30 pour se rendre à l'hôtel qui était situé à 25 minutes en transport en commun du centre de Strasbourg et qui avait été réservé pour elle par les services de l'Etat afin d'éviter toute interruption de son hébergement et avait été choisi dans un secteur accessible en transports en commun et disposant de plusieurs établissements scolaires pour ses enfants. Par ailleurs, si son fils ainé, né le 8 décembre 2018, est atteint d'une pathologie respiratoire chronique, le certificat médical produit ne justifie pas de la gravité de sa maladie.
7. Dans la mesure où le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne peut, compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés, il résulte de tout ce qui précède que le refus de la préfète du Bas-Rhin de procurer un hébergement d'urgence à Mme A... et ses enfants ne caractérise pas, compte tenu de la présence de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence et en l'absence de circonstances exceptionnelles, une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence. Il s'ensuit que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de proposer un hébergement d'urgence à Mme A.... La DIHAL est dès lors fondée à demander l'annulation de cette ordonnance ainsi que le rejet de la demande de Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées, sans qu'il y ait lieu de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 4 octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi di 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) et à Mme B... A....
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Fait à Paris, le 12 novembre 2024
Signé : Nathalie Escaut