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03/10/2024 | FRANCE | N°494941

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 03 octobre 2024, 494941


Vu la procédure suivante :



Par un mémoire, enregistré le 4 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération paysanne demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation des articles 1er, 2 et 4 du décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, de renvoyer au Conseil co

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 4 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération paysanne demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation des articles 1er, 2 et 4 du décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 54 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables dite " loi APER ".

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 54 de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a inséré, au sein du code de l'énergie et du code de l'urbanisme, plusieurs dispositions encadrant les conditions d'implantation d'installations de production d'énergie photovoltaïque sur des terrains agricoles, naturels et forestiers en distinguant, d'une part, les installations agrivoltaïques, prévues aux articles L. 111-27 et L. 111-28 du code de l'urbanisme et devant répondre aux exigences prévues à l'article L. 314-36 du code de l'énergie et, d'autre part, les installations compatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière, pouvant être qualifiées d'" agricompatibles ", prévues et encadrées par les articles L. 111-29 et L. 111-30 du code de l'urbanisme. Cet article 54 dispose notamment à cet égard, en introduisant un article L. 111-32 au code de l'urbanisme applicable à ces deux catégories d'installations, que " Les ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire mentionnés aux articles L. 111-27 à L. 111-29 sont autorisés pour une durée limitée et sous condition de démantèlement au terme de cette durée ou au terme de l'exploitation de l'ouvrage s'il survient avant. Ces ouvrages présentent des caractéristiques garantissant la réversibilité de leur installation. / Le propriétaire du terrain d'assiette est tenu d'enlever dans un délai raisonnable l'ouvrage et de remettre en état le terrain : / 1° Lorsque l'ouvrage n'est pas ou plus exploité ou lorsqu'il est constaté que les conditions de compatibilité avec l'activité agricole, pastorale ou forestière ne sont plus réunies ; / 2° Au plus tard, à l'issue d'une durée déterminée par voie réglementaire. / Lorsque le projet requiert la délivrance d'un permis de construire ou d'une décision de non-opposition à déclaration préalable, sa mise en œuvre peut être subordonnée à la constitution préalable de garanties financières, notamment lorsque la sensibilité du terrain d'implantation ou l'importance du projet le justifie ".

3. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la Confédération paysanne soutient que les dispositions de cet article 54 méconnaissent, à plusieurs titres, le droit de chacun, notamment des générations futures, de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement et l'alinéa 7 de son préambule, ainsi que les principes de prévention et de précaution inscrits, respectivement, aux articles 3 et 5 de la même Charte.

4. D'une part, aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de leur mise en œuvre. Les limitations apportées par le législateur à l'exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

5. Par ailleurs, il découle de ces mêmes dispositions, éclairées par le septième alinéa du préambule de la même Charte, que, lorsqu'il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard.

6. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la Charte de l'environnement : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ". Il en résulte qu'il appartient au législateur de veiller au respect de ce principe lorsqu'il est appelé à en déterminer les modalités de mise en œuvre par la définition du cadre de la prévention ou de la limitation des conséquences d'une atteinte à l'environnement.

7. Enfin, aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ".

8. En premier lieu, il est soutenu qu'en s'abstenant de prévoir des dispositions spécifiques destinées à éviter ou à limiter l'artificialisation des sols dans le cadre de l'implantation de parcs photovoltaïques sur des espaces naturels, agricoles ou forestiers, le législateur aurait privé de garanties légales le droit de chacun, notamment des générations futures, de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Toutefois, d'une part, en adoptant l'article 54 de la loi du 10 mars 2023, le législateur a entendu favoriser la production de ce type d'énergie renouvelable et, ce faisant, poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement. D'autre part, il a prévu, en un nouvel article L. 111-30 du code de l'urbanisme, que, par leurs modalités techniques, les installations " agricompatibles " ne doivent pas affecter durablement les fonctions écologiques du sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique. Il a également prévu, au nouvel article L. 314-36 du code de l'énergie, que, pour qu'une installation soit considérée comme agrivoltaïque, celle-ci doit notamment rendre "directement à la parcelle agricole", l'un des services suivants : " 1° L'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques ; / 2° L'adaptation au changement climatique ; / 3° La protection contre les aléas ; / 4° L'amélioration du bien-être animal ", et qu'à l'inverse, ne peut pas être considérée comme agrivoltaïque une installation qui porte une atteinte substantielle à l'un de ces services ou une atteinte limitée à deux d'entre eux et qui n'est pas réversible. Il a en outre prévu au nouvel article L. 111-32 du code de l'urbanisme que, pour les installations " agricompatibles " comme pour les installations agrivoltaïques, les ouvrages ne sont autorisés que pour une durée limitée et sous condition de démantèlement au terme de cette durée ou au terme de l'exploitation de l'ouvrage s'il survient avant, ces ouvrages devant présenter, à cette fin, des caractéristiques garantissant la réversibilité de leur installation, et assorti cette obligation incombant au propriétaire du terrain de celle d'une remise en état dans un délai raisonnable. Dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance, pour ce motif, de l'article 1er de la Charte de l'environnement ne présente pas de caractère sérieux.

9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en s'abstenant de prévoir des dispositions spécifiques destinées à prémunir les agriculteurs contre les effets néfastes des ondes électromagnétiques émises par les installations photovoltaïques qu'ils seraient amenés à implanter, le législateur aurait privé de garanties légales les exigences constitutionnelles susmentionnées, alors que, premièrement, elles ont vocation à n'être implantées que sur les domaines forestiers, agricoles ou naturels et, deuxièmement, il ressort des propres écritures de la requérante que ces rayonnements ne sont produits que par certains composants des installations (transformateur, point de liaison, ligne électrique), que leur intensité décroît très rapidement en quelques mètres et que le risque allégué pour la santé n'est, en toute hypothèse, susceptible de provenir que d'une exposition durable et/ou régulière. Le syndicat requérant ne justifie d'ailleurs pas en quoi la définition de modalités techniques visant à prémunir les agriculteurs contre de tels risques s'agissant des installations concernées, au-delà des mesures applicables de manière générale en la matière, justifierait l'intervention du législateur. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance, dans cette mesure, de l'article 1er de la Charte de l'environnement, ne présente pas non plus de caractère sérieux. Il en va de même, pour les mêmes motifs et en tout état de cause, de ceux tirés de la méconnaissance des articles 3 et 5 de cette même Charte.

10. En troisième lieu, ainsi qu'il a été relevé au point 8, les installations agrivoltaïques et " agricompatibles " sont soumises à une exigence de réversibilité au terme de leur durée d'autorisation ou d'exploitation si celle-ci s'achève avant, et les propriétaires astreints à une obligation de démantèlement des ouvrages et de remise en état dans un délai raisonnable. Le législateur a, au dernier alinéa du nouvel article L. 111-32 du code de l'urbanisme, cité au point 2, prévu que la constitution préalable de garanties financières pouvait être demandée au propriétaire d'un terrain qui entend y implanter de telles installations nécessitant la délivrance d'un permis de construire ou d'une décision de non-opposition à déclaration préalable, en vue de financer leur démantèlement à terme, notamment lorsque la sensibilité du terrain d'implantation ou l'importance du projet le justifie. La Confédération paysanne soutient que, faute de prévoir une obligation générale de constituer de telles garanties, le législateur aurait méconnu le droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Toutefois, par cette disposition, loin de mettre en cause la garantie pour les générations futures que représentent les obligations de réversibilité, de démantèlement et de remise en état, le législateur n'a fait que renforcer son effectivité, en l'assortissant de la possibilité d'exiger en sus des garanties financières lorsque les caractéristiques de l'opération le justifient. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement ne présente pas davantage de caractère sérieux sur ce point.

11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en s'abstenant de prévoir des dispositions spécifiques de nature à limiter les atteintes à la biodiversité invoquées par la requérante, au-delà des exigences d'ores et déjà en vigueur à cette fin, telles que celles, notamment, prévues aux articles L. 122-1 et suivants du code de l'environnement relatifs à l'évaluation environnementale préalable à certains projets de travaux, ou aux articles L. 414-1 et suivant du même code relatifs à la protection des sites Natura 2000, et alors que l'article 54 interdit l'implantation d'installations agrivoltaïques ou " agricompatibles " dans certaines zones forestières et impose la réversibilité des installations, le législateur aurait méconnu le principe de prévention. Par suite, ni le grief tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la Charte de l'environnement, ni en tout état de cause celui tiré de la méconnaissance de l'article 5 de cette même Charte, ne présentent, à cet égard, de caractère sérieux.

12. En cinquième lieu, en se bornant à faire valoir l'absence de mécanisme de prévention du risque d'incendie spécifique à l'implantation des installations agrivoltaïques et de renvoi à un autre régime juridique applicable en la matière, alors que l'implantation de telles installations n'est pas exclusive de l'application des dispositifs législatifs de droit commun en la matière, avant cette implantation comme après, et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, ni n'est d'ailleurs soutenu, que ces dispositifs seraient insuffisants ou qu'une intervention particulière du législateur serait nécessaire, la Confédération paysanne n'apporte aucun élément de nature à établir qu'en adoptant les dispositions de l'article 54 de la loi du 10 mars 2023, le législateur aurait méconnu le principe de prévention. Par suite, ni le grief tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la Charte de l'environnement, ni, en tout état de cause, celui tiré de la méconnaissance de l'article 5 de cette même Charte, ne présentent, à cet égard, de caractère sérieux.

13. Il résulte de ce qui précède que, dans toutes ses branches, la question de constitutionnalité soulevée par la Confédération paysanne, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération paysanne.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération paysanne et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 3 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 494941
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 oct. 2024, n° 494941
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494941.20241003
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