Vu la procédure suivante :
Mme E... C... épouse A... et M. B... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler les décisions des 16 et 17 septembre 2024 de la cheffe de la section consulaire de l'ambassade de France en Ouganda refusant la délivrance d'un laissez-passer pour leur fille D... A... née le 16 août 2024 à Kampala et d'enjoindre à toute administration compétente de délivrer un laissez-passer sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance.
Par une ordonnance n° 2409530 du 27 septembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a enjoint au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer à D... A... tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national afin de ne pas être séparée de Mme A..., dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance.
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 10, 16 et 18 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. et Mme A....
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'incompétence dès lors qu'en application des dispositions combinées des articles R. 312-19 et R. 351-3 du code de justice administrative, seul le tribunal administratif de Paris, tribunal dans le ressort duquel a légalement son siège le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, était compétent ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a estimé que la condition d'urgence était remplie ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a retenu que les conditions étaient réunies pour permettre la délivrance du laissez-passer consulaire pour l'enfant D... A... alors que l'identité et la nationalité de l'enfant ne sont pas établies en ce que, d'une part, le contrat de gestation pour autrui réalisé en Ouganda est frauduleux dès lors que l'identité de la mère porteuse n'y apparait pas, qu'elle ne l'a pas signé et qu'il ne respecte pas le droit ougandais et, d'autre part, l'attestation dactylographiée de la mère porteuse comporte des erreurs sur son propre état civil ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a estimé que l'acte de naissance ougandais de l'enfant établissait un lien de filiation entre Mme C... et l'enfant D..., en méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code civil ;
- c'est à tort et en méconnaissance du principe de dignité de la personne humaine que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a retenu que l'intérêt supérieur de l'enfant D... justifiait de lui délivrer un laissez-passer consulaire pour la France alors que les circonstances entourant sa naissance font craindre qu'elle ne soit la victime d'un trafic de nouveaux nés.
Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 15, 16, 17 et 18 octobre 2024, M. et Mme A... concluent, en premier lieu, au rejet de la requête, en deuxième lieu et à titre subsidiaire, à ce que soit enjoint au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer à D... A... tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national en compagnie de Mme A..., dans un délai de 5 jours à compter de la notification de la présente ordonnance et, en dernier lieu, à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. et Mme A... et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 octobre 2024, à 10 heures :
- Me Megret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme A... ;
- la représentante de M. et Mme A... ;
- les représentantes du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 18 octobre 2024 à 12 heures puis à 18 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que D... A... est née le 16 août 2024 à Kampala en Ouganda. Mme C..., épouse A..., a, le 21 août, sollicité la déclaration de cette naissance dans les registres de l'état civil consulaire en indiquant d'abord avoir accouché de l'enfant, puis que celle-ci serait née à la suite d'une gestation pour autrui (GPA). Par une décision du 9 septembre 2024, le consulat de l'ambassade de France en Ouganda a indiqué à Mme A... que son lien de filiation avec l'enfant D... n'était pas certain et que le procureur de la République de Nantes avait confirmé le refus de déclaration de naissance de l'enfant dans les registres de l'état civil. Mme A... a alors fourni un acte de naissance, établi par les services d'état civil ougandais le 13 septembre 2024, faisant apparaître M. et Mme A... comme les parents de l'enfant D... et demandé la délivrance d'un laissez-passer pour que celle-ci puisse rejoindre la France. Par deux décisions du 16 et 17 septembre 2024, les services consulaires ont refusé de donner un rendez-vous à Mme A... pour l'obtention de ce laissez-passer. M. et Mme A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à toute administration compétente de délivrer un laissez-passer à l'enfant D... A.... Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères relève appel de l'ordonnance du 27 septembre 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon lui a enjoint de délivrer à l'enfant D... A... tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national dans un délai de cinq jours à compter de la notification de son ordonnance
3. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.". Aux termes de l'article 7 du décret du 30 décembre 2004 relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titres de voyage : " Un laissez-passer peut être délivré à un Français démuni de tout titre de voyage ou de document pouvant en tenir lieu, pour un seul voyage à destination de la France, en particulier en cas d'impossibilité matérielle de lui délivrer un passeport, et après vérification de son identité et de sa nationalité française (...) ".
4. L'article 7 du décret du 30 décembre 2004 prévoit qu'un laissez-passer peut être délivré à un Français après vérification de son identité et de sa nationalité française. Si tout acte de l'état civil des Français fait en pays étranger fait en principe foi en vertu de l'article 47 du code civil cité au point 3, c'est, selon les termes mêmes de cet article, sous réserve qu'il ne soit pas établi, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. A cet égard, si M. et Mme A... soutiennent que l'acte de naissance ougandais qu'ils produisent établit le lien de filiation juridique existant entre eux et la jeune D..., le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conteste, eu égard aux conditions dans lesquelles la déclaration de cette naissance aux services consulaires a eu lieu, tant l'existence d'une telle filiation que, par voie de conséquence, la nationalité française de D..., le procureur de la République de Nantes ayant en outre refusé la déclaration de naissance de l'enfant dans les registres d'état civil consulaires, ainsi que la réalité d'une GPA.
5. Il résulte de l'instruction que Mme A... s'est, dans un premier temps, présentée aux services consulaires en indiquant qu'elle avait donné naissance à l'enfant D... et a fourni diverses attestations en ce sens. Un examen médical demandé par les services consulaires ayant établi que Mme A... avait subi une hystérectomie en 2019, il est apparu que ces attestations étaient nécessairement frauduleuses. Mme A... a alors indiqué que l'enfant était née à la suite d'une GPA. En l'état du dossier soumis au juge des référés, les différents éléments produits lors de la procédure écrite et ceux échangés lors de l'audience publique ne permettent toutefois pas d'établir que la conception de l'enfant ait eu lieu dans un tel cadre. Outre les différentes déclarations frauduleuses faites initialement par Mme A..., le contrat de GPA, établi par la clinique où elle avait initialement indiqué avoir accouché, est postérieur de plusieurs jours à la date de naissance de l'enfant, n'indique pas le nom de la mère porteuse, ne comporte pas non plus sa signature, pas plus que celle de la mère biologique, la signature du père étant quant à elle différente de celle se trouvant sur le passeport de M. A.... Par ailleurs, la déclaration, dont il est indiqué qu'elle aurait été fournie par la mère porteuse et selon laquelle elle renoncerait à ses droits sur l'enfant, comporte un nom et une signature qui ne se retrouvent pas sur le contrat de GPA. Les bons de transport produits par M. et Mme A... indiquant que des embryons auraient été transportés à leur demande depuis l'Espagne vers le Canada puis du Canada vers l'Ouganda ne sont pas signés. Si M. et Mme A... fournissent par ailleurs un test génétique réalisé par un laboratoire en Ouganda, qui indique que Mme A... est la mère biologique de l'enfant D..., ce seul élément ne peut suffire, alors que, malgré des demandes réitérées, M. et Mme A... n'ont fourni aucun autre élément attestant de la réalité de la procédure de GPA, à établir avec certitude les conditions de la conception et de la naissance de l'enfant. Par suite, au vu de l'ensemble de ces éléments, la position de l'administration ne fait pas apparaître d'illégalité manifeste au regard des dispositions combinées du décret du 30 décembre 2004 et de l'article 47 du code civil.
6. Eu égard à ces mêmes contradictions et incertitudes, il n'apparaît pas davantage, en l'état du dossier soumis au juge des référés, que le fait, pour l'administration, d'estimer que ces circonstances ne lui permettent pas d'apprécier sans autre vérification, et alors que le ministre fait état de la nécessaire protection des mineurs contre tout risque de trafic, l'intérêt supérieur de l'enfant, traduise une méconnaissance manifeste des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 27 septembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon et de rejeter les conclusions de M. et Mme A..., y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 27 septembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. et Mme A... devant les juges des référés du tribunal administratif de Lyon et du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à Mme E... C..., épouse A... et à M. B... A....
Fait à Paris, le 28 octobre 2024
Signé : Rozen Noguellou