Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu et à titre principal, de suspendre l'exécution des arrêtés des 3 et 27 août 2024 portant mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, en troisième lieu et à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de ces décisions en tant qu'elles ne lui permettent pas de participer à la formation à laquelle il est inscrit du 2 au 9 septembre 2024 et, en dernier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation et de prendre, le cas échéant, une décision compatible avec la poursuite de ses engagements, en l'autorisant à se rendre à sa formation et en modifiant l'horaire de pointage qui lui est imposé. Par une ordonnance n° 2422827 du 2 septembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté sa demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 septembre et 11 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 2 septembre 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de suspendre l'exécution des arrêtés des 3 et 27 août 2024 portant mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros, à verser à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors qu'il n'est pas établi que la minute de la décision litigieuse ait été signée par le magistrat qui l'a rendue, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 742-5 du code de justice administrative ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, cette condition est considérée comme étant par principe satisfaite dans le cas de contestations relatives à des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et, d'autre part, aucune circonstance particulière n'est de nature à remettre en cause ce principe ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir en ce que, d'une part, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas de nature à justifier une telle mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et, d'autre part, les obligations qui lui sont imposées à ce titre sont disproportionnées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 octobre 2024, à 11 heures :
- Me Bouniol-Brochier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A... ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. " Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer et justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu d'habitation. / L'obligation prévue au 1° du présent article peut être assortie d'une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés se trouvant à l'intérieur du périmètre géographique mentionné au même 1° et dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Cette interdiction tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. Sa durée est strictement limitée à celle de l'événement, dans la limite de trente jours. Sauf urgence dûment justifiée, elle doit être notifiée à la personne concernée au moins quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites. / (...) La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, ou à compter de la notification de chaque renouvellement lorsqu'il n'a pas été fait préalablement usage de la faculté prévue au huitième alinéa, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. Ces recours, dont les modalités sont fixées au chapitre III ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative, s'exercent sans préjudice des procédures prévues au huitième alinéa du présent article ainsi qu'aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code. "
3. M. A..., ressortissant afghan né le 10 mai 1995 et entré en France le 3 août 2018, s'est vu reconnaître le 10 décembre 2020 le bénéfice de la protection subsidiaire. Ayant fait l'objet d'un signalement en raison de la publication sur un réseau social, le 18 octobre 2023, d'une vidéo de nature à faire soupçonner son adhésion à une idéologie islamiste radicale et compte tenu du niveau élevé de menace terroriste en France, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, par arrêté du 3 août 2024 et pour une durée de 3 mois, prescrit à l'encontre de M. A... une mesure individuelle de contrôle et de surveillance lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la ville de Paris, où il réside, et de huit communes du département de la Seine-Saint-Denis, sauf obtention préalable d'une autorisation écrite et lui imposant de se présenter une fois par jour au commissariat de police de Paris 16ème. Ces mesures ont été aménagées par un arrêté modificatif du 27 août 2024. Par une requête enregistrée le 27 août, M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des mesures prescrites. Il interjette appel de l'ordonnance du 2 septembre 2024 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande, pour défaut d'urgence.
Sur la condition d'urgence :
4. Eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d'aller et venir, une décision prise par l'autorité administrative en application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde. D'une part, les circonstances particulières tenant à l'organisation des jeux olympiques et paralympiques en France que le ministre de l'intérieur faisait valoir devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'existent plus à la date de la présente ordonnance. D'autre part, si le ministre de l'intérieur a délivré à M. A... un sauf-conduit pour lui permettre de se rendre à une formation hors du périmètre de la mesure litigieuse et a, par un arrêté modificatif en date du 27 août 2024, a accepté de décaler, du 2 au 9 septembre 2024, d'une heure sa présentation quotidienne au commissariat afin de rendre cette obligation compatible avec les horaires de la formation qu'il suivait, ces aménagements ne constituent pas des circonstances particulières de nature à remettre en cause, au cas d'espèce, l'existence d'une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés s'est fondé sur l'absence d'urgence pour rejeter sa demande.
Sur la condition tenant à l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
5. Il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans l'application de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure qui permet de prendre à l'égard d'une personne les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues aux articles suivants, dont celles de l'article L. 228-2. Par ailleurs, il résulte de l'article L. 228-1 du même code que ces mesures doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
6. Pour considérer que le comportement de M. A... constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'une part, et participait à la diffusion de thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes, d'autre part, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur une note blanche circonstanciée des services de renseignement dont il ressort que M. A... a, le 18 octobre 2023, publié sur le compte d'un réseau social public une vidéo le mettant en scène, vêtu d'une tenue traditionnelle afghane et levant le doigt vers le ciel, à proximité de deux policiers et diffusé, sur un compte de messagerie privée, la même vidéo à laquelle avait été ajoutée une bande sonore diffusant en dari des propos hostiles à l'égard de l'Etat d'Israël. Si M. A... soutient que le geste consistant à lever l'index vers le ciel n'est que l'affirmation de l'unité de l'Islam et n'avait aucune visée menaçante à l'égard des policiers ou de la communauté juive, cette publication, quelques jours après l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 contre l'Etat d'Israël, et sa réitération avec un commentaire dont le caractère violent à l'encontre de cet Etat n'est pas contesté, justifiaient, dans le contexte de menace terroriste élevée liée notamment aux événements du Proche-Orient ainsi qu'à l'organisation des Jeux olympiques, que le ministre de l'intérieur prenne, le 3 août 2024, la mesure litigieuse. Si, comme le reconnaît le ministre de l'intérieur, le comportement de M. A... depuis ces faits n'a donné lieu à aucun signalement et que les Jeux olympiques ne constituent plus aujourd'hui un facteur aggravant une menace terroriste qui reste toutefois élevée compte tenu des répercussions en France du conflit au Proche-Orient, il résulte de l'instruction que la mesure litigieuse permet au requérant, qui n'établit pas avoir été privé de ce fait de la possibilité d'exercer ses activités, de circuler dans un périmètre étendu incluant Paris et huit communes du département de la Seine-Saint-Denis et a pu être aménagée à sa demande pour lui permettre de se rendre à une formation. Dans ces conditions, le maintien des obligations que cette mesure impose à M. A... pour les trois semaines pour lesquelles elle demeure en vigueur ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par l'ordonnance attaquée, rejeté sa demande. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 17 octobre 2024
Signé : Gilles Pellissier