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17/10/2024 | FRANCE | N°489707

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 17 octobre 2024, 489707


Vu la procédure suivante :



M. A... B..., Mme C... B... et la société par actions simplifiée Elite Immo ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 23 juin 2023 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France a préempté la parcelle cadastrée section AD n° 127, située sur le territoire de la commune de Chilly-Mazarin, et de la décision implicite rejetant leur recou

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Vu la procédure suivante :

M. A... B..., Mme C... B... et la société par actions simplifiée Elite Immo ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 23 juin 2023 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France a préempté la parcelle cadastrée section AD n° 127, située sur le territoire de la commune de Chilly-Mazarin, et de la décision implicite rejetant leur recours gracieux. Par une ordonnance n° 2308498 du 14 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 novembre et 12 décembre 2023 et le 15 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement public foncier d'Île-de-France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet, Kacenelenbogen, avocat de M. A... D... C... B... et de la Societe Elite Immo et au cabinet Munier-Apaire, avocat de l'Etablissement public foncier d'Ile-de-France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Versailles que, par une décision du 23 juin 2023, le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France a exercé, par une délégation de la commune de Chilly-Mazarin intervenue le 20 juin 2023, son droit de préemption urbain en vue de l'acquisition, pour un montant de 360 000 euros, d'une parcelle cadastrée section AD n° 127, qui avait fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner au prix de 850 000 euros. M. et Mme B..., propriétaires du bien, et la société Elite Immo, acquéreuse évincée, se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 14 novembre 2023 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a rejeté leur demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision de préemption et de la décision rejetant leur recours gracieux.

2. En vertu de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner vaut renonciation à l'exercice de ce droit. Ce délai est suspendu à compter de la réception par le propriétaire de la demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière ou de la demande de visite du bien effectuée par le titulaire du droit de préemption. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption.

3. S'agissant du délai de deux mois prévu par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, l'article R. 213-7 du même code dispose que : " I.- (...) / Ce délai court à compter de la date de l'avis de réception postal du premier des accusés de réception ou d'enregistrement délivré en application des articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l'administration (...). / II.- Il est suspendu, en application de l'article L. 213-2, à compter de la réception par le propriétaire de la demande unique formée par le titulaire du droit de préemption en vue d'obtenir la communication de (...) documents (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article D. 213-13-1 de ce code : " Le délai (...) reprend à compter de la visite du bien ou à compter du refus exprès ou tacite de la visite du bien par le propriétaire " et aux termes du second alinéa de l'article D. 213-13-3: " Le refus est notifié au titulaire du droit de préemption dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 et dans le délai de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite. En l'absence de réponse dans ce délai, le refus est tacite. "

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la déclaration d'intention d'aliéner par les époux B... a été reçue en mairie de Chilly-Mazarin le 27 février 2023 et que cette commune, alors titulaire du droit de préemption, a adressé au notaire de M. et Mme B... une demande de pièces complémentaires et une demande de visite du bien, qui lui ont été notifiées le 27 avril 2023, dans le délai de deux mois suivant la réception de la déclaration d'intention d'aliéner. Par un courriel du 2 mai 2023 dont il n'est pas contesté qu'il a été reçu par la commune, ce notaire lui a adressé un lien de téléchargement permettant d'accéder aux documents demandés. Le refus tacite par M. et Mme B... de la visite du bien étant intervenu le 5 mai 2023, à l'issue du délai de huit jours après la demande de la commune, le délai dont disposait le titulaire du droit de préemption après réception de la déclaration d'intention d'aliéner s'est remis à courir le 5 mai 2023, pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 5 juin 2023. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de ce que la décision de préemption, intervenue le 23 juin 2023, était tardive n'était pas propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B... et autre sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

8. D'une part, eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'affaire qui lui est soumise.

9. En l'espèce, la suspension de la décision de préemption en litige est demandée, notamment, par la société Elite Immo, qui a la qualité d'acquéreur évincé. La circonstance que la promesse de vente qu'elle a conclue avec M. et Mme B... comporte une clause de caducité dont le délai est atteint ou dont la mise en œuvre résulterait de l'exercice du droit de préemption n'est pas de nature, par elle-même, à priver de tout caractère d'urgence cette demande, cette clause ne faisant pas obstacle à ce que, d'un commun accord, les parties donnent suite aux engagements contenus dans la promesse au-delà du délai prévu. L'établissement public foncier d'Île-de-France ne justifie pas de la nécessité de réaliser son projet dans des délais rapides et, ce faisant, de circonstances particulières de nature à permettre que la condition d'urgence ne soit pas, en l'espèce, regardée comme satisfaite.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 5, que le moyen tiré de la tardiveté de la décision de préemption litigieuse est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur sa légalité.

11. Les autres moyens soulevés, tirés de l'absence de consultation préalable du service des domaines, de la méconnaissance du principe d'égalité des armes garanti par l'article 6 alinéa 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'insuffisance de motivation de la décision de préemption et de l'absence de projet d'aménagement précis et réel sur la parcelle concernée, n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, en l'état de l'instruction, M. et Mme B... et autre sont fondés à demander la suspension de l'exécution de la décision de préemption du 23 juin 2023 et de la décision rejetant le recours gracieux formé à son encontre.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement public foncier d'Île-de-France une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B... et une somme de 1 500 euros à verser à la société Elite Immo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'établissement public foncier d'Île-de-France au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 23 juin 2023 du directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France et de sa décision rejetant le recours gracieux formé par M. et Mme B... est suspendue.

Article 3 : L'établissement public foncier d'Île-de-France versera à M. et Mme B... une somme de 1 500 euros et à la société Elite Immo une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'établissement public foncier d'Île-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants et à l'établissement public foncier d'Île-de-France.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 489707
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 oct. 2024, n° 489707
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nejma Benmalek
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP POUPET & KACENELENBOGEN ; CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489707.20241017
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