Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2024 par lequel le préfet du Val-d'Oise a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de destination de sa reconduite et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer sa situation dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Par une ordonnance n° 2424734 du 18 septembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2024 et, d'autre part, enjoint à l'autorité administrative compétente de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de quinze jours et de lui délivrer, dans un délai de quarante-huit heures, une autorisation provisoire de séjour.
M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise d'exécuter l'ordonnance du 18 septembre 2024 en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2426102 du 3 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet du Val-d'Oise ou à toute à autorité administrative compétente de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 11 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris des 18 septembre et 3 octobre 2024 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... en première instance.
Il soutient que :
- c'est à tort que le juge des référés a considéré que le moyen tiré de ce que seul le ministre de l'intérieur était compétent pour prendre l'arrêté d'expulsion était de nature à justifier la suspension de l'exécution de cet arrêté dès lors que, d'une part, une erreur sur la détermination de l'autorité administrative compétente n'est pas, par elle-même, susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et, d'autre part, le préfet du Val d'Oise était compétent pour ordonner l'expulsion de M. B... en vertu des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de mener une vie privée et familiale normale ni à l'intérêt supérieur des enfants de M. B... dès lors qu'il ne peut se prévaloir d'une communauté de vie avec sa compagne et ses enfants et persiste dans une trajectoire de délinquance constitutive d'une menace grave pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 11 et 14 octobre 2024, M. B... conclut, en premier lieu, au rejet de la requête, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de réexaminer sa situation dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et, en dernier lieu, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et, d'autre part, M. B... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 octobre 2024, à 10 heures :
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
- Me Melka, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. B... ;
- le représentant de M. B... ;
- M. B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 14 octobre 2024 à 12 heures, puis jusqu'au 15 octobre 2024 à 17 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". L'article L. 521-4 de ce code prévoit que : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ".
2. Le ministre de l'intérieur relève appel, d'une part, de l'ordonnance du 18 septembre 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2024 par lequel le préfet du Val-d'Oise a prononcé l'expulsion du territoire français de M. A... B... à raison de la menace grave que sa présence en France constitue pour l'ordre public et, d'autre part, de l'ordonnance du 3 octobre 2024 par laquelle le même juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, a en outre enjoint au préfet du Val-d'Oise de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
3. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L. 631-3 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, dont la violation délibérée et d'une particulière gravité des principes de la République énoncés à l'article L. 412-7, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes :/ 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;/ (...) Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 l'étranger mentionné aux 1° à 5° du présent article lorsqu'il a déjà fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement ou de trois ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine./ (...) ". Enfin, les articles R. 632-1 et R. 632-2 du même code, dans leur rédaction en vigueur à la date de l'arrêté en litige, disposent respectivement que : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application de l'article L. 631-1 est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. " et que : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3 ainsi qu'en cas d'urgence absolue est le ministre de l'intérieur ".
4. Il résulte des dispositions de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'étranger remplissant l'une des conditions mentionnées aux 1° à 5° de cet article bénéficie d'une protection particulière n'autorisant son expulsion qu'en raison de comportements, définis à son premier alinéa, dont la particulière gravité justifie son éloignement durable du territoire français alors même que ses attaches y sont fortes. Toutefois, le neuvième alinéa ajouté au même article par la loi du 26 janvier 2024 prévoit que par dérogation, l'étranger entrant dans le champ d'application de cet article peut faire l'objet d'une expulsion en application de l'article L. 631-1 s'il a fait l'objet d'une condamnation définitive pour des infractions punies de certaines peines. Si ces conditions sont remplies, la décision d'expulsion est alors régie par les dispositions de l'article L. 631-1 et relève de l'autorité compétente pour prendre la décision en application de cet article. Contrairement à ce que soutient M. B..., ces dispositions dérogatoires s'appliquent immédiatement dans les cas où les condamnations en cause sont antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024.
5. Il résulte de l'instruction que M. B..., ressortissant malien né en 1991, dont il n'est pas contesté qu'il réside habituellement en France depuis qu'il a atteint l'âge de deux ans, a fait l'objet de plusieurs condamnations définitives, en 2010 et 2011 pour des faits de destruction du bien d'autrui, commis respectivement en réunion et par un moyen dangereux pour les personnes, infractions punies d'une peine de, respectivement, cinq et dix ans d'emprisonnement, en 2012, 2015 et 2021 pour des faits de violences n'ayant pas entraîné d'incapacité ou ayant entraîné une incapacité inférieure ou égale à huit jours sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, infractions punies d'une peine de trois ans d'emprisonnement, en 2017 pour des faits de violences ayant entraîné une incapacité n'excédant pas huit jours commis dans deux circonstances aggravantes, infraction punie de cinq ans d'emprisonnement, et en 2019 pour des faits de violences n'ayant pas entraîné d'incapacité commises par le conjoint ou concubin, infraction punie de trois ans d'emprisonnement. Dès lors, si M. B... remplit la condition posée au 1° de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il résulte des dispositions du neuvième alinéa du même article qu'il peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 du même code, prise par le préfet de département.
6. Par suite, c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour suspendre l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2024 prononçant l'expulsion de M. B... à raison de la menace grave que sa présence en France constitue pour l'ordre public, sur le motif tiré de ce que le préfet du Val d'Oise n'aurait pas été compétent pour le prendre.
7. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... en première instance.
8. Il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français, d'apprécier si la mesure d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en conciliant les exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue, en particulier, le droit de mener une vie familiale normale. La condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.
9. Pour soutenir que l'arrêté attaqué porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, M. B... se prévaut, d'une part, de ce que les conditions pour décider une expulsion en application de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tenant au caractère actuel de la menace que la présence de l'étranger en France constitue pour l'ordre public, ne seraient pas remplies et, d'autre part, de l'ancienneté de son séjour en France, de l'intensité de ses liens avec sa compagne et leurs deux filles, qu'il a reconnues, comme avec les autres membres de sa famille résidant en France, tous de nationalité française, ainsi que de son absence d'attache familiale au Mali.
10. Toutefois, il résulte de l'instruction que les faits pour lesquels M. B... a été condamné à plusieurs reprises à des peines d'emprisonnement ferme, énumérés au point 5, qui manifestent un comportement dangereux à l'égard des personnes, en particulier celles dépositaires de l'autorité publique et sa propre compagne, sont nombreux, répétés et ne remontent qu'à 2021 pour les plus récents. Si M. B... s'est abstenu depuis lors de tout comportement répréhensible et déclare vouloir s'insérer dans la société pour assurer l'éducation de ses enfants, ces circonstances n'impliquent pas, à elles seules et en l'absence de tout autre élément positif significatif, que la menace que constituait pour l'ordre public sa présence en France à la date des faits sanctionnés ait disparu. Compte tenu de la gravité de cette menace et alors même que M. B... justifie de l'ancienneté et de l'intensité de ses attaches en France, la décision d'expulsion en litige n'apparaît pas porter, en l'espèce, une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise à son droit de mener une vie familiale normale, ni à l'intérêt supérieur de ses enfants. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que cette décision porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales qu'il invoque.
11. Par ailleurs, si M. B... soutient qu'il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour de plein droit, cette circonstance, à la supposer avérée, est sans incidence sur la légalité d'une décision d'expulsion, qui n'est pas prise en considération de l'irrégularité du séjour de l'intéressé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance du 18 septembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2024 prononçant l'expulsion de M. B.... Il est également fondé à demander, par voie de conséquence, l'annulation de l'ordonnance du 3 octobre 2024 du même juge des référés.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme réclamée à ce titre par M. B....
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les ordonnances des 18 septembre et 3 octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris sont annulées.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... devant le juge des référés du Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Fait à Paris, le 18 octobre 2024
Signé : Philippe Ranquet