La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/10/2024 | FRANCE | N°488166

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 02 octobre 2024, 488166


Vu la procédure suivante :



La commune de Valenciennes a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société Cazeaux, la société Keller Fondations Spéciales, la société Sols Etudes et Fondations (SEF), la société Apave Nord-Ouest, M. A... B... et la société Hexa Ingénierie à lui verser la somme de 11 076 112,53 euros toutes taxes comprises (TTC), assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait des travaux exécutés sur la basilique Notre-Dame du Saint-Cordon.

Par un jugement n° 1610178 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Lille a...

Vu la procédure suivante :

La commune de Valenciennes a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société Cazeaux, la société Keller Fondations Spéciales, la société Sols Etudes et Fondations (SEF), la société Apave Nord-Ouest, M. A... B... et la société Hexa Ingénierie à lui verser la somme de 11 076 112,53 euros toutes taxes comprises (TTC), assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait des travaux exécutés sur la basilique Notre-Dame du Saint-Cordon. Par un jugement n° 1610178 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné les sociétés Apave Nord-Ouest, Cazeaux, Hexa Ingénierie et M. B... à verser à la commune la somme de 3 678 133,95 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2016 et de leur capitalisation, la société Keller Fondations Spéciales à garantir la société Hexa Ingénierie, M. B... et la société Apave Nord-Ouest, à concurrence de 35 % de cette condamnation, la société Apave Nord-Ouest à garantir la société Keller Fondations Spéciales à concurrence de 10 % de cette condamnation, la société Hexa Ingénierie à garantir les sociétés Keller Fondations Spéciales et Apave Nord-Ouest à concurrence de 20 % de cette condamnation, M. B... à garantir la société Keller Fondations Spéciales et la société Apave Nord-Ouest à concurrence de 5 % de cette condamnation et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 19DA01442 du 11 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la commune de Valenciennes et sur appel incident et provoqué de la société Apave Nord-Ouest, de la société Hexa Ingénierie Bureau d'Etudes Techniques, de la société Keller Fondations Spéciales et de M. B..., porté à 4 118 467,78 euros le montant de la condamnation prononcée solidairement à l'encontre des sociétés Cazeaux, Hexa Ingénierie, Apave Nord-Ouest et de M. B..., condamné la société Hexa Ingénierie à garantir la société Apave Nord-Ouest à hauteur de 45 % du montant de cette condamnation, la société Keller Fondations Spéciales à garantir la société Apave Nord-Ouest, la société Hexa Ingénierie et M. B... à hauteur de 25 % du montant de cette condamnation, la société Cazeaux à garantir la société Apave Nord-Ouest à hauteur de 15% du montant de cette condamnation, M. B... à garantir la société Apave Nord-Ouest à hauteur de 5 % de cette condamnation, fixé le montant et la répartition de la charge des frais d'expertise et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 septembre et 11 décembre 2023 et les 23 avril et 25 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Apave Infrastructures et Construction France, venant aux droits de la société Apave Nord-Ouest, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) de rejeter le pourvoi provoqué de la société Keller Fondations spéciales ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Valenciennes, de la société Cazeaux, en sa qualité de mandataire du groupement solidaire formé par les sociétés Cazeaux, Payeux, Verschooris et Latitube prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Me Malfaisan, des sociétés Keller Fondations Spéciales, Sols Etudes et Fondations, Hexa Ingénierie et de M. B..., la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le décret n° 99-443 du 26 mai 1999 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Apave Infrastructures et Construction France, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Keller Fondations Spéciales, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Valenciennes, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Hexa Ingenierie Bureau d'Etudes Techniques et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'Agence A... B... Architectures ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, en vue des travaux de restauration de la basilique Notre-Dame du Saint-Cordon, la commune de Valenciennes, maître de l'ouvrage, a demandé à la société Sols Etudes et Fondations (SEF), dorénavant dénommée Apogeo, de conduire des études géotechniques puis a confié la maîtrise d'œuvre du projet à un groupement solidaire composé de M. B..., architecte mandataire, et de la société Hexa Ingénierie. Le lot n° 1 " façades - gros-œuvre étendu " a été attribué à la société Entreprise Georges Cazeaux, qui a sous-traité les travaux de reprise en sous-œuvre du clocher de la basilique à la société Keller Fondations Spéciales, laquelle a été acceptée par le maître d'ouvrage. Le contrôle technique de l'opération a été confié à la société Apave Nord-Ouest. Dès leur démarrage ainsi qu'après plusieurs interruptions, les travaux de reprise en sous-œuvre ont donné lieu à des mouvements de basculement de clocher qui ont ensuite engendré des désordres structurels de l'ouvrage. L'ouvrage de fondation du clocher a finalement été regardé comme étant stabilisé à la date du 13 juin 2013. Saisi par la commune de Valenciennes, le tribunal administratif de Lille a condamné, au titre de leur responsabilité contractuelle vis-à-vis du maître d'ouvrage, les sociétés Apave Nord-Ouest, Cazeaux, Hexa Ingénierie et M. B... à verser à la commune la somme de 3 678 133,95 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2016 et de leur capitalisation, a statué sur les appels en garantie et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par un arrêt rendu le 11 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Douai a réformé ce jugement en portant à la somme de 4 118 467,78 euros le montant de la condamnation prononcée solidairement à l'encontre des sociétés Cazeaux, Hexa Ingénierie, Apave Nord-Ouest et de M. B..., en statuant sur les appels en garantie et en rejetant le surplus des conclusions des parties. La société Apave Infrastructures et Construction, venant aux droits de la société Apave Nord-Ouest, se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il lui fait grief. Par la voie du pourvoi provoqué, la société Keller Fondations spéciales conclut à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel provoqué tendant à la condamnation solidaire des sociétés Cazeaux, Hexa Ingénierie, Apave Nord-Ouest et de M. B.... Par la même voie, la commune de Valenciennes demande l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la société Keller Fondations Spéciales.

Sur le pourvoi principal de la société Apave Infrastructures et Construction France :

2. En premier lieu, la société Apave Infrastructures et Construction France est sans intérêt pour demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune de Valenciennes dirigées contre la société Keller Fondations Spéciales. Ses conclusions sont donc irrecevables sur ce point.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 28 mai 1999 relatif au cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de contrôle technique : " Champ d'application. - Le présent cahier des clauses techniques générales (CCTG) s'applique aux marchés de contrôle technique de la construction qui s'y réfèrent expressément ". Dès lors que la cour a estimé, par une appréciation souveraine qui n'est pas arguée de dénaturation, que le marché conclu avec la société Apave Nord-Ouest ne se référait pas expressément au cahier des charges prévu par le décret du 28 mai 1999, elle n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, par une décision suffisamment motivée sur ce point, que les dispositions de ce décret n'étaient pas applicables au litige.

4. En troisième lieu, il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, qui s'est fondée sur l'ensemble des éléments produits au cours de l'instruction, aurait écarté le rapport de l'expert Bellière pour juger que la responsabilité de la société Apave Nord-Ouest était engagée. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en s'abstenant d'indiquer les raisons pour lesquelles elle aurait écarté ce rapport.

5. En quatrième lieu, la cour a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que, dans l'exercice de sa mission relative à la solidité des existants, la société Apave Nord-Ouest s'était limitée à une réserve sur la fissuration du radier et qu'elle n'avait formulé aucune observation sur la solution initiale retenue par le maître d'œuvre ni sur celle qui a été proposée par la société Keller Fondations Spéciales alors même que l'étude de sols disponible à l'époque ne laissait aux spécialistes aucune illusion sur le comportement du radier. En estimant que la société Apave Nord-Ouest avait ainsi manqué à ses obligations contractuelles, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. En jugeant ensuite que ce manquement était de nature à engager sa responsabilité à hauteur de 10% dans la survenance du sinistre, la cour a souverainement apprécié les faits de l'espèce sans les dénaturer.

6. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction alors applicable et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 125-2 du même code : " Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil, (...). / Le contrôleur technique n'est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu'à concurrence de la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître d'ouvrage ". Les dispositions du second alinéa de cet article, qui sont relatives à la responsabilité du contrôleur technique vis-à-vis, non du maître d'ouvrage, mais des constructeurs au titre de la garantie décennale, ne s'appliquent pas à la responsabilité contractuelle du contrôleur technique. Par suite, la société Apave Infrastructures et Construction France, contrôleur technique, n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait méconnu ces dispositions en la condamnant in solidum avec les autres responsables du dommage à réparer les conséquences dommageables que leurs fautes contractuelles ont causées au maître d'ouvrage.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Apave Infrastructures et Construction France doit être rejeté.

Sur les pourvois provoqués de la société Keller Fondations Spéciales et de la commune de Valenciennes :

8. La présente décision n'ayant pas pour effet d'aggraver leur situation, les pourvois provoqués de la société Keller Fondations Spéciales et de la commune de Valenciennes ne peuvent qu'être rejetés.

Sur les frais de l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Apave Infrastructures et Construction France la somme de 3 000 euros à verser respectivement à la commune de Valenciennes, aux sociétés Keller Fondations Spéciales et Hexa Ingénierie Bureau d'Etudes Techniques et à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de ces derniers qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Apave Infrastructures et Construction France est rejeté.

Article 2 : Les pourvois provoqués de la commune de Valenciennes et de la société Keller Fondations Spéciales sont rejetés.

Article 3 : La société Apave Infrastructures et Construction France versera au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 3 000 euros respectivement à la commune de Valenciennes, aux sociétés Keller Fondations Spéciales et Hexa Ingénierie Bureau d'Etudes Techniques et à M. B.... Ses conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Apave Infrastructures et Construction France, à la société Keller Fondations Spéciales, à la commune de Valenciennes, à la société Hexa Ingénierie Bureau d'Etudes Techniques et à M. A... B....

Copie en sera adressée à Me Malfaisan, ès qualité de mandataire liquidateur de la société Entreprise Georges Cazeaux, et à la société Apogeo.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488166
Date de la décision : 02/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE. - RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS À L'ÉGARD DU MAÎTRE DE L'OUVRAGE. - RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE. - CONDAMNATION D’UN CONTRÔLEUR TECHNIQUE IN SOLIDUM AVEC LES AUTRES RESPONSABLES DU DOMMAGE – LÉGALITÉ – EXISTENCE.

39-06-01-02 Les dispositions du second alinéa de l’article L. 111-24 du code de la construction et de l’habitation (CCH), reprises à l’article L. 125-2 de ce code, qui sont relatives à la responsabilité du contrôleur technique vis-à-vis, non du maître d’ouvrage mais des constructeurs au titre de la garantie décennale, ne s’appliquent pas à la responsabilité contractuelle du contrôleur technique. Par suite, la condamnation in solidum d’un contrôleur technique avec les autres responsables du dommage à réparer les conséquences dommageables que leurs fautes contractuelles ont causées au maître d’ouvrage ne méconnaît pas ces dispositions.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2024, n° 488166
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP LE BRET-DESACHE ; CABINET MUNIER-APAIRE ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488166.20241002
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award